Larceny (1948)
Réalisation : George Sherman
Production : Leonard Goldstein (Universal)
Scénario : Herbert H. Margolis et William Bowers
d'après un roman de Lois Eby et John Fleming
Photographie : Irving Glassberg
Musique : Leith Stevens
Avec :
John Payne (Rick Mason)
Joan Caulfield (Deborah Owens Clark)
Dan Duryea (Silky Randall)
Shelley Winters (Tory)
Richard Rober (Max)
Dorothy Hart (Madeline)

Une bande d'escrocs dirigés par Silky Randall utilisent toutes sortes d'arnaques pour extorquer de l'argent à leurs victimes. La dernière, un investisseur de Miami Beach, ayant flairé l'arnaque avant qu'elle n'aboutisse, la bande décide de tenter sa chance auprès de Deborah Clark, une jeune et riche veuve vivant en Californie. Silky envoie sur place Rick Mason, le séducteur du groupe, lequel se fait passer pour un ami du défunt mari, un héros de guerre dont il prétend avoir été proche sur le front. Il réussit à la persuader de créer une fondation en faveur des jeunes garçons défavorisés de la ville et d'acheter une immense propriété pour les accueillir, tout ceci en mémoire du héros qui avait été en partie éduqué dans cette institution disposant jusque là de moyens modestes. Rick Mason parvient à berner tout le monde mais quand Tory, la maitresse de Silky, en réalité éprise de Rick arrive sur place, la situation se complique pour celui qui avait réussi à se faire accepter par la bonne société de Mission City…


Un film inégal mais bénéficiant de gros atouts rendant indispensable son visionnage. D'abord son casting 3 étoiles : John Payne et surtout Dan Duryea et Shelley Winters (tous les deux formidables) mais comportant aussi hélas une tête d'affiche féminine assez ennuyeuse et peu charismatique, Joan Caulfield. Ensuite, pour les dialogues étincelants écrits par le demi dieu de la réplique qui tue : William Bowers. Jusque là, parmi les films noirs, je trouvais que celui dans lequel il avait été le plus brillant était
The Web de Michael Gordon mais dans
Larceny, je trouve qu'il se dépasse encore. C'est même presque trop car par moment la succession de bons mots lancés notamment par Shelley Winters (C'est la mieux servie) est à la limite du sur-écrit (et on se marre un peu trop, j'y reviendrais plus loin). En revanche, le scénario tout de même solide aurait toutefois mérité d'être plus resserré (certaines scènes de romance entre Rick Mason et la riche veuve sont longuettes) et surtout son final qui voit les retrouvailles entre les 4 principaux personnages, les secondaires (et la police) est assez maladroit car dans un film qui se languissait un peu, les évènements se précipitent soudain dans des scènes enchainant les rebondissements de manière brutale et peu crédible, livrant de surcroit une fin moralisante bien qu'un peu ironique (volontairement il me semble) assez peu en rapport avec la relative immoralité du reste.
Même si c'est visiblement Silky (Dan Duryea) qui est la tête pensante du groupe d'escrocs (Qui a dit : le cerveau, ça ne peut de toute façon pas être John Payne ?), c'est bien ce dernier la tête d'affiche de ce qui était alors son premier film du genre car jusque là -c'est peut-être oublié- c'était surtout un acteur de comédies musicales. Comme Dick Powell quelques années avant lui (à partir de
Adieu, ma belle en 1944), John Payne a connu une étrange reconversion (mais à postériori salutaire pour eux et pour nous) car s'il avait démarré sa carrière en 1936, Larceny était son premier film noir, puis dès l'année suivante il tournera son 1er western (
El Paso) et celle d'après son 1er film d'aventure (
Dans les mers de Chine, dont vient de parler Supfiction dans le topic que j'ai ouvert sur le cinéma d'aventures). Ça se ressent d'ailleurs car il est ici très loin du dur à cuire qu'il sera dès les années suivantes. Dans Larceny, John Payne fait plus dans l'oeillade que dans le direct du droit. Il est le plus policé, le plus élégant, le séducteur d'une bande d'escrocs très organisée, étudiant les coups de manière très professionnelle, planifiant comme des stratèges, établissant des dossiers (Rick reçoit de Silky une enveloppe contenant les détails de l'affaire et la manière de la mener à bien), utilisant donc des méthodes à mille lieux de celles employées par le commun des malfrats plus habiles avec leurs poings ou une arme à feu à la main qu'avec leurs têtes. Dans Larceny, je ne peux pas trop dire quelle est l'arme principale de Rick mais ce qui est sur c'est qu'il séduit les femmes !!! William Bowers a d'ailleurs le talent pour rendre évidente la personnalité manipulatrice de Rick à travers son attitude avec les femmes. Il est provocateur et direct avec les serveuses ou les secrétaires, ses conquêtes habituelles mais il n'est pas déplacé dans le grand monde et sait aussi faire dans le poétique et le raffinement avec la jeune veuve. Sitôt arrivé en Californie c'est d'abord Deb, la serveuse du bar ou il a pris ses habitudes (Patricia Alphin) qui va tomber pour lui. Plus tard, il va être allumé par Madeline (Dorothy Hart), la secrétaire de l'agent immobilier de Deborah Clark, tout ceci entre deux portes et presque sous le nez de cette dernière mais c'est surtout l'arrivée en Californie de Tory, la petite amie officielle de Silky qui va poser problème car ses imprudences vont mettre en péril l'arnaque pourtant sur le point d'aboutir et surtout créer de la dissension entre les deux piliers du groupe d'escrocs.


Entre temps Rick aura aussi réussi, puisqu'il était là pour ça, à attirer la jeune veuve dans ses filets (mais pas encore dans son lit, c'est Hollywood 1948 quand même). Il faut voir la malice du tombeur qui va réussir à persuader la naïve Deborah que les projets qu'il va lui souffler sont ses propres idées. Il avait commencé fort. A peine arrivé à Mission City, il avait réussi à la toucher en rendant un vibrant hommage au héros de la ville devant les jeunes garçons de l'institution dont le défunt avait fait partie, tout en surveillant du coin de l'oeil l'arrivée de sa veuve. Puis, son speech émouvant terminé, il était passé devant elle feignant d'ignorer qui elle était mais, rattrapé par le vieil animateur du lieu (interprété par le bon Percy Helton, un petit bonhomme que tout cinéphile a vu 50 fois), il avait réussi à lui être présenté. C'était le premier acte d'une arnaque assez finaude : persuader la jeune veuve de lancer une collecte de fonds auprès de la bonne société de la ville afin de créer un vaste établissement pour y accueillir les jeunes garçons défavorisés. Mais si rapidement elle va promettre d'investir 100 000 $ dans l'affaire, il va falloir aussi inspirer confiance aux autres investisseurs, ce qui prend du temps…Un temps qui donne l'opportunité aux curieux de poser des questions indiscrètes sur le défunt mari ou bien qui laisse la possibilité de croiser quelqu'un qui vous connait ou pire encore qui expose à tomber amoureux, la mauvaise conscience du salopard étant un de ses pires ennemis.
Malheureusement, cette partie là est un peu longuette en partie à cause du personnage de la veuve qui -moralité de l'époque oblige- pleure beaucoup son défunt mari. Le savoir faire du beau parleur peut en effet parfois se retourner contre lui car Rick évoque de manière si émouvante un homme qu'il n'a pas connu qu'il fait pleurer à deux ou trois reprises sa veuve, ce qui réussirait presque à l'émouvoir lui aussi. Les dernières larmes de Deborah seront d'ailleurs différentes car ce seront celles d'une femme qui commencera à culpabiliser d'être attirée par un autre homme. On l'a sent en effet parfois prête à se jeter au cou de son prétendant et à repartir main dans la main (pour commencer) avec lui pour démarrer une nouvelle vie. Avant cet éventuel épilogue, Rick (on se refait pas) ne va pas perdre son temps à Mission City, passant de femmes en femmes, mais en plus de ses conquêtes californiennes, c'est la redoutable Tory, que Silky avait pourtant envoyé à La Havane pour être tranquille, qui va faire irruption en Californie. L'encombrante petite amie officielle de Silky va causer des sueurs froides (mais pas que) à Rick qui n'est pas contre la mettre dans son lit mais qui va commencer à prendre conscience que cette liaison qui comporte quelques agréments peut aussi lui causer quelques ennuis.


Dans le rôle de la sangsue sexy et un brin vulgaire qui se surnomme elle-même "Le boa constrictor en talons aiguilles", Shelley Winters est fabuleuse. Dès sa 1ère apparition, elle crève l'écran se jetant au cou d'un Dan Duryea plus gêné que flatté. C'est avec la même promptitude qu'elle fait de même avec Rick dès que Silky a le dos tourné. A Mission City, elle force presque la porte de Rick, fait du chantage pour se faire accepter, se bât avec lui, rendant coup pour coup…et après une bonne paire de gifles, Tory est tendre…Après avoir saisi la photographie de Deborah Clark qui dépassait de la poche de Rick, elle l'interroge :
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- - Qui est cette fille ?
- Ma petite soeur...
- Ne me racontes pas d'histoires, ta petite soeur avec des bas et des talons hauts !
Et alors qu'il la saisit par derrière, lui tordant le bras pour qu'elle lâche la photographie :
- Arrêtes de me tordre le bras, les gens vont croire que l'on est marié"
…et ça se termine par des gifles échangées avant quelle ne se blottisse dans ses bras. Plus tard, elle est fabuleuse dans une longue séquence hallucinante ou elle agresse Deb, la serveuse avec laquelle Rick a eu au moins un RDV, à coup de grandes tirades aussi agressives qu'imagées. A sa suite, c'est aussi Silky qui arrive en Californie, inquiet à la fois de voir l'affaire s'éterniser mais surtout de savoir Tory à Mission City. Dans toute cette partie finale, Dan Duryea retrouve un rôle à la hauteur de son talent qui est immense. Avec rien, par sa présence parfois fragile, parfois menaçante, par son regard intense, sa diction si particulière, il réussit sans effort à améliorer les scènes ou il apparait. Malheureusement, dans ce film ci, c'est celui des 4 principaux personnages que l'on voit le moins. Autre regret, que la mise en scène de ce bon scénario ai été confié à un metteur en scène aussi impersonnel que le prolifique George Sherman, l'homme invisible de la mise en scène. On peut dire la même chose de la photographie sans recherche de Irving Glassberg, pourtant un des grands directeur de la photographie du studio Universal dans les années 50. En revanche, de nombreux seconds rôles sont excellents : Dorothy Hart, en secrétaire à lunettes (peut-être inspiré par celui de Dorothy Malone dans…), Patricia Alphin (la serveuse de la cantine de Rick), Richard Rober (vu dans de nombreux films noirs) Dan O'Herlihy (excellent en second couteau du gang) et enfin le petit Percy Helton, un petit acteur que l'on remarque toujours et pas seulement pour sa tête connu de tous sans l'être puisqu'il n'aura souvent tenu que de petits rôles.
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2 photos d'exploitation :


La suite ce sera encore un John Payne ou bien un second Dan Duryea mais pas les deux à la fois...