Demi-Lune a écrit :Jihl a écrit :
Évidemment pas d'accord, d'un vétéran qui a traversé dans l'infanterie deux guerres mondiales, je ne peux attendre que quelqu'un de brisé et d'à moitié fou (voir The steel Helmet du même Fuller par exemple sur le sujet, ou dans un autre registre Apocalypse now).
Je rebondis là-dessus. Majorsenta indique que Fuller a fait ce film pour parler de ces hommes, de ces soldats qu'il a connu. Comme je l'ai dit, j'ai été insensible à ce témoignage, tant pis pour moi (ou pas). Je rebondis parce que tu dis que tu ne peux attendre que de la part d'un vétéran, si j'ai bien compris, un discours brisé, désespéré, voire débloqué (au sens absurde). Pourtant, Oliver Stone, qui a été au Vietnam en 1967, a lui aussi livré son témoignage autobiographique avec
Platoon, la section littéralement, le film qui allait devenir le référent d'authenticité pour le Vietnam (les chefs-d'oeuvre de Cimino et Coppola visent d'autres objectifs). C'est, là aussi, un film qu'il a fait pour ses hommes, à qui il dédie d'ailleurs la conclusion. Eh bien, dans
Platoon, le cinéaste/vétéran a réussi ce que, à mes yeux, Fuller avec
Au-delà de la gloire n'est pas parvenu à faire : s'intéresser à ses hommes, les placer continuellement au premier plan, s'attacher à restituer l'authenticité de leurs caractères, de leurs angoisses, ne pas tomber dans le cliché rabattu. Pour Stone,
Platoon a été un film cathartique où il a pu exprimer toute la cassure qu'a été pour lui le Vietnam (comme, j'imagine, Fuller a voulu le faire avec la Seconde Guerre mondiale). Pourtant
Platoon n'est pas le film d'un type à moitié fou et s'il est dur, c'est un film plein d'humanité, même pour un personnage pourri comme le lieutenant Barnes.
Ce que je veux dire, c'est que Stone a trouvé avec sa catharsis un équilibre, une vérité, une consistance, que n'a pas trouvé pour moi Fuller.
Mais je crois que le débat risque maintenant de tourner en rond puisque j'ai exposé mon point de vue et que je ne peux maintenant que radoter.
Et pourtant, avec tous ces griefs évoqués (que je ne partage absolument pas, mais que je respecte),
The Big Red One m'apparaît comme un des plus authentiques films de guerre et un des plus beaux témoignages (pour le coup ce mot est juste) portés sur les hommes (que le cinéaste
connaît) qui la font...
Platoon de Stone me semble totalement différent puisque la guerre et l'époque reconstituée ne sont pas les mêmes. C'est plus viscéral chez Stone, mais chez Fuller, c'est la première fois que je vois des clichés aussi vrais, que l'aspect baroudeur semble aussi parfaitement compris car vécu, montré brillamment comme un échappatoire... Le Vietnam est cathartique comme tu le soulignes si justement, chez Fuller on est à des années-lumières de cette intention. Il est probable que vu sous ce procédé, tu ne peux qu'être déçu, mais chez Fuller, jamais il n'évoquera cela dans ce splendide
The Big Red One...
La séquence où le personnage de Mark Hamill découvre les fours et tire sur un Allemand à plusieurs reprises à intervalles de quelques secondes, est l'une des plus remarquables, passionnantes (ça fait énormément réfléchir sur la violence et sa justification) séquences sur la découverte de l'horreur, et ce sans aucune complaisance, gratuité et voyeurisme. De plus, elle annule tes réserves sévères sur la caractérisation de ce personnage.
Le film est incessamment porteur d'une vision à la fois objective dans la reconstitution des faits et des situations, et subjective dans ses qualités cinématographiques fictionnelles (la caméra à hauteur d'homme atteint un sommet dans le genre quand on évoque la séquence ci-dessus).
Sans mentionner que le film, comme la vie en état de guerre semble le suggérer, produit des ruptures de ton, ou des suspensions, qui demeurent marquantes : je prends exemple la séquence du petit garçon à la boîte de musique, qui accompagne pendant quelques instants le Sergent. Puis ce dernier le porte et là émotion... Dommage que tu ne l'ai pas ressentie. Mon implication totale dans le film m'a fait tomber facilement les larmes pendant ce grand moment, à la fois simple, déchirant et complexe... Le rythme de cette séquence est même poétique, on la commence dans la douceur, puis contemplative pour la finir en douceur mais avec un constat et une morale terribles.
J'ai envie de revoir le film, tiens...
PS :
Demi-Lune, je te suis, néanmoins, sur la défense du film de Spielberg, qui demeure toujours un beau morceau...