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Re: Eric Rohmer (1920-2010)
Publié : 22 juil. 14, 14:50
par Roy Neary
Jeremy Fox a écrit :Roy Neary a écrit : en dehors de sa mise en scène que je trouve pauvre et rebutante dans les années 70 et 80
Ce n'est pas parce que j'ai le dos tourné qu'il faut en profiter ; dis aussi que ça ressemblait à de mauvais téléfilms pendant que tu y es

Ah, là là, je suis pris par la patrouille...
Je n'entrerai pas sur ce terrain (très) glissant.

De toute façon, Rohmer - sauf exceptions - ne m'intéresse que par ses développements dramaturgiques (le suspense amoureux, l'auto-analyse émotionnel et parfois le regard social qu'évoque justement Amacord). En revanche, pour le style formel, je ne trouve quasiment rien à mon goût exception faite de ses films des années 60 et de ceux tournés à la fin de sa vie. Je me demande d'ailleurs comment, entre ces deux époques, il a pu aligner autant de films qui sont d'un tel simplisme visuel.
Re: Eric Rohmer (1920-2010)
Publié : 22 juil. 14, 15:13
par Strum
Amarcord a écrit :Félicie (Conte d'hiver) essaie d'analyser ses sentiments (qui ne le fait pas, d'ailleurs, chez Rohmer ?) mais n'en est pas vraiment capable ; elle peine à trouver les mots justes : sa mère la reprend, Maxence ne la contredit pas quand elle lui dit "tu sais bien comment je mets un mot pour un autre !", et elle va même jusqu'à se tromper dans sa propre adresse, faisant la confusion entre Levallois et Courbevoie (confusion/quiproquo qui sera d'ailleurs le point déterminant de ce que sera la destinée de Félicie).
Jeanne, au contraire, sait parfaitement quels mots utiliser (elle en remontre à la jeune Natacha, qui ignore par exemple ce qu'est "l'anneau de Gygès").
Alors bien sûr, là où toutes deux se rejoignent, c'est dans ce besoin (là encore, terriblement rohmérien !) d'analyser ses sentiments, ses raisonnements, ses mouvements du cœur... Mais il y a entre elles toute la distance rhétorique (et théorique, bien sûr !) qui sépare une coiffeuse d'une prof de philo (c'est quelque peu cruel, j'en conviens, mais ça doit nous rappeler à quel point le cinéma de Rohmer est aussi un cinéma subtilement social).
Félicie dans Conte d'Hiver ne possède pas les références philosophiques de Jeanne évidemment. Et plusieurs fois dans le film, effectivement, elle s'excuse de ses confusions et est reprise par sa mère. Mais en réalité, elle est parfaitement capable de raisonner à voix haute et de justifier ses choix par la rhétorique. Elle ne cesse de le faire à chaque scène (c'est pour cela que je parlais de "femmes de lettre" y compris pour Félicie, même si le terme n'était sans doute pas heureux pour elle). Plus encore : Félicie parle en fait très bien quand elle décrit ses choix (mieux qu'elle ne le croit) et trouve les mots et le raisonnement justes puisque les faits lui donnent raison ! Le père disparu revient. Tous les raisonnements qu'elle a échaffaudés aussi absurdes qu'ils aient paru à son entourage étaient donc en fait justes. C'est son entourage qui avait tort. Il ne faut donc pas se laisser leurrer par le fait qu'elle n'est que "coiffeuse". Si je n'ai pas beaucoup aimé ce film, c'est parce que le personnage de Félicie a fini par m'énerver à force. On voit venir la fin très vite et le seul suspense est de savoir quand l'aimé disparu, le père, reviendra. Et j'ai trouvé l'interprète bien moins séduisante qu'Anne Teyssèdre dans Conte de Printemps.
A l'inverse, tout le bagage philosophique de Jeanne dans Conte de Printemps ne l'empêche pas d'avoir des difficultés à agir en conformité avec ses véritables pensées et sentiments. Ses actions contredisent souvent ce qu'elle dit à voix haute. En réalité, elle n'a pas beaucoup de certitudes et semble vouloir se marier comme pour se protéger de la vie, pour mettre un terme à l'instabilité de ses actes et de ses véritables pensées. Elle a beau être prof de philo, elle est moins cohérente, moins sûre d'elle-même dans la vie, que la "coiffeuse" Félicie qui vit sa vie envers et contre tous. Jeanne se laisse même manipuler par une fille de 16 ans. Et quand Jeanne dit au père de Natacha qu'elle l'a laissé l'embrasser en référence aux "trois voeux", on voit bien qu'elle cherche a posteriori, mais sans nous convaincre, à justifier son comportement par une référence littéraire, une de plus.
Entre les deux films, c'est le charme de l'interprète féminin qui fait la différence pour moi, comme d'habitude dans un film de Rohmer. Peut-être aussi que les personnages bardés de certitudes, comme Félicie, m'ennuient un peu.
Sinon, je ne trouve rien de "social" dans le cinéma de Rohmer. Au contraire, il n'a rien de réaliste, tout le monde parle de la même façon, comme Rohmer lui-même.

C'est le cinéma d'un moraliste, vieille tradition littéraire française, qui se soucie peu du social à mon avis.
Amarcord a écrit :Justement non, il ne "fait (pas) dire" : née en 1964, Anne-Laure Meury (puisque c'est d'elle qu'il s'agit) a 15-16 ans au moment du tournage.
Il lui fait quand meme dire "j'ai 15 ans" dans le film. Mais je suis étonné de son âge véritable - elle fait beaucoup plus.
Roy a écrit :Tu fais bien de le préciser. Je crois que mon désintérêt quasi général pour le cinéma de Rohmer provient aussi - en dehors de sa mise en scène que je trouve pauvre et rebutante dans les années 70 et 80 (sauf exceptions) - de la faiblesse de caractérisation des personnages masculins. Avec ceux qu'incarnaient Trintignant et Brialy, ça passait déjà beaucoup mieux pour moi. D'ailleurs Pascal Greggory (que le cinéaste a découvert), qui est un acteur que j'apprécie normalement, m'est vraiment insupportable chez Rohmer.
Effectivement, il ne faut pas regarder Rohmer pour le charisme de ses personnages masculins et l'inventivité de sa mise en scène.

Enfin, je préfère quand même son découpage, qui illustre efficacement ses suspenses moraux et sentimentaux, à la caméra à l'épaule tremblotante de trop de films français aujourd'hui.
Re: Eric Rohmer (1920-2010)
Publié : 22 juil. 14, 16:07
par Amarcord
Strum a écrit :elle parle bien et trouve les mots et le raisonnement justes puisque les faits lui donnent raison ! Le père disparu revient. Tous les raisonnements qu'elle a échaffaudés aussi absurdes qu'ils aient paru à son entourage étaient donc en fait justes. C'est son entourage qui avait tort.
Je ne suis pas sûr qu'il faille, dans le cas précis du
Conte d'hiver, raisonner en termes de "qui a raison, qui a tort"... Les faits ne donnent pas raison à Félicie parce qu'elle trouve les mots ou les raisonnements justes, il me semble... On est plus dans une dimension "merveilleuse", ici... C'est le Rohmer pascalien qui s'exprime ici : celui de
Ma nuit chez Maud (ce n'est d'ailleurs pas un hasard si, au cœur du
Conte d'hiver, on évoque très directement le pari de Pascal). C'est ce pari-là que fait Félicie, quand elle veut croire dur comme fer que son prince charmant (car c'est bien de cela qu'il s'agit... cf. l'idylle montrée façon vidéoclip, au début du film) réapparaîtra un jour. La probabilité que cela advienne est, objectivement, quasi nulle. Or cela se produit tout de même. Mais on est dans quelque chose qui est de l'ordre du miracle (c'est assez ironique quand on voit - et le film le montre très clairement - la relation que Félicie entretient avec la religion) : le film (le cinéaste ?) accorde à Félicie ce miracle... J'ai du mal à en déduire qu'elle a eu "raison" contre les autres qui auraient "tort" (la raison n'ayant, de mon point de vue, que très peu de place ici).
Strum a écrit :Elle a beau être prof de philo, elle est moins cohérente, moins sûre d'elle-même dans la vie, que la "coiffeuse" Félicie qui vit sa vie envers et contre tous.
Parce que Félicie vit dans "son" monde (où tout doit finir, tôt ou tard, par bien s'ordonner selon ses désirs, précisément "envers et contre tous", comme tu le dis toi-même... ce qui ne va pas sans causer quelques dégâts collatéraux : cf. la consternation d'à peu près tout son entourage), et non pas "dans la vie"... Dans de telles conditions, il est alors plus facile de paraître plus "cohérente", plus "sûre d'elle-même dans la vie" (encore que : elle accepte de tout quitter à Paris pour s'installer à Nevers avec sa fille... pour finalement changer à nouveau d'avis deux jours après... en fait d'assurance, elle se pose là, Félicie !).
Strum a écrit :Il ne faut donc pas se laisser leurrer par le fait qu'elle n'est que "coiffeuse".
Cela étant, toute coiffeuse qu'elle est, Félicie s'avère capable d'être touchée au-delà de l'imaginable par la pièce de théâtre qu'elle va voir un soir, avec Loïc l'intello. Rohmer ne "leurre" donc personne avec sa condition de coiffeuse, puisqu'il la montre tout à fait apte à "capter" l'essence du
Conte d'hiver de Shakespeare.
Strum a écrit :Sinon, je ne trouve rien de "social" dans le cinéma de Rohmer. Au contraire, il n'a rien de réaliste, tout le monde parle de la même façon, comme Rohmer lui-même.

C'est le cinéma d'un moraliste, vieille tradition littéraire française, qui se soucie peu du social.

Pas d'accord du tout (évidemment !) avec la dernière partie de cette opinion... Oui, Rohmer est un "moraliste, vieille tradition littéraire française"... et alors ? Cela ne l'empêche nullement, me semble-t-il, d'être "aussi" un cinéaste social. Que tout le monde parle de la même façon dans les films de Rohmer ne me paraît pas non plus de nature à remettre en cause l'aspect social de son cinéma (au contraire, même : je trouve toujours suspect cette manière de vouloir représenter "un peu tout le monde" dans un film, sous prétexte de réalisme... ça fait bidon, pour moi ; j'aime le cinéma de Rohmer "aussi" pour cette façon qu'il a de ne céder à aucune mode, aucun diktat).
Dire qu'il se "soucie peu du social" relève presque de la provocation, pour moi. Et pour tout dire, je suis même étonné qu'on puisse sincèrement le penser.
Re: Eric Rohmer (1920-2010)
Publié : 22 juil. 14, 16:20
par Strum
Amarcord a écrit :Je ne suis pas sûr qu'il faille, dans le cas précis du Conte d'hiver, raisonner en termes de "qui a raison, qui a tort"... Les faits ne donnent pas raison à Félicie parce qu'elle trouve les mots ou les raisonnements justes, il me semble... On est plus dans une dimension "merveilleuse", ici... C'est le Rohmer pascalien qui s'exprime ici : celui de Ma nuit chez Maud (ce n'est d'ailleurs pas un hasard si, au cœur du Conte d'hiver, on évoque très directement le pari de Pascal). C'est ce pari-là que fait Félicie, quand elle veut croire dur comme fer que son prince charmant (car c'est bien de cela qu'il s'agit... cf. l'idylle montrée façon vidéoclip, au début du film) réapparaîtra un jour. La probabilité que cela advienne est, objectivement, quasi nulle. Or cela se produit tout de même. Mais on est dans quelque chose qui est de l'ordre du miracle (c'est assez ironique quand on voit - et le film le montre très clairement - la relation que Félicie entretient avec la religion) : le film (le cinéaste ?) accorde à Félicie ce miracle... J'ai du mal à en déduire qu'elle a eu "raison" contre les autres qui auraient "tort" (la raison n'ayant, de mon point de vue, que très peu de place ici).
Le personnage de Félicie illustre le pari pascalien, on est d'accord. Ce qu'elle exprime est de l'ordre de la foi. Mais elle l'exprime très bien. Elle parle très bien dans le film. C'est ce que je voulais dire. Donc l'opposer parce qu'elle ne serait que "coiffeuse" à une prof de philo qui parlerait forcément mieux, cela ne me parait pas évident au vu des deux films.

Pas d'accord du tout (évidemment !) avec la dernière partie de cette opinion... Oui, Rohmer est un "moraliste, vieille tradition littéraire française"... et alors ? Cela ne l'empêche nullement, me semble-t-il, d'être "aussi" un cinéaste social. Que tout le monde parle de la même façon dans les films de Rohmer ne me paraît pas non plus de nature à remettre en cause l'aspect social de son cinéma (au contraire, même : je trouve toujours suspect cette manière de vouloir représenter "un peu tout le monde" dans un film, sous prétexte de réalisme... ça fait bidon, pour moi ; j'aime le cinéma de Rohmer "aussi" pour cette façon qu'il a de ne céder à aucune mode, aucun diktat).
Dire qu'il se "soucie peu du social" relève presque de la provocation, pour moi. Et pour tout dire, je suis même étonné qu'on puisse sincèrement le penser.
Etonnement partagé !

J'ai un peu de mal à comprendre ta réaction et ta position ici. En quoi serait-ce forcément bien de faire du "cinéma social" ? Note que ce n'est pas un reproche que je fais à Rohmer. D'ailleurs, le cinéma social, le cinéma à thèse, m'ennuie en général. Les Dardennes font un cinéma social et politique, pas Rohmer. Il n'y a rien de "social" dans ses films. Il ne défend pas une classe par rapport à une autre, il ne dénonce pas la société et son organisation, il ne dénonce pas des conditions de travail, il ne se pose pas la question des rapports de classe, il ne s'intéresse pas aux moyens d'existence de ses personnages, et peu lui importe qu'une coiffeuse parle comme une prof de philo (ce qui socialement est peu crédible) ou que ses films ne soient pas réalistes. C'est aussi le langage qui dit les différences sociales et Rohmer en faisant parler tout le monde de la même façon détruit tout rapport de classes. Je pense que l'on n'a pas la même définition du "cinéma social" et sans doute que la mienne te parait trop restrictive. C'est peut-être pour cela qu'on ne se comprend pas (mais ce n'est pas la première fois).
Re: Eric Rohmer (1920-2010)
Publié : 22 juil. 14, 16:51
par Amarcord
Strum a écrit : En quoi serait-ce forcément bien de faire du "cinéma social" ?
Ce n'est ni bien, ni mal. C'est juste que je ne suis pas d'accord pour dire que l'aspect social est une dimension absente du cinéma de Rohmer (dire qu' "il n'y a
rien de "social" dans ses films", ça me paraît pour le moins... radical).
Alors bien sûr, Rohmer n'est pas les Dardennes (tant mieux), mais ça ne l'empêche pas d'aborder le social avec son regard, à lui. C'est plus subtil, c'est moins frontal, mais c'est bien là (un exemple me vient soudain à l'esprit : dans
L'Ami de mon amie, une séquence au bord d'un lac, le dimanche... Les deux "héros" côtoient par la force des choses les prolos (immigrés ou non) venus là pour échapper aux barres d'immeubles qu'ils habitent toute la semaine... "Lui" (Fabien) semble presque trouver ça gênant, alors qu' "elle" (Blanche) a l'impression de voyager... Deux visions qui s'opposent doucement, naturellement, sans long discours politique : voilà, avec peu de mots, Rohmer vient d'évoquer cette réalité sociale qui plaît ou qui ne plaît pas - il ne prend pas partie, c'est vrai, je te l'accorde).
Strum a écrit : peu lui importe qu'une coiffeuse parle comme une prof de philo (ce qui socialement est peu crédible).
Pour moi, elle ne parle pas "
comme" une prof de philo (ce qui serait effectivement peu crédible, socialement) : elle parle "
de" philo. Avec ses mots à elle, son langage (parfois confus). Elle n'a évidemment pas le même niveau de langage que la prof de philo (c'est pourquoi j'ai du mal à les mettre en parallèle).
Re: Eric Rohmer (1920-2010)
Publié : 22 juil. 14, 16:55
par Strum
Amarcord a écrit :Alors bien sûr, Rohmer n'est pas les Dardennes (tant mieux), mais ça ne l'empêche pas d'aborder le social avec son regard, à lui. C'est plus subtil, c'est moins frontal, mais c'est bien là (un exemple me vient soudain à l'esprit : dans L'Ami de mon amie, une séquence au bord d'un lac, le dimanche... Les deux "héros" côtoient par la force des choses les prolos (immigrés ou non) venus là pour échapper aux barres d'immeubles qu'ils habitent toute la semaine... "Lui" (Fabien) semble presque trouver ça gênant, alors qu' "elle" (Blanche) a l'impression de voyager... Deux visions qui s'opposent doucement, naturellement, sans long discours politique : voilà, avec peu de mots, Rohmer vient d'évoquer cette réalité sociale qui plaît ou qui ne plaît pas - il ne prend pas partie, c'est vrai, je te l'accorde).
Ben, comment dire, c'est un peu léger pour dire que c'est un "cinéaste social".

Quant à Félicie, elle raisonne en permanence, même si elle n'a pas toujours les références et le vocabulaire adéquats. La philosophie, à mon avis, c'est essentiellement la capacité à poser et exprimer un raisonnement, ce qui finit par produire des concepts. Les gens qui raisonnent constamment à voix haute dans la vraie vie, c'est rare.
Re: Eric Rohmer (1920-2010)
Publié : 22 juil. 14, 17:09
par Amarcord
Strum a écrit :Ben, comment dire, c'est un peu léger pour dire que c'est un "cinéaste social".
Strum, tu exagères : finir par me faire dire que Rohmer est un "cinéaste social" (là où je me suis échiné à mettre en avant, au contraire, la nuance, la subtilité, l'existence d'une "dimension" sociale à l'intérieur d'un cinéma qui ne l'est évidemment pas)... Tu me fais de la peine !
Strum a écrit :Quant à Félicie, elle raisonne, même si elle n'a pas les références et le vocabulaire adéquats. La philosophie, à mon avis, c'est essentiellement la capacité à poser et exprimer un raisonnement, ce qui finit par produire des concepts.
Difficile de ne pas être d'accord avec ça : dont acte.
Mais je pourrais arguer (un peu à ta manière) que ce n'est pas parce qu'elle "raisonne" qu'on peut dire de Félicie qu'elle fait de la "philo" ("
c'est un peu léger", pour te paraphraser

). Pour moi, Félicie est avant tout une rêveuse obstinée à qui les faits donneront raison de manière tout à fait irrationnelle... En attendant, elle "raisonne" (comme tout bon personnage rohmérien qui se respecte).
Au fil de notre échange, je me suis demandé s'il y a des films de Rohmer que tu n'as pas encore vus ?
Et, au passage, je trouve que c'est une très bonne idée de ne voir ces films que par "mini cycles", comme tu sembles le faire... Voilà au moins une chose où l'on va se rejoindre : je fais exactement pareil. Je revois les Rohmer par "mini cycles", presque chaque année (pour une bonne dizaine, en tout cas, c'est chaque année), en poussant même le vice à accorder mes visionnages aux saisons représentées dans les films (en ce moment, je suis donc en plein dans
Conte d'été,
Pauline à la plage,
Le Rayon vert,
Le Genou de Claire,
La Collectionneuse...).
Re: Eric Rohmer (1920-2010)
Publié : 22 juil. 14, 17:25
par Strum
Amarcord a écrit :Strum, tu exagères : finir par me faire dire que Rohmer est un "cinéaste social" (là où je me suis échiné à mettre en avant, au contraire, la nuance, la subtilité, l'existence d'une "dimension" sociale à l'intérieur d'un cinéma qui ne l'est évidemment pas)... Tu me fais de la peine !

Ah. Il faut que tu assumes ce que tu écris. Ce n'est pas moi qui t'ai fait écrire plus haut, quand tu semblais très à cheval sur l'aspect social au point de te dire "choqué" :
Amarcord a écrit : 
Pas d'accord du tout (évidemment !) avec la dernière partie de cette opinion... Oui, Rohmer est un "moraliste, vieille tradition littéraire française"... et alors ? Cela ne l'empêche nullement, me semble-t-il, d'être "aussi" un
cinéaste social. Que tout le monde parle de la même façon dans les films de Rohmer ne me paraît pas non plus de nature à remettre en cause l'aspect social de son cinéma (au contraire, même : je trouve toujours suspect cette manière de vouloir représenter "un peu tout le monde" dans un film, sous prétexte de réalisme... ça fait bidon, pour moi ; j'aime le cinéma de Rohmer "aussi" pour cette façon qu'il a de ne céder à aucune mode, aucun diktat).
Dire qu'il se "soucie peu du social" relève presque de la provocation, pour moi. Et pour tout dire, je suis même étonné qu'on puisse sincèrement le penser.
Quant à te faire de la "peine" et puisqu'on en est à se dire des gentillesses : c'est plutôt moi qui me suis donné de la "peine" pour t'expliquer en quoi c'était paradoxal de dire que Rohmer était un cinéaste social. Tu aurais pu avoir assez de bonne foi pour admettre que tu avais un peu forcé le trait (parce que, honnêtement, Rohmer un cinéaste social, ce n'est pas loin du contre-sens, lui qui avait d'ailleurs des idées très à droite), mais non. Dommage, cela aurait été pas mal de bien finir cette discussion, sans chamaillerie. Du coup, je n'ai pas très envie de discuter du reste de la filmographie de Rohmer avec toi.
Re: Eric Rohmer (1920-2010)
Publié : 22 juil. 14, 21:30
par Amarcord
Strum a écrit :Dommage, cela aurait été pas mal de bien finir cette discussion, sans chamaillerie. Du coup, je n'ai pas très envie de discuter du reste de la filmographie de Rohmer avec toi.

Un truc doit m'échapper, là, mais ce n'est pas bien grave...
Hormis le fait que je ne vois pas trop en quoi cette discussion finit mal ("
puisqu'on en est à se dire des gentillesses"... carrément !), je confirme les propos que tu cites : oui, Rohmer est pour moi "aussi" (c'est important) un cinéaste social (au sens large, qui observe la société qui l'entoure, n'en est pas étranger, et non pas dans un sens basiquement politique : rien de paradoxal là-dedans), mais il n'est pas
que ça. Je n'ai rien dit d'autre que ça, mais il est très possible que je l'aie mal dit.
Que tu ne veuilles pas discuter avec moi n'est pas, non plus, fondamentalement grave en soi. Mais alors peut-être qu'un autre que moi trouvera que résumer Rohmer à "des idées très à droite" (ce qui le disqualifierait, donc, pour parler de la société ?), ce n'est pas, non plus, faire spécialement preuve "d'assez de bonne foi".
Re: Eric Rohmer (1920-2010)
Publié : 25 juil. 14, 09:16
par Harry Caine
Strum a écrit :parce que, honnêtement, Rohmer un cinéaste social, ce n'est pas loin du contre-sens, lui qui avait d'ailleurs des idées très à droite
Pour quelqu'un qui dit ne pas aimer les personnages bardés de certitudes, on peut dire que tu as les tiennes. Comme souvent, je suppose que ce sont les certitudes des autres qui te sont difficilement supportables
Rohmer n'a pas des idées "très" à droite, on peut juste le qualifier de conservateur passéiste. Il est vrai qu'il n'est pas de gauche.
Je suppose que c'est une grande faute à tes yeux puisque la façon dont tu définis le "social"
Strum a écrit :Il ne défend pas une classe par rapport à une autre, il ne dénonce pas la société et son organisation, il ne dénonce pas des conditions de travail, il ne se pose pas la question des rapports de classe, il ne s'intéresse pas aux moyens d'existence de ses personnages,
est pour le moins bien caricaturale. Rohmer ne fait pas du cinéma social, mais dire qu'il ne s'intéresse pas au social, c'est pour moi un total contre-sens.
Le social, au sens noble du terme, c'est l'étude des relations entre individus au sein d'une communauté ou d'une société.
Sachant que Rohmer monte justement une communauté au début de presque tous ses films pour en observer les relations entre individus, c'est un cinéma dont la préoccupation est éminemment sociale.
A la rigueur, tu pourrais dire que ses communautés ou petites sociétés sont très décalées de la réalité du monde, mais si tu t'intéresses non pas au discours des personnages, mais, par exemple, à l'importance de la géographie dans les films de Rohmer, tu devras bien admettre qu'il y a une relation très forte entre les personnages et le monde qui les entoure. Et l'importance de la géographie sociale dans le cinéma de Rohmer, ça me paraît avoir une qualité "sociale" qui vaut largement le caractère très commun de pas mal de films sociaux.
S'intéresser à l'habitat, au logement, aux villes nouvelles, à la construction d'une médiathèque dans une petite ville de province, ce sont aussi des préoccupations à caractère social, ancrées dans la réalité.
Au sens noble (de droite

) plutôt qu'au sens commun, le social est bien présent dans le cinéma de Rohmer.
Re: Eric Rohmer (1920-2010)
Publié : 25 juil. 14, 10:25
par Strum
Il ne faut pas confondre "social" et "sociétal" ou "sociologique". Ce que l'on appelle communément "cinéma social" relève pour moi moins de la sociologie que d'un cinéma ayant une conscience sociale, désireux de décrire des rapports de classe, de montrer le travail en tant que moyen d'existence, de montrer des conditions et des situations de travail, de montrer comment l'organisation de la société produit des différences entre les individus, dans le langage, les idées, les vêtements, voire de dénoncer ces différences et d'y voir des inégalités. Rohmer décrit des communautés, mais c'est une communauté de gens parlant de manière identique ou presque quelque soient leurs métiers (ce qui n'est guère crédible), aux mêmes référents, détachés du contingent et des réalités matérielles de la vie. Rohmer part de situations réelles, mais après ce qui semble l'intéresser, c'est comment ses personnages vont se justifier et se sortir, par le biais de la parole et du dialogue, presque comme dans un roman épistolaire, des jeux sentimentaux et moraux dans lesquels ils se sont mis, peu importe comment ces jeux s'inscrivent dans le réel ou interragissent par rapport au reste de la société. Ces jeux sentimentaux et moraux, c'est pour moi la principale caractéristique de son cinéma (pour la grosse douzaine de films que j'ai vus de lui), dont j'ai parfois l'impression qu'il pourrait se passer à une autre époque que la nôtre. Je suis moins bardé de certitudes que tu ne l'impliques (à propos, depuis quand aimons-nous au cinéma les personnages qui nous ressemblent ?), je suis juste têtu sur certaines choses et je recherche une certaine cohérence dans le vocabulaire, mon vocabulaire étant le vocabulaire commun. Ken Loach et les Dardennes sont pour moi des cinéastes sociaux. Je pense que le mot social, quand on parle communément de "cinéaste social", est connoté par ce type de cinéma et par d'autres associations sémantiques (politique sociale, redistribution sociale, etc.). Tant pis si mon usage du mot social te parait si restrictif. La preuve qu'il s'agit d'une question de vocabulaire c'est que tu essaies toi-même de justifier dans ton post un usage soit-disant "noble" (et qu'est-ce que cela veut dire "de droite" ici ? Je croyais à te lire que Rohmer n'était pas "de droite" ?) du mot social (distinction sémantique qui ne me parait pas du tout évidente, ni justifié par le mot social dans son sens commun), dont tu étends librement le sens jusqu'au sociétal. On n'écrit pas que pour soi. On écrit aussi pour les autres. Amarcord, toi, et moi un peu, connaissons Rohmer et pouvons faire la part des choses. En revanche, dire qu'il est un "cinéaste social" donnerait de lui une image fausse à mon avis à quelqu'un qui ne le connait pas.
Sinon, pour ce qui est de tes piques : être de gauche ou de droite n'a jamais été une faute en soi à mes yeux. C'est tout à fait l'inverse puisque je pense que se dire "de gauche" ou " de droite", le coeur sur la main, relève parfois d'une réaction émotionnelle où l'on ne regarde que les grands principes sans se demander quelles conséquences réelles les lois votées ont dans la vraie vie. Or, en réalité, seules ces conséquences dans le réel importent. Seules importent donc les mesures réelles que l'on défend et le fait de se dire de gauche ou de droite n'a que peu d'importance pour moi aujourd'hui. Ce n'est pas du cynisme : j'ai vu beaucoup de lois avoir dans le réel les effets inverses de ce que les grands principes qui les sous-tendaient pré-supposaient. Manifestement, ma référence aux idées "de droite" de Rohmer (qui n'était là que pour essayer de montrer plus explicitement ma définition du mot social, un peu socialisante, dans l'expression "cinéaste social") n'était pas très heureuse.
Re: Eric Rohmer (1920-2010)
Publié : 25 juil. 14, 14:19
par Harry Caine
Je pense que personne n'a voulu dire ici que Rohmer était un cinéaste social au sens militant du terme, seulement que l'aspect social n'était pas négligeable dans ses films, même si c'est discret et plus de l'ordre de l'observation que de la déclamation. Selon la définition du terme, la réflexion sur les rapports entre individus dans une société, le social est quelque chose de neutre.
Parce qu'ils mettent en scène des personnages qui ont beaucoup de points communs, ses films mettent justement en relief des aspects sociaux qui ne sont pas politiques, mais qui sont réels, notamment dans la géographie et la relation entre les personnages et leur milieu de vie. De même, les personnages ne sont jamais extrèmes (pauvres ou très riches), mais finalement assez finement typés par leur métier, situation de vie, et pas si hors de leur époque que cela.
Le sociétal, qui fait référence à l'organisation de la société, n'a pour le coup pas grand chose à voir, c'est plus du jargon administratif.
Enfin, je ne réagis et ne plaisante pas sur le fait que tu écrives que Rohmer est un homme de droite, ce qui est communément admis, même si assez réducteur, mais sur le fait de le dire très à droite, ce qui est un peu ridicule, qualifiant quelqu'un qui n'est jamais vraiment intervenu de façon politique. Tant qu'à dire qu'un homme de droite ne se préoccupe pas de social...un architecte a un métier d'une grande importance sociale et je suppose qu'il existe des architectes de droite.
Pour le gauche / droite, je plaisantais sur le sujet avec le noble / commun, mais c'est quand même toi qui qualifiait Rohmer d'homme de droite, je jouais juste sur les mots.
Re: Eric Rohmer (1920-2010)
Publié : 25 juil. 14, 14:27
par Strum
Justement, pour moi, le terme "cinéaste social" et le mot "social" tels qu'ils sont utilisés aujourd'hui ne sont pas neutres. On ne va pas réussir à s'entendre si tu penses le contraire. Quant à la géographie et à la relation avec leur milieu, je continue de penser que les personnages de Rohmer parlent presque tous de la même manière et donc se ressemblent, nonobstant leurs métiers différents. Quant au "très" (à droite) qui semble te perturber, j'avoue que je n'y ai pas beaucoup réfléchi en l'écrivant (j'aurais dû) et n'y ai pas mis d'intention malicieuse, crois-le ou non. J'ai compris ta position, tu as compris, j'espère, la mienne (même le mot "sociétal" je pense, qui n'est pas employé par l'administration ...). Restons-en là.
Re: Eric Rohmer (1920-2010)
Publié : 29 juil. 14, 11:42
par Amarcord
Deux émissions ("
Tous les cinémas du monde") sur RFI consacrées à Rohmer (apparemment, des rediffusions de janvier dernier), avec Françoise Etchegaray et Antoine de Baecque (coauteur avec Noël Herpe de la biographie de Rohmer) diffusées il y a quelques jours, mais encore dispo en podcast et même directement téléchargeables :
- la
première dure 20 minutes ;
- la
seconde dure 26 minutes.
Par ailleurs, Arte rend hommage (c'est un peu une coutume annuelle, non ?!) à Rohmer, avec la diffusion du
Genou de Claire et de
Ma nuit chez Maud (le 4 août, à 20h50 et à 00h20), ainsi qu'un "Court Circuit" spécial Rohmer (le 8 août à 00h10), avec un reportage sur la société de production "Les Films du Losange" et la diffusion de
Véronique et son cancre et de
La sonate à Kreutzer, ainsi qu'une rencontre avec le biographe de Rohmer (Noël Herpe) et Anne-Sophie Rouvillois (l'une des "égéries" de Rohmer, impliquée dans la série
Anniversaire).
Re: Eric Rohmer (1920-2010)
Publié : 8 août 14, 10:47
par Jack Carter
pour ceux comme moi qui n'ont pas investi dans le coffret Potemkine, diffusion ce soir d'un moyen metrage rare d'Eric Rohmer,
La Sonate à Kreutzer, diffusé cette nuit à 1h05 sur Arte, apres l'emission court-circuit
