Quelques considérations sur Raoul Walsh..
Le simple projet caressé d'en revoir le maximum à domicile s'est vu propulsé séance tenante vers le passage à l'acte par deux interventions classikiennes : celle de Jack Carter annonçant la giga rétrospective de la Cinémathèque et l'analyse de
L'Enfer est à lui (
White Heat, 1949) par Thaddeus.
Il y eu également un petit fait récent qui a m'a remis le feu aux poudres : un extrait d'interview de Pierre Rissient, dans la série de Tavernier sur le cinéma français, où il disait que pour lui et tous les "macmahoniens", Raoul Walsh était placé plus haut que John Ford, que William Wellman ou que Howard Hawks. Il était tout simplement le plus grand cinéaste américain.
Sans qu'il s'agisse de vérifier les contours de l'assertion muni d'un double décimètre ou d'un quelconque outil de mesure, j'ai voulu me replonger dans l'univers du réalisateur pour en cartographier la richesse.
Et une évidence n'en finit plus de s'imposer à moi : cette richesse, qu'il faut bien qualifier de génie, ruisselle de toute part, s'immisce dans la moindre excavation de la réalisation, dévale torrentiellement ou s'écoule paisiblement en fonction du terrain, de l'humeur, de la part parfois secrète du cinéaste qui nous révèle soudainement une vision parfaitement romantique.
Raoul Walsh a beaucoup tourné. De nombreux films sont perdus (ceux des années 10-20) et certains parmi eux paraissaient alléchants (
The Honor System,
The Celestial Code) ou bien d'entières périodes n'incitent guère à la curiosité (beaucoup de films des années 30 peu réputés), mais en face de cela, tellement de films, sans qu'ils s'agissent forcément de chefs d'œuvre, attestent d'une vision du monde si altière sans être jamais hautaine, si puissamment romanesque et d'un romanesque tellement versatile dans ses composantes que le sentiment du "quand il y en a plus, y en a encore" ne peut que régner en maître chez ceux qui entreprennent le voyage.
Là se trouve la possible définition de la richesse walshienne, dans ce ruissellement perpétuel, comme intarissable, de la tournure romanesque, dont on sent qu’elle excède le simple fait d’émaner d’un artiste à la forte personnalité pour mieux correspondre à l’idée que l’on pourrait se faire d’une œuvre à prendre comme l’excroissance d’un choix de vie.
Ce n’est pas qu’une affaire de génération (celle des pionniers du cinéma hollywoodien). Chez Walsh, et là est la spécificité de son art, l’expérience de la vie imprègne la fabrication des films quand cette dernière, à son tour, vient nourrir l’expérience.
Il y a là quelque chose de vertigineux qui explique en partie que les chefs d’œuvre viennent régulièrement fondre en escouades (sauf au milieu des années 30) sur la filmographie sans qu’à un quelconque moment du parcours, l’on sente la tension créatrice retomber, malgré les films parfois faiblards, qui peuvent surgir ici ou là.
L’œuvre, dans son ensemble, parait extrêmement libre alors qu’elle est lovée au cœur du système hollywoodien. Les tracas, les contingences de la production, le diktat oppressant des producteurs semblent ne pas l’impacter (alors que Walsh a du maintes et maintes fois les subir, comme tout le monde).
C’est que nous en sommes toujours au même point : en plus d’avoir fait partie des pionniers, le choix de vie du bonhomme, ouvert à l’aventure, aux expérience limites (voir son autobiographie
Un Demi-siècle à Hollywood, où certaines anecdotes abasourdissent), au goût évident pour la débrouillardise la plus totale, ont très vite fait un homme de Raoul Walsh et un homme de confiance très vite respecté par ceux qui l’employaient dont David Wark Griffith.
Ce respect alloué, le spectateur le ressent tout au long de la filmographie, par l’impression d’assurance que les films distillent, assurance mêlée de liberté, d’absence de pudibonderie et de jugement moral (dans son autobiographie, il ne nous cache pas son mariage tardif, à plus de cinquante balais, après une vie de garçon riche en expériences sexuelles), assurance du trait, du geste cinématographique, du coup de caméra comme on dirait coup de fusain, assurance enfin de la mise en condition des comédiens, des figurants, tous pas seulement dirigés ou mis en place, mais plongés au cœur de l’incessant bouillonnement concocté par celui que la plupart des producteurs nommaient L’Irlandais, qu’Errol Flynn, affectueux, appelait L’Oncle et que Mary Pickford considérait comme son grand frère.
A suivre..