Elizabeth (Shekhar Kapur) 1998
Déclarée illégitime à 3 ans, jugée pour trahison à 21 ans, couronnée reine à 25 ans: la phrase d'accroche de l'affiche du film est trompeuse. En quelques dates est évoquée la jeunesse peu commune d'Elizabeth, fille d'Henri VIII née de ses amours avec Anne Boleyn qui fut traitée en princesse légitime la première année de sa vie puis déclarée illégitime par son propre père, obsédé par l'idée d'avoir un descendant mâle.

Cependant, une fois l'ouverture du film passée, on peine à saisir le temps qui passe. L'action débute en 1554 par une évocation du régne de Mary Tudor, tristement entrée dans l'histoire sous le nom de "Bloody Mary". Des croix noires sur fond rouge et une scène de bûcher insistent sur la thématique religieuse qui est par la suite quasi-abandonnée durant une heure et demie de film.
Demi-soeur d'Elizabeth, pour qui elle n'avait que méfiance et mépris, de dix-sept ans son aîné et catholique de surcroît, Mary espère avoir un héritier qui éliminerait les prétentions au trône de sa cadette. Elle est déjà âgée de trente-huit ans et souffre selon toute vraisemblance d'une tumeur qui lui donnera à plusieurs reprises de faux espoirs de grossesse. Les relations complexes entre les deux femmes et le rôle de médiateur de Philippe d'Espagne (futur Philippe II) époux de Mary n'est que peu évoqué, et souvent par des raccourcis (un peu horripilants)
Des premières années de la vie d'Elizabeth, nous ne saurons presque rien. Exilée dans la campagne pendant le règne de son jeune frère puis celui de Mary, elle est présentée comme vivant dans l'innocence et l'insouciance. Brutalement tirée de ce monde lumineux pour l'obscurité de la Tour de Londre et du palais de Whitehall (ouh, la belle métaphore) elle manque de peu d'être exécutée. A ce propos, le film présente Elizabeth totalement innocente, quand il est désormais avéré qu'elle participat bien à la conspiration de Wyatt.
Comme je ne l'ai compris que fort tard, le sujet principal du film est la construction, dans les premières années du règne d'Elizabeth, de l'image de Reine Vierge qui accédât à la postérité. La jeune souveraine, perdue dans une cour hostile ("livrée aux fauves" selon l'expression de sa soeur Mary) ne fait pas montre d'un grand courage face à ses ennemis: elle refuse la guerre façe à la régente d'Ecosse, une Fanny Ardant plutôt terne (il faut le faire) et doit affronter son conseil et les ambassadeurs qui lui présentent des offres de mariage. Il faut pourtant remarquer une scène montrant Elizabeth tremblante repétant le discours qu'elle doit prononcer devant le Parlement pour faire passer l'unification de la religion en Angleterre, montée en alternance avec le visage hostile de son futur auditoire, qui montre bien que la reine n'était pas du tout assurée de la réussite de son entreprise.
Le mariage de la reine est une intrigue majeure du film. L'accent est mis sur l'histoire d'amour entre la reine et Lord Robert Dudley (présentée ici comme physique, mais cela reste une interprétation) Au XVIème siècle, il semble impossible qu'une souveraine reste sans époux. Et le choix de ce dernier est d'une importance diplomatique capitale: la reine choisira-t-elle un noble anglais? un français ce qui la couperai de l'alliance espagnole patiemment tissée par Mary? Un Espagnol, suscitant la colère des Français installés en Ecosse? Le choix n'est pas dénué d'importance pour la question religieuse. Hélas, la portée internationale d'un tel choix n'est qu'évoquée et les parties en présence sont peu identifiées.
Elizabeth failli se ranger à ces raisons et pencher pour le candidat français. C'est à ce moment qu'interviennent les deux curiosités du film: Eric Cantona en ambassadeur rustaud et malchanceux, et Vincent Cassel dans le rôle du prétendant qu'ELizabeth éconduit lorsqu'elle le découvre en robe.
Sans doute le meilleur dialogue du film:
"Whateu! Whaaaateu"
demande le prince
"You're wearing a dress, Your Grace"
observe calmement la reine
C'est un peu tard, et après s'être égaré dans des intrigues secondaires, que le film prend sens. Puisque c'est le corps de la reine, ce corps de femme qui pose problème puisqu'il doit servir à la "production" (sic) d'un héritier, ELizabeth décide de le retourner à son avantage. En créant son image de reine vierge, vêtue et maquillée de blanc, enserré dans un corset, elle abandonne son humanité, se rapproche des cieux et devient un "homme d'Etat". Cette image de vierge est renforcée par l'austérité dont elle fera toujours preuve par la suite, renonçant à toute relation particulière avec un homme. Les plans où Elizabeth se transforme, endossant pour la première fois ce costume, qui va devenir son personnage public, sont magnifiques et poignants, à peine gâchés par son "I have become a virgin"
Like a virgin
Je ne m'étendrais pas sur le côté esthétique du film, car c'est vraiment ce qui le sauve, en plus du jeu de Cate Blanchett, toujours royale en dépit de certaines scènes à la limite du ridicule, comme une lamentation aux pieds de la Vierge. Certaines scènes visant à présenter les fêtes, les danses et la poésie qui fleurissent à la cour sont très réussies et font parfois regretter d'être si courtes.
