Les Conquérants de Carson City (Carson City , 1952) de André De Toth
WARNER
Avec Randolph Scott, Lucille Norman, Raymond Massey, Richard Webb, James Millican, Larry Keating
Scénario : Eric Jonsson, Winston Miller & Sloan Nibley
Musique : David Buttolph
Photographie : John W. Boyle (Warnercolor)
Une production Bryan Foy & Daniel Wesbart pour la Warner
Sortie USA : 13 juin 1952
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Un peu plus de moyens, beaucoup moins d’imagination“ : telle semble avoir été la devise de la Warner concernant sa politique de production de westerns de série durant une bonne décennie. Ce n’est pas de l’acharnement de ma part mais un constat renouvelé film après film. Si ma boule de cristal m’a soulagé en me prédisant qu'il n'en sera pas toujours ainsi, en ce début d'été 1952, la Warner continue encore fièrement à arborer son bonnet d'âne, celui du Major cancre du western. Non pas qu'elle ait accouché ici d'un N ième navet mais elle aura quand même rogné les ailes et élimé les dents d'un cinéaste qui avait été beaucoup plus incisif jusque là ; il suffit de comparer ce
Carson City avec
Man in the Saddle (Le Cavalier de la mort) sorti à peine six mois plus tôt chez Columbia, tous deux aussi routiniers dans leur intrigue mais l’un nettement plus rythmé et plus nerveux que l’autre et surtout bien plus virtuose dans sa mise en scène et nettement plus recherché plastiquement parlant, la stylisation de
Man in the Saddle ayant totalement disparue ici. Qu’un cinéaste capable également en pleine Seconde Guerre Mondiale de réaliser un film aussi puissant que
None Shall Escape en arrive à nous livrer un western aussi banal fait quand même un peu de peine. A sa lecture, le pitch semblait pourtant devoir être moins conventionnel qu’il nous apparaîtra à l’écran.

Jeff Kincaid (Randolph Scott), un ingénieur ayant roulé sa bosse ici et là jusqu’au Panama où les conditions de travail furent difficiles, n’aspire désormais qu’à un simple emploi dans un bureau. Quand on lui demande de superviser les travaux de construction d’ une voie ferrée dans le Nevada entre Carson City et Virginia City (le transport de l’argent de la banque par diligence se révélant beaucoup trop dangereux au sein de cette contrée infestée de bandits), il commence par refuser avant, par nostalgie, d’accepter après qu’il ait constaté qu’il faudra creuser un tunnel à l’endroit même où, enfant, il jouait. Big Jack Davis (Raymond Massey) ne voit pas ce chantier d’un très bon œil puisque l’arrivée du train dans la région risque de fortement contrecarrer ses ignobles plans. Se présentant comme le patron d’une mine en réalité à l’abandon, il faisait croire que sa richesse provenait de l’extraction du minerai alors que cette manne financière était le fruit de pillages de diligences par ses hommes de main menés par l’inquiétant Jim Squires (James Millican). Voyant son gagne-pain sur le point de s’effondrer, Big Jack va tout faire pour mettre des bâtons dans les roues à Jeff Kincaid ; sans tarder, il va provoquer un éboulement de rochers qui va tuer quelques uns de ses ouvriers tout en enfermant une dizaine d’autres sous la montagne à l’intérieur du tunnel. En plus d’avoir à se battre contre ces crapules, Jeff va se trouver confronté avec Alan (Richard Webb), son demi-frère dont il convoite la fiancée, Susan (Lucielle Norman)…

Carson City est seulement le troisième western d' André De Toth après
Ramrod (
Femme de feu, à paraître en mars 2012 chez Wild Side ; j’y reviendrais à ce moment là) et
Man in the Saddle qui marquait la première étape de sa collaboration avec Randolph Scott (après Ray Enright et avant Boetticher, De Toth aura été le troisième réalisateur a l’avoir fait le plus souvent tourner). Pour l’anecdote, il s’agit également du premier film en Warnecolor, procédé photographique qui n’aura en rien révolutionné la couleur. Même s’il s’agit d’un de ses films le moins personnel, après un générique se déroulant sur une musique guillerette et inodore du décidément peu inspiré David Buttolph, 'le 4ème borgne d'Hollywood' appose néanmoins sa signature dès la première séquence avec ce panoramique débutant par un plan d’ensemble très large pour se finir sur une main gantée tenant une montre en très gros plan. Des panoramiques et travellings, il y en aura d’autres notamment lors des courses poursuites à cheval au cours desquels le cinéaste fait montre de son savoir-faire, de sa parfaite gestion de l’espace et du rythme. Mais à part cette figure de style (les panoramiques à 180° étant un peu devenus sa marque de fabrique) et quelques plans légèrement penchés, peu d’autres idées de mise en scène au cours de ce western de série. Ceci dit, c’est très correctement réalisé mais guère mieux que parmi le tout venant de la série B de l’époque ; de la part de De Toth, on pouvait s’attendre à plus ample et plus 'couillu' que ce petit western sans prétention.

Les amateurs d’action devraient quand même en avoir pour leur argent ! Au menu : chevauchées, courses poursuites, fusillades, attaques diverses de trains ou de diligences, meurtres, duels, éboulements, explosions, etc., se suivent sans presque aucun temps morts si ce ne sont pour de brèves mais intéressantes discussions à propos des apports positifs ou négatifs de la voie ferrée dans la vie quotidienne des habitants et notables de la région ou pour quelques séquences romantiques dont nous nous serions bien passés tellement elles s’avèrent inutiles et insipides. Si l’affiche française annonçait avec force exagération ‘le film au 99 bagarres’, les amateurs de combats à poings nus devraient néanmoins être également à la fête même si les trois ou quatre qui parsèment le film, malgré leur efficacité, ne possèdent pas non plus la brutalité viscérale de celui qui se déroulait dans la cabane puis dans la neige dans le précédent western De Toth/ Scott,
Man in the Saddle. Nous trouvons aussi un petit suspense lors de la séquence de l’enfermement de Kincaid et ses hommes dans le tunnel. Bref, si le scénario, enchainement mollasson de moult clichés, ne réserve absolument aucune surprises, ça peut s'expliquer par le fait que l'histoire a été écrite par un familier des films avec Roy Rogers. Mais à la limite, il valait mieux ne pas rechercher l'originalité à tout prix car quand le scénariste s'y essaie, le film en devient assez idiot ; voire à ce propos la première séquence au cours de laquelle les bandits étalent un nappe de pique nique avec victuailles à la clé (y compris des bouteilles de champagne) pour offrir un dîner champêtre aux passagers de la diligence le temps qu’eux-mêmes ouvrent le coffre pour voler ce qui se trouve à l’intérieur. L'idée aurait pu être amusante (le film devait d'ailleurs s'appeler 'The Champagne Gang') mais en l’occurrence, ça casse d’emblée le sérieux que tentera d’avoir le film par la suite.

Quant aux protagonistes, il n’y a rien à en dire ; ils sont tous aussi transparents les uns que les autres à commencer par le personnage féminin insipide au possible ; il faut dire que Lucille Norman était probablement meilleure chanteuse que comédienne (nous ne pourrons pas le vérifier, le scénariste n’ayant pas jugé bon de lui faire pousser la chansonnette). C'est aussi dans ce film que le personnage qu'interprète Randolph Scott est le moins ambigu, le plus lisse, le moins intéressant de ceux qu'il aura à tenir sous la caméra du cinéaste ; et ce n’est pas de la faute de l’acteur, égal à lui-même, charismatique et portant avec toujours autant de classe la chemise noire, le petit ruban jaune autour du cou et la veste en cuir ; le prototype parfait du héros de notre enfance, noble et toujours prêt à défendre la veuve et l’orphelin, aussi à l'aise le revolver à la main que sur un cheval au galop. Mais à cette exception, le reste du casting est très moyen pour ne pas dire médiocre : on comprend que la jeune première tombe amoureuse de Randy, son Richard Webb de fiancé semblant s’ennuyer à mourir à ses côtés ; James Millican a la gueule de l’emploi mais on ne lui donne pas l’occasion de s’exprimer autrement ; quant à Raymond Massey, il en fait des tonnes sans aucune mesure ni subtilité ce qui rend son rôle de chef de gang plus ridicule que réellement inquiétant. On l’a connu plus inspiré ! Au final, un western aux ficelles un peu grosses, sans presque aucune originalité, fadasse et routinier avec clichés à la pelle, femme potiche, méchants typés, héros sans peur et sans reproche, mais néanmoins tout à fait regardable et même assez plaisant grâce au solide savoir-faire de son réalisateur (notamment son sens du mouvement, sa gestion du cadre et de l’espace) et à la prestance de son acteur principal.