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Re: Le passé à l'épreuve des films / Les films à l'épreuve du temps
Publié : 12 nov. 17, 18:21
par Major Tom
tenia a écrit :Tu m'as convaincu, le film était donc traité de la même façon à l'époque qu'aujourd'hui.
Mais mieux que ça, mon cher tenia !

Déjà, tu ne peux pas reprocher à l'époque de la sortie du film l'absence de notre regard contemporain, c'est absurde. Mais il a bel et bien fait réagir, dès sa sortie, remontant jusqu'aux portes de la Maison Blanche et inaugurant "
un débat autour de l’art, de la race et de la liberté d’expression qui a façonné l’histoire des États-Unis". On est quand même à des années-lumières de ta phrase (très claire) :
tenia a écrit :à l'époque de sa sortie, on ne voyait pas le problème avec La naissance d'une nation
Au sujet du succès, le film était inédit (premier blockbuster de l'Histoire), grandiose dans le sens spectaculaire, bien sûr qu'il a cartonné, et que des cinéphiles le citent comme référence sans que ça me paraisse affolant. Le film a, rappelons-le, également contribué au renouveau du langage cinématographique et bouleversé aussi techniquement le 7ème Art. Eisenstein avait dit de Griffith que "
c'est Dieu le père, il a tout créé, tout inventé. Il n'y a pas un cinéaste au monde qui ne lui doive quelque chose. Le meilleur du cinéma soviétique est sorti d'Intolérance.
Quant à moi, je lui dois tout".
Re: Le passé à l'épreuve des films / Les films à l'épreuve du temps
Publié : 12 nov. 17, 19:26
par tenia
Mais puisque je te dis que tu m'as déjà convaincu que je me suis trompé et que l'opinion publique était déjà aussi unanime qu'actuellement contre le contenu raciste du film (même qu'il y a eu débat et polémique sur le sujet, si ça c'est pas une preuve).
Re: Le passé à l'épreuve des films / Les films à l'épreuve du temps
Publié : 12 nov. 17, 19:33
par cinephage
Pour rebondir sur la thématique du topic, et puisque l'affaire Griffith me parait un peu éventée, je viens de découvrir
Hatari !, de Howard Hawks (1962)... Je m'attendais à un rapport à la nature assez différent d'aujourd'hui, et en effet les bestiaux en prennent pour leur pomme, la nature est là pour qu'on puise dedans. Je m'attendais aussi à que ce les autochtones soient vus de haut, et là pas tant que ça, ils sont vus comme ayant une culture propre et indépendante, avec des traditions évoquées avec respect, même si, évidemment, les africains, en groupe indifférencié, travaillent pour John Wayne et ses potes...
En revanche, si je m'attendais à une approche des femmes façon Hawks
"Women are trouble", j'en ai plus que je n'en espérais. Dans le contexte des débats actuels, c'est étudié pour. Il y a notamment un échange radio avec un chef de clinique sur la convalescence d'un chasseur blessé :
"- Je vous annonce qu'il devrait sortir d'ici 2 ou 3 jours, mais j'aurais vraiment préféré qu'il sorte demain...
- Tiens, donc, docteur, mais pourquoi ?
- Parce que toutes les infirmières de mon services n'en finissent plus de faire des détours pour lui échapper.
<Rire des interlocuteurs avec regards entendus de John Wayne avec sa bande>
- Tant mieux pour elles, c'est bon pour leur silhouette de courir..."
Probablement un meilleur exemple que
Blade Runner sur la perpétuation du patriarcat.

Re: Le passé à l'épreuve des films / Les films à l'épreuve du temps
Publié : 20 févr. 18, 21:22
par Supfiction
Apres Dunkirk,
Les heures sombres fait de nouveau l’apologie du peuple britannique et de ses dirigeants.
Il y a une scène clé du film assez hallucinante durant laquelle Churchill, en plein doute avant de prendre sa décision concernant la possibilité de négocier avec Hitler, prend le métro londonien et interroge les passagers sur leur état d’esprit. Tous déclarent alors vouloir continuer la lutte coûte que coûte jusque dans les rues de Londres. Le film laisse sans aucun doute entendre que cette rencontre sera décisive dans le discours qui suivra. Cette scène n’a jamais eu lieu bien entendu. Que penser de tout le reste du coup, qu’est-ce qui est vrai ou presque ? L’appel téléphonique avec Roosevelt ? A priori non. La rencontre avec les généraux français capitulards ? No comment. Impossible de démêler le vrai du faux.
Pour le reste, ce qui est vraiment intéressant est systématiquement traité très superficiellement. Comme le cas Halifax présenté comme le grand adversaire de Churchill, lache et défaitiste, qui n’a qu’une idée en tête : négocier la paix avec Hitler. Lorsque le film débute, il a pourtant l’occasion d’acceder au poste de prime minister mais la rejette arguant que « mon heure n’est pas encore venue ». On en saura pas plus. Trop complexe pour un tel film grand public. Finalement le seul mérite du film peut-être est de donner envie de lire de veritables œuvres historiques.

Re: Le passé à l'épreuve des films / Les films à l'épreuve du temps
Publié : 18 mars 18, 12:25
par Supfiction
J’ai été très positivement étonné à la vision de l’épisode 2.6 de
The Crown qui fera date et brisera peut-être aux yeux du grand public le mythe de la belle histoire d’amour romantique qui a été vendue au grand public pendant des décennies (et mis en image par Madonna en 2011 dans W.E.). Je crois que c’est la première fois que la fiction anglaise va aussi loin pour évoquer ce lourd secret historique.

Re: Le passé à l'épreuve des films / Les films à l'épreuve du temps
Publié : 18 mars 18, 15:13
par Coxwell
Supfiction a écrit :Apres Dunkirk,
Les heures sombres fait de nouveau l’apologie du peuple britannique et de ses dirigeants.
Il y a une scène clé du film assez hallucinante durant laquelle Churchill, en plein doute avant de prendre sa décision concernant la possibilité de négocier avec Hitler, prend le métro londonien et interroge les passagers sur leur état d’esprit. Tous déclarent alors vouloir continuer la lutte coûte que coûte jusque dans les rues de Londres. Le film laisse sans aucun doute entendre que cette rencontre sera décisive dans le discours qui suivra. Cette scène n’a jamais eu lieu bien entendu. Que penser de tout le reste du coup, qu’est-ce qui est vrai ou presque ? L’appel téléphonique avec Roosevelt ? A priori non. La rencontre avec les généraux français capitulards ? No comment. Impossible de démêler le vrai du faux.
Pour le reste, ce qui est vraiment intéressant est systématiquement traité très superficiellement. Comme le cas Halifax présenté comme le grand adversaire de Churchill, lache et défaitiste, qui n’a qu’une idée en tête : négocier la paix avec Hitler. Lorsque le film débute, il a pourtant l’occasion d’acceder au poste de prime minister mais la rejette arguant que « mon heure n’est pas encore venue ». On en saura pas plus. Trop complexe pour un tel film grand public. Finalement le seul mérite du film peut-être est de donner envie de lire de veritables œuvres historiques.

Je m'interroge sur la supposée hagiographie des personnages politiques de "Dunkirk" (qui serait, par ailleurs, plutôt démontée ne serait-ce que dans la présentation du repli des Anglais au détriment des Français - cf discussion avec l'amiral Ramsay). Je vois surtout une représentation assez juste de la communication de l'esprit résistantiel fondé autour de ce "miracle de Dunkerque", construit autour de cet événement et qui, pour le coup, est historiquement approprié sur le plan politique et surtout sociétal. Le sujet a été beaucoup discuté sur le topic idoine.
Quant à Churchill (film), cette scène de métro est écrite avec une certaine adresse : elle représente les manœuvres classiques d'un politicien qui, dans la faiblesse de l'isolement, va chercher les appuis là où ils les trouvent afin de revenir à la charge avec une nouvelle stratégie. Cette scène très probablement fictive dans son déroulé précis, est assez crédible en termes de représentation de mécanismes historiques, notamment par rapport à la figure de Churchill. Pour le reste, je n'y ai rien trouvé de choquant par rapport aux travaux historiques de F. Bédarida ou de R. Marx.
Re: Le passé à l'épreuve des films / Les films à l'épreuve du temps
Publié : 18 mars 18, 23:46
par Addis-Abeba
Qui vous dit que cette scène n'a pas vraiment eu lieu.
Re: Le passé à l'épreuve des films / Les films à l'épreuve du temps
Publié : 19 mars 18, 07:34
par Coxwell
Addis-Abeba a écrit :Qui vous dit que cette scène n'a pas vraiment eu lieu.
Bien entendu, mais comme je le disais précédemment, cette scène ne s'inscrit pas en faux dans les codes de la mécanique politique et politicienne. Elle a une certaine crédibilité également quant à la projection des mentalités caractéristiques de l'époque.
Re: Le passé à l'épreuve des films / Les films à l'épreuve du temps
Publié : 24 mars 18, 15:18
par Supfiction
Coxwell a écrit :Addis-Abeba a écrit :Qui vous dit que cette scène n'a pas vraiment eu lieu.
Bien entendu, mais comme je le disais précédemment, cette scène ne s'inscrit pas en faux dans les codes de la mécanique politique et politicienne. Elle a une certaine crédibilité également quant à la projection des mentalités caractéristiques de l'époque.
Coxwell a écrit :
Ceci étant dit, j'attends toujours tes références bibliographiques permettant de remettre en question la crédibilité historique du traitement du personnage de Churchill dans le film de Joe Wright. De tout ce que j'en sais sur cette question (c'est un des mes domaines de formation), je n'ai rien à redire de fondamental sur le traitement proposé, qui mélange adroitement mise en scène ancestrale et choix artistiques peu contradictoires par rapport à la science historique. Je crois, à te lire (considérant le nombre de messages consacrés à nos riverains d'outre Manche), que tu te complais dans une certaine anglophobie et tu cherches en partie projeter une certaine représentation historique qui te sied, plutôt que la réalité propre à l'histoire britannique traitée par la science historique.
Il y a unanimité sur cette scène. Même sur le site de The International Churchill Society (
https://www.winstonchurchill.org/public ... -the-dawn/) ils disent que la scène est hautement improbable. Sans parler de l’impossibilité de la scène d’un point de vue chronologique et géographique.
Cela dit j’admets en partie ton diagnostique docteur même si je n’ai rien contre les anglais individuellement et que j’admire Churchill pour ce qu’il a fait.
Quand je regarde un tel film, j’espère apprendre des choses. Ce n’est pas un film de divertissement. A partir du moment où je sens/sais que ce que je vois n’est pas fiable, cela gache mon plaisir et remet en question l’intégralité du métrage. En l’occurence, tout dans ce film me semble vulgarisé, caricaturé, à l’image de cette scène qu’on va juger vraie dans l’esprit. Et pourtant le film veut montrer les doutes de Churchill.
Re: Le passé à l'épreuve des films / Les films à l'épreuve du temps
Publié : 24 mars 18, 15:57
par Coxwell
J'ai répondu à ce sujet en disant que cette scène improbable dans son déroulé précis me semble juste dans l'acception que l'on sait d'un politique cherchant appui la où il est mis en porte faux. Cest une scène fictive qui me semble caractériser assez bien la personnalité et la stratégie de Churchill, et en soi, elle ne trahit pas l'esprit du personnage et de son jeu stratégique.
Re: Le passé à l'épreuve des films / Les films à l'épreuve du temps
Publié : 24 mars 18, 16:13
par Supfiction
Coxwell a écrit :J'ai répondu à ce sujet en disant que cette scène improbable dans son déroulé précis me semble juste dans l'acception que l'on sait d'un politique cherchant appui la où il est mis en porte faux. Cest une scène fictive qui me semble caractériser assez bien la personnalité et la stratégie de Churchill, et en soi, elle ne trahit pas l'esprit du personnage et de son jeu stratégique.
On ne voit pas dans le film l’étendue de ses doutes et de ses intentions, c’est impossible, alors on simplifie le propos. Ça je peux le comprendre même si ça m’agace.
Coxwell a écrit :la réalité propre à l'histoire britannique traitée par la science historique
Il y a la part de vérité et la part de propagande exprimée (volontairement ou involontairement) à travers les films.
Re: Le passé à l'épreuve des films / Les films à l'épreuve du temps
Publié : 24 mars 18, 16:34
par Coxwell
Supfiction a écrit :Coxwell a écrit :J'ai répondu à ce sujet en disant que cette scène improbable dans son déroulé précis me semble juste dans l'acception que l'on sait d'un politique cherchant appui la où il est mis en porte faux. Cest une scène fictive qui me semble caractériser assez bien la personnalité et la stratégie de Churchill, et en soi, elle ne trahit pas l'esprit du personnage et de son jeu stratégique.
On ne voit pas dans le film l’étendue de ses doutes et de ses intentions, c’est impossible, alors on simplifie le propos. Ça je peux le comprendre même si ça m’agace.
Coxwell a écrit :la réalité propre à l'histoire britannique traitée par la science historique
Il y a la part de vérité et la part de propagande exprimée (volontairement ou involontairement) à travers les films.
On parle d'une œuvre d'art, pas d'une œuvre de science historique ayant digéré les traces, documents du passé. Je n'ai jamais considéré le film comme un cours d'histoire, en revanche en tant que document à analyser par rapport à son époque de création Mais aussi de reconstituons, il est très intéressant et bien peu hagiographique. Les tenants et aboutissants sont respectés, les personnages assez bien travaillés, l'atmosphère que transpire la mise en scène ne trahissent pas une certaine forme historique. La mise en récit artistique n'est pas très éloignée des éléments lus, étudiés jusqu'ici, et cest à peu près la l'essentiel si on s'en tient à la lecture "historique" du film.
Re: Le passé à l'épreuve des films / Les films à l'épreuve du temps
Publié : 30 mars 18, 10:42
par AtCloseRange
La notion d'appropriation culturelle appliquée au nouveau Wes Anderson
https://www.hollywoodreporter.com/heat- ... nd-1098228
Qu'on reboote ce monde une bonne fois pour toute!
Re: Le passé à l'épreuve des films / Les films à l'épreuve du temps
Publié : 30 mars 18, 11:04
par la_vie_en_blueray
Ca me fatigue.
Quand je regarde un film de Wes Anderson, c'est parce que je valorise son expression artistique et son univers. L'idée que cette vision soit corrompue - un jour - par une checklist bien pensante de ce qu'il faut dire ou pas dire, faire ou pas faire, est déprimante.
Re: Le passé à l'épreuve des films / Les films à l'épreuve du temps
Publié : 30 mars 18, 11:11
par AtCloseRange
Surtout quand ça devient un préalable à l'évaluation d'un film.
On a l'impression qu'il y a maintenant d'abord une check list et ensuite si tous les critères sont bons on commence à juger le film sur des critères artistiques.
L'art n'est pas une pommade, il n'a pas forcément besoin d'être bien-pensant pour être valide. L'art peut être provocateur, ambigu, déviant...
Je n'ai pas vu Lady Bird et c'est peut-être très bien mais j'ai l'impression que si le film a une telle cote aux Etats-Unis c'est parce qu'il coche aboslument toutes les bonnes cases et que c'est un objet gentil.
Et aujourd'hui un bon film doit être un objet gentil. De là à dire inoffensif autrement dit qui n'offense personne.