Le cinéma japonais

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Arn
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Re: Le cinéma japonais

Message par Arn »

J'ai fini le triptyque Kawashima de Badlands hier avec La bête élégante et coup de coeur pour celui ci. J'avais trouvé les deux premiers très bons et déjà assez ambitieux autant dans la forme que dans le fond.

Mais ici entre l'aspect huit clos et la critique acerbe de cette société japonaise en pleine mutation, j'ai été bluffé. La gestion de l'espace, du cadre dans ce petit appartement est d'une créativité qui rend le film fascinant à suivre juste pour voir où il va poser sa caméra, comment il va composer son cadre pour séparer, ou rassembler les personnages, les libérés ou les cloisonner. Et c'est toujours fait avec du sens. Le plan de toute la famille comme réunis derrière les barreaux vers la fin :o

Le scénario de Kaneto Shindô n'en est pas moins excellent, aussi drôle que grinçant, avec des dialogues ciselés, très rythmés, mais qui s'accordent quelques très beaux temps mort, décuplant encore la puissance de ces scènes plus grave (le discours du père sur la pauvreté, le final).

Merci Badlands pour ces trois films.
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Galatee
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Re: Le cinéma japonais

Message par Galatee »

Je n'ai pas le courage de remonter tout le fil de la discussion, quelqu'un a vu Fleur pâle de Shinoda ?
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Quand il eut passé le pont, des fantômes vinrent à sa rencontre.
The Eye Of Doom
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Re: Le cinéma japonais

Message par The Eye Of Doom »

Galatee a écrit : 19 avr. 23, 19:47 Je n'ai pas le courage de remonter tout le fil de la discussion, quelqu'un a vu Fleur pâle de Shinoda ?
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Vas voir sur le topic Shinoda.
J’en parle ici
viewtopic.php?p=2983740#p2983740
Mais je suis pas le seul.
Spoiler (cliquez pour afficher)
Et la fonction recherche ca fonctionne pas mal dans ces cas là… 8)
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Galatee
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Re: Le cinéma japonais

Message par Galatee »

Merci beaucoup.
Quand il eut passé le pont, des fantômes vinrent à sa rencontre.
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Re: Le cinéma japonais

Message par The Eye Of Doom »

Le temple des oies sauvages
Yuzo Kawashima
Après de deces de son protecteur, peintre de renom, une belle jeune femme se retrouve maîtresse d’un moine. Ce moine s’avère libidineux, jouisseur, et un brin sadique : il martyrise un jeune moinillon déshérité.

<<spoiler inside>>

J’avoue avoir eu du mal à rentrer dans ce film. Principalement par difficulté à saisir les personnages, leur motivations et leur évolution.
Leur motivations, ca vas encore : survivre.
Satako et Jinen subissent de façon parallèle mais différentes l’oppression de la société corrompue, veule et hypocrite incarnée par le moine, qui profite de la rente de sa charge. Sans trop se forcer d’ailleurs, son dilettantisme fini par se voir…
La femme est condamnée à etre entretenue et subir les assauts physiques, en demeurant dans une précarité financière totale.
Le jeune garcon est condamné a etre l’esclave du moine qui l’exploite sans merci, et avec de plus un discours justificatif hallucinant. Mais aussi à servir de chair a canon, des que l’occasion se presentera…

Cette oppression est montrée sans ambiguïté par le cineaste, sans grande finesse non plus (cf l’ouverture incroyable sur la fosse septique ou le plan avec la corde).

Ce decor campé, c’est la progression dramatique qui m’a un peu échappé. Satako se sent des pulsions maternelles (et +) vers ce jeune homme mutique, bloc de souffrance. Ok mais on n’y crois pas trop…
Jinen quant à lui ne supporte pas sa condition et surtout ses origines deshonorantes. Ok mais qu’est ce qui le fait passer à l’acte?
Le final est aussi curieux car complètement ouvert: que deviennent les personnages ?
La rupture de ton particulièrement ironique des derniers plans couleur montre, comme le souligne parfaitement Gans dans le bonus, la vacuité et l’insignifiance de tout ça : il ne reste rien qu’un décor figé pour touristes américains et un guide qui commente mécaniquement dans une langue que personne ne comprend.

Encore plus que dans « Les femmes naissent deux fois » le film deroute. Trop à mon gout, j’ai pas ete pris par le recit.

Les qualités du cineaste sont incontestables. On a une forme somptueuse, avec des plans n&b tres travaillés mais sans jamais sombrer dans l’esthétisme vain. Les personnages sont cernés, enfermés dans des cadres, ou bien apparaissent au loin, écrasés par leur environnement.
Le cinéaste réussit de tres nombreuses scenes, notamment le flash back sur l’expulsion du garçons du taudis familial (qui a du marqué l’Imamura de la Balade dd Narayama) ou le long moment, assez réjouissant, du transport du cercueil.
J’ai trouvé tres audacieux le fait de ne rien montrer ou expliquer de « drame », laissant au spectateur le soin de comprendre par lui même le ressort de l’intrigue.
Un élément essentiel non évoqué par Gans quand il parle des peintures est le fait que le restaurateur qui a refait la parte arrachée (par qui? comment? On n’en saura d’ailleurs rien…) s’est complètement trompé.
L’oeuvre d’origine, montre la mere oie tournée vers l’oisillon dans le nid, tres attentionnée envers sa progéniture.
C’est cette image qui est admiree au début du film et qui est detruite sauvagement à la fin. Le restaurateur fait un contre sens absolu en dessinant la mere s’eloignant du nid.
Pied de nez particulièrement cocasse et cynique, qui marque la perte totale de sens du japon contemporain.
A la vue de ce dernier plan, on pourrait penser que in fine c’est la le vrai message du cineaste: le drame de l’abandon par les parents. Satako est rejetée par sa mere qui s’est remariée. Jinen est doublement abandonné: par ses parents génétiques puis par sa mère adoptive (cf la scène poignante du flash back).

Un ton acide, cru, provoquant, goguenard.
Une critique implacable.
Une mise en scène somptueuse.
Une grande intelligence à l’oeuvre.
Mais un film pas commode, qui interpelle meme s’il n’emporte pas.

Je pense d’un coup aux auteurs « fin de siecle » style Mirbeau ou Lorrain !
Tout a fait le meme esprit.

EDIT : j’ai trouvé l’expression qui colle le mieux à ma perception du travail de Kawashima.
En fait Kawashima filme des scenes « comme si de rien n’etait ». Avec un coté détaché qui laisse le spectateur interpreter.
Je pense notamment au plan du moine ouvrant son coffre pour chercher quelques billets. A l’arriere plan, Satako et Jinen continuent de faire exactement ce qu’ils faisaient avant, rien de bouge, ne transpire,… mais on comprend bien sur dans ce plan ce que tous les deux ont en tete. Ou plutôt le spectateur projette sur ces deux personnages ses propres pensées de ce qu’il est en train de voir ou comprendre du film.
Il y a un art du non dit, tres habile.
The Eye Of Doom
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Re: Le cinéma japonais

Message par The Eye Of Doom »

La bête élégante
Yozu Kawashima

Chronique d’une journée d’une famille d’aigrefin dans le japon du boom économique. Mais les affaires commencent à sentir le roussi.

Kawashima est vraiment un cineaste déroutant. On a droit ici au portrait a la fois goguenard et amer d’une famille qui pour survivre profite des autres voire les volent. Le pere et la mere, image du japon traditionnel, sont effarés que leur fils ne leur ait pas donne tout l’argent volé à son boulot, pour en filer une large part à sa maîtresse. Et recommandent à leur fille de se rabibocher avec son riche amant, en lui demandant encore un peu d’argent.
Mais tout le monde arnaque tout le monde et se gave sur le boom économique, sans trop de risque car on se tient tous par la barbichette… Temoin, cette « bête élégante » qui tient les ficelles à son profit.
Plus que ce recit cynique d’une forme de corruption généralisée, c’est le ton qui surprend. Absence de melo, de pathos, de psychologie (ou si peu), on est dans la description cliniquo-comique.
Le personnage le plus intéressant est celui du pere, qui a tout du brave pere de famille japonais mais qui est pret à tout pour ne pas retourner à la misere noire qui a succédé à la guerre. D’ailleurs c’est sur lui en quelque sort que se clot l’intrigue:
Spoiler (cliquez pour afficher)
L’epouse n’ose le réveiller pour lui annoncer le suicide du « maillon faible ». A quoi bon…
Aucune sympathie pour ces personnages, ni bon ni mauvais in fine.
La forme n’aide pas: avec ses plus de 200 plans différents sur ce huis clos, on est comme une mouche observant la scene du plafond, de dessous la table, ou de derrière le frigo….
Tout de force bien sur, qui pulvérise la notion de theatre filmé (tout est dans le comment on filme). Il y a des plans assez osés, en frontal sous les jupes de la fille, ou de la cuvette des toilettes.
Mais Kawashima suspend aussi sans crier gare son dispositif pour de curieuses évocations du paysage mental des protagonistes. Ou des « cut » etranges.
Bref, rien de coule vraiment dans ce filme intrigant.

Les derniers plans sont peut-être les plus dévastateurs :
Spoiler (cliquez pour afficher)
On voit enfin l’immeuble mais comme un champs de ruines: d’une infinie tristesse.
Ayant dit tout ceci, le film m’a paru comme un exercice de style. Impossible de rentrer vraiment dedans je trouve….
A la vue des 3 films proposés, Kawashima ressort comme un formaliste extrêmement brillant, produisant des films percutants mais peu amènes pour le spectateur qui est emporté dans un flux non lineaire, malmené par la construction chahutée du cineaste. Le confort du spectateur (ou même simplement son adhésion) ne semble pas avoir été le 1er souci du cineaste. Il serait curieux de voir une de ses comédies, car le genre requiere tout de même un minimum de complicité du spectateur….
Christophe Gans en parle le mieux je trouve.
Mais personnellement, j’aurais du mal à être totalement enthousiasmé.
In fine c’est peut etre « les femmes naissent deux fois » qui m’a le plus emu.
Dans tout les cas, tres belle decouverte intrigante.
Merci encore à la team 1kult et vous pouvez remettre ca quand vous voulez!
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Vic Vega
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Re: Le cinéma japonais

Message par Vic Vega »

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Re: Topic naphtalinippon

Message par hansolo »

bruce randylan a écrit : 14 oct. 18, 08:27 La bataille navale à Hawaï et au large de la Malaisie (Kajiro Yamamoto – 1942)

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Encouragé par son cousin, un jeune homme cherche à devenir pilote pour l'armée. L’entraînement est plus dur que prévu mais il ne lâche rien.

Je viens de découvrir l'existence de ce film (apparemment le 1er volet d'une trilogie).
Je n'arrive pas à trouver comment se le procurer : existe il un DVD ou un Blu-ray ?
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Re: Topic naphtalinippon

Message par Abdul Alhazred »

hansolo a écrit : 8 sept. 23, 06:43
bruce randylan a écrit : 14 oct. 18, 08:27 La bataille navale à Hawaï et au large de la Malaisie (Kajiro Yamamoto – 1942)
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Encouragé par son cousin, un jeune homme cherche à devenir pilote pour l'armée. L’entraînement est plus dur que prévu mais il ne lâche rien.
Je viens de découvrir l'existence de ce film (apparemment le 1er volet d'une trilogie).
Je n'arrive pas à trouver comment se le procurer : existe il un DVD ou un Blu-ray ?
Ce n’est pas une trilogie en tant que telle, disons que Kajirô Yamamoto a réalisé coup sur coup trois films de propagande pour la Tôhô : La bataille navale à Hawaï et au large de la Malaisie, Les faucons du Colonel Kato (1944) et Raigekitai Shutsudô (1944, pas de titre français officiel à ma connaissance). Ils sont faits dans le même esprit mais n’ont pas de lien entre eux. De mémoire car je les ai vus il y a longtemps déjà, le meilleur est Les faucons du Colonel Kato (tombé dans le domaine public et dispo avec des sous-titres anglais sur Archive.org) mais c’est dans tous les cas de la grosse propagande qui tâche.
La bataille navale à Hawaï et au large de la Malaisie se trouve facilement sans sous-titres sur youtube ou avec des sous-titres espagnols sur des sites russes. J’ai une version qui traine avec des sous-titres anglais déjà synchronisés, je t’envoie un lien par MP.

Dans le genre propagandiste, j’avais largement préféré Les cinq éclaireurs (1938) ou Terre et soldats (1939, dispo sur youtube dans une qualité bof avec sous-titres anglais) de Tomotaka Tasaka, que j'avais longuement commenté sur mon blog il y a fort longtemps.
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Re: Le cinéma japonais

Message par bruce randylan »

Autre film projeté à la MCJP dans ce mini cycle L'art des charpentiers Japonais La pagode à 5 étages (Heinosuke Gosho - 1944)

Un prêtre désire construire une pagode à 5 étages dans l'enceinte de son temple, un projet ambitieux et complexe à élaborer. Alors qu'il pensait engager son architecte/menuisier habituel, Jûbei - employé de ce dernier et à l'allure débraillé - le supplie de l'engager en lui montrant une maquette qu'il a conçu lui-même.

Curieux film produit durant la guerre, où on peut deviner certaines sous-lectures propagandistes (abnégation, valorisation du patrimoine, obstination tenace, foi dans sa destinée...), cette histoire surprend par des enjeux dramatiques très succincts pour ne pas dire inexistants. Les conflits et rivalités sont d'autant plus maigres que le personnage de Jubei reste quasi unidimensionnel du début à la fin pour ainsi dire avec son caractère borné qui refuse tout compromis et aide. Ca reste ainsi extrêmement prévisible dans sa conclusion bien qu'un peu frustrant car on a du mal à concevoir pourquoi ce projet lui tient à ce point à cœur comme si ses motivations et sa psychologie étaient absents. Il n'est pas évident ainsi d'éprouver de la compassion ou de l'admiration pour lui voire à comprendre les raisons de son obstination même si on devine qu'il cherche à ressusciter un prestige familial disparu avec son père. Certes le film n'a survécu que dans une version légèrement tronquée de 4-5 minutes (sur 70 à la base) mais je suis pas sur que la version initiale corrige beaucoup ces lacunes. D'ailleurs, il s'agit clairement du personnage le moins intéressant du récit alors que son épouse, son rival ou le prêtre semblent plus complexes bien que peu présent dans le récit.
De plus la réalisation n'est pas particulièrement marquante, loin il est vrai du registre des shomin-geki, ces chroniques socio-familiales, qui ont établi la réputation de Gosho. Ca reste du travail bien fait mais un brin trop académique. Il n'y bien que le final qui soit un peu plus inspiré quand une tempête sévie peu après l'inauguration de la pagode et que certains interprètent comme un signe d'une colère divine cherchant à anéantir la construction, là où le héros y voit une épreuve validant sa résistance. Les trucages sont assez réussis et on sent enfin une réelle tension et des protagonistes avec un peu d'incarnation.

Après, et malgré mes réserves, ça reste quoiqu'il en soit un vraie rareté que je ne regrette pas d'avoir pu découvrir.

La séance était précédé du temple Horyûji (1958) signé par un Susumi Hani encore débutant et qui n'était pas encore passé aux longs-métrages. Difficile d'être objectif ayant visité ce temple moi-même, réputé comme étant la plus ancienne construction en bois toujours existante au monde (début du 7ème siècle). La réalisation bénéficie d'un budget confortable pour utiliser des plans depuis un hélicoptère ou de nombreux travellings et pouvoir accéder à certaines parties fermées au public, évitant ainsi la simple commande institutionnelle (sans être non plus un exercice de style). Ce documentaire de 22 minutes s'attardent autant aux bâtiment en bois, qu'à ses sublimes statues et sculptures. C'est évidement un peu didactique mais c'est très plaisant et bien mis en valeur.
"celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir"
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Re: Topic naphtalinippon

Message par The Eye Of Doom »

magobei a écrit : 24 févr. 11, 23:52 I Am Waiting (1957), de Koreyoshi Kurahara

Vendu comme un "film noir" par Criterion, I Am Waiting fait tout d'abord plus penser à une parabole humaniste façon L'ange ivre: c'est la rencontre de deux "paumés" au bout du monde, ie. le port de Yokohama. Scène d'ouverture d'ailleurs sublimée par son emballage expressionniste: les deux protagonistes, en imperméable clair, ressortent sur le noir de la nuit pluvieuse et de la mer, comme s'ils étaient sur le point d'être avalés par le néant.

Lui, Shimaki, ex-boxeur, n'a qu'une seule idée: quitter le Japon pour rejoindre son frère au Brésil. Elle, Saeko, ex-chanteuse vedette malade des cordes vocales ("un canari qui ne sait plus chanter"), fuit le cabaret où elle gagne sa croûte. Le duo est incarné par l'idole Yujiro Ishihara (dont le visage poupin convient à merveille à son rôle de "nice guy") et la très belle Mie Kitahara, deux icônes du mouvement "taiyozoku".

Shimaki recueille la belle fugueuse: elle va tomber amoureuse, mais lui reste fermé, ayant perdu foi dans le monde entier, craignant d'être à nouveau trahi - y compris par lui-même, comme le jour il a "perdu le contrôle", tuant un homme à mains nues. Dans sa 1ère première partie, le film est structuré autour de ces deux personnages; c'est presque un film de moeurs, reposant énormément sur les dialogues (on pourrait même lui reprocher d'être un poil bavard).

Dans la seconde partie, les gangsters font leur entrée, et on retombe dans les codes du yakuza eiga, une histoire musclée de vengeance.

C'est le premier film de Kurahara (qui réalisera plus tard Antarctica), et il n'est pas exempt de maniérisme; mais on ne boude pas son plaisir devant sa mise en scène stylée et théâtrale.

7,5/10
J’ai aussi bien aimé ce film même si l’intrigue est un peu lache, voire confuse.
Tout le debut m’a fait penser immédiatement au Spirit de Will Eisner : voies ferrées, baraques isolées, apparitions sous la pluie.
J’ai presque terminé le coffret Nikkatsu noir et
J’ai celui de Karahara à découvrir justement.

Ps : le final de « A colt is my passport » est bien sympa ! Forte influence du western italien.
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Profondo Rosso
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Re: Le cinéma japonais

Message par Profondo Rosso »

Passions juvéniles de Kō Nakahira (1956)

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Deux frères sont en compétition pour gagner les faveurs amoureuses d'une jeune femme, durant un été au bord de mer passé à jouer, naviguer et boire.

Passions juvéniles est une production s'inscrivant dans le du taïo-zoku, signifiant "tribus du soleil". Ce mouvement fait le portrait de la jeunesse japonaise hédoniste des années 50, et trouve sa source dans la littérature. En 1955, le jeune Shintaro Ishihara fait sensation en remportant le prestigieux Prix Akutagawa (équivalent japonais du Goncourt) pour son recueil de nouvelles Les Saisons du soleill. L'ouvrage remporte un succès considérable et devient un véritable phénomène générationnel dont le cinéma va s'emparer. En 1956 la Nikkatsu produit donc Les Saisons du soleil, adaptation de la nouvelle éponyme du recueil pour laquelle Shintaro Ishihara parvient à imposer son frère cadet, Yujiro Ishihara, en tête d'affiche. Le film est un triomphe et fait de Yujiro Ishihara une icône, le pendant de James Dean et Elvis Presley pour la jeunesse locale. Afin de battre le fer quand il est chaud, une seconde adaptation d'une autre nouvelle du livre est lancée avec Passions juvéniles qui sortira en salle en juillet 1956, soit quelques mois à peine après la sortie de Les Saisons du soleil le 17 mai de la même année. Shintaro Ishihara est encore plus impliqué puisqu'il en signe le scénario, et devient vraiment le porte-étendard de cette génération, tant au niveau du public que du milieu cinématographique. Il est ainsi scénariste, producteur, réalisateur de plusieurs adaptations de ses ouvrages et moteur de la Nouvelle Vague japonaise, voyant des réalisateurs prestigieux ou émergents comme Masahiro Shinoda (avec Captive Island (1960) et Fleur Pâle (1964)), Yuzo Kawashima (Le Baiser du voleur (1960)), Kon Ichikawa (La Salle du châtiment (1956)) Nagisa Oshima (Voyage à petit risque (1963)) transposer ses écrits. Le symbole de modernité que représente Shintaro Ishihara est d'autant plus ironique rétrospectivement puisqu'à partir de la fin des années 60 (et conseillé par son ami Yukio Mishima), il entame une brillante carrière politique qui le verra être un ponte du PLD, endosser les mandats prestigieux et être un des tenants des opinions les plus réactionnaires et conservatrices qui soit.

Passions juvéniles observe donc la jeunesse dorée japonaise s'abandonner aux plaisirs divers le temps d'un été. Nous allons plus particulièrement suivre deux frères aux caractères dissemblables, Natsuhisa (Yujiro Ishihara) et son cadet Haruji (Masahiko Tsugawa). Natsuhisa est un jeune homme typique de cette insouciance ambiante, aimant goûter les plaisirs divers tels que la boisson, le jeu, la danse et bien sûr les femmes. Haruji est plus introverti et délicat, un caractère sensible ne souffrant cependant pas du caractère envahissant de son aîné qui l'emmène dans toutes ses pérégrinations et l'introduit à ses amis. Ko Nakahira capture avec brio la langueur de l'été, le luxe des environnements où évoluent ces jeunes nantis, et multiplie les vues de panoramas exotiques chatoyants au sein desquels les protagonistes s'adonnent au ski nautique. Sous les rires et la beauté de ces corps vigoureux plane cependant le spectre d'un machisme nauséabond. Le groupe ne vise que les conquêtes éphémères, ne voient les femmes que sous forme de consommation éphémère dont ils n'ont aucuns scrupules à se débarrasser une fois parvenus à leurs fins - l'odieux Frank (Masumi Okada) renvoyant sa petite amie à l'envoyeur plutôt que de répondre au défi de son ex voulant se battre. Haruji dénote dans ce contexte, ayant jeté son dévolu sur Eri (Mie Kitahara), une belle jeune femme en apparence réservée dont il est immédiatement tombé amoureux. Lorsqu'il la présente à ses amis durant une soirée, ces derniers dont son frère ne sont pas dupes et devine l'expérience d'Eri sous ses airs discrets. Ko Nakahira excelle à traduire la tension érotique, dans la mesure de ce qu'il est encore possible de montrer dans le cinéma japonais des années 50. Un regard en coin, un frottement de jambe durant un bain de soleil suffit à troubler l'atmosphère et faire comprendre l'appel du pied que fait Eri à un Haruji intimidé qui trouve une excuse pour s'éloigner. Plus tard à l'abri nocturne d'une plage, le baiser innocent d'Haruji se voit répondre une embrassade bien plus agressive, le langage corporel lascif d'Eri cherche à enflammer les sens de son partenaire qui ne dépassera pas la gaucherie chaste. Eri tombe cependant progressivement amoureuse de ce garçon timide qui la respecte, alors que Natsuhisa la démasque comme épouse/maîtresse d'un riche occidental. Sous prétexte de protéger son frère, il oblige Eri à coucher avec lui afin qu'il garde le silence.

Le réalisateur par cette sensualité moite maintien une ambiguïté constante autour de ses personnages, dont l'incertitude des émotions s'annonce par leur rejet de la vie et l'avenir tout tracé de leurs aînés. Le cœur d'Eri la guide vers Haruji dont la timidité l'émeut mais la laisse insatisfaite, et ses sens se délectent des assauts pourtant abusifs de Natsuhisa - être l'initiatrice de l'un ou le jouet "consentant" de l'autre, là est le dilemme. Ce dernier tout à son masque d'indifférence prétend profiter du corps d'Eri, mais en tombe amoureux et souffre en comprenant qu'elle réserve ses sentiments à son frère. Enfin Haruji en découvrant si naïvement l'amour et le sexe est le plus susceptible de souffrir de la situation en comprenant la situation, en voyant son idéal et premier amour foulé du pied. Mie Kitahara et Yujiro Ishihara tomberont amoureux et se marieront après le tournage, et l'alchimie entre eux est palpable pour traduire le trouble charnel par l'image. L'instinct moral de refus cède vite à l'abandon au sens pour Eri, les assauts bestiaux de Natsuhisa se muent en caresses douces, notamment lors de l'escapade finale, et l'on ne sait où placer le curseur moral dans cette relation insaisissable - qui vaudront les louanges d'un François Truffaut critique qui compara le film à Et Dieu créa à la femme en jugeant Passions juvéniles bien supérieur. Pour Haruji sincère et passionné, pas d'entre-deux possible et la trahison dont il sera victime va le faire basculer dans une réaction radicale et désespérée dans une conclusion choc. Tout ce qui ne s'était ressenti que par les étreintes torrides ou les effleurements contenus cèdent ainsi dans un final aussi inattendu que brutal et cathartique, signant bien la fin de l'été et de l'innocence. 5/6
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