Les nuits de la pleine lune (1984)
Certes, ce n'est pas le meilleur de la série des
Contes et proverbes. Mais la petite partition de Rohmer a su me cueillir, une fois de plus. En tout cas s'agissant des
Contes et proverbes, car j'avoue avoir plus de mal avec les
Contes moraux.
Je comprends qu'on puisse rester extérieur à son dispositif du dialogue châtié, du jeu particulier des comédiens, du minimalisme de la réalisation, ou qu'on trouve à redire sur la patine 80's de l'ensemble, les chansons façon Club Dorothée d'Elli & Jacno, qu'on soit agacé par Pascale Ogier, son nœud dans les cheveux en choucroute, et ses atermoiements amoureux. Pour ma part, cette sève toute rohmérienne agit sur moi à plein, m'enchante de par sa musicalité du texte, sa capacité naturaliste à saisir la complexité des sentiments, son humilité qui dissimule une connaissance profonde des caractères, cette simplicité à projeter par je ne sais quelle magie la suscitation du désir sur chacune des actrices rohmériennes, dont l'évidence de la beauté ne se dévoile que progressivement - Pascale Ogier n'y déroge pas pour moi.
Les nuits de la pleine lune reste en-deçà de films tels que
Le Rayon vert ou
Pauline à la plage, mais l'observation des cœurs humains par le réalisateur reste aiguisée et inspirante, même si cette fois-ci au service d'un scénario lâche, hélas pas toujours très intéressant à suivre.
Peut-être qu'une partie du problème tient dans le fait que la Louise des
Nuits de la pleine lune, pétrie d'idées et de préconceptions très singulières voire aberrantes sur l'amour, comme Marion de
Pauline à la plage ou Sabine du
Beau mariage, ne possède pas le même attrait empathique que ces dernières. Louise et Sabine agissent selon une vision du monde et des rapports humains égoïste, capricieuse, dans laquelle elles se méprennent sur la nature d'un sentiment amoureux dont elles souhaiteraient concrètement qu'il puisse être assujetti à un deal, dans les deux cas : le contrat de mariage d'une part, qui telle la charrue avant les bœufs, serait la condition préliminaire et
sine qua non à l'amour, et d'autre part ce marché absurde conclu entre Louise et Rémi - je t'aime mais je vais quand même aller voir ailleurs pour éventuellement trouver dans les bras d'un autre la Révélation de ce que mon amour pour toi est plus fort.

Seulement voilà, il y avait chez Sabine une forme de naïveté idéaliste, de déni envers elle-même, qui la rendait savoureuse et attachante dans son romantisme forcené et ce, malgré ses attitudes toujours geignardes. Louise, quant à elle, est également engoncée dans des postures fallacieuses - et va s'exposer, comme Sabine, au terrible retour de manivelle sentimental - mais il y a dans son détachement affectif, sa manière de calculer froidement chaque chose, d'orchestrer son deal débile comme étant une solution humainement magnifique, quelque chose de beaucoup plus antipathique. Le personnage est aveuglé comme peut l'être celui de Sabine, mais sans sa naïveté foncière, son entêtement. Louise pioche chez les gens ce qui l'intéresse en fonction du moment, d'où l'inéluctabilité de ce retour de boomerang, qui lui enseigne à ses dépens qu'à jouer avec les gens et les sentiments, on finit par se brûler. Cependant le réalisateur, qui n'abandonne jamais ses personnages dans le désespoir et ne les toise pas, même dans leurs failles, provoque à ce moment précis l'émotion avec ce personnage, que l'on se prend à plaindre contre toute attente, et lui offre la perspective de lendemains confiants.