gnome a écrit :Ce que je ne comprend pas c'est pourquoi tu tiens absolument que toutes les séquences aient une signification particulière dans le film
Je n'ai pas écrit que je recherchais une signification particulière à chaque scène du film. Ce serait illusoire et inutile, puisque les films de Lynch savent s'affranchir de telles grilles de lecture rationalisantes. La question de l'utilité, en revanche, mérite par contre d'être soulevée car si
Sailor et Lula a les apparences d'un conte moderne, sa structure narrative dans l'ensemble n'en demeure pas moins très linéaire, sans qu'il y ait quoi que ce soit de péjoratif de ma part quand j'évoque ce mot. Si l'on prend l'histoire dans son intégralité, on se rend compte que chaque scène du film amène des informations importantes, que cela soit dans l'établissement des liens entre les personnages, leur caractérisation psychologique, l'avancée de l'intrigue, etc. Et cela me semble également vrai dans des films cauchemardesques de Lynch qui, pourrait-on penser, enchaînent les scènes surréalistes sans volonté de logique, alors que c'est très construit, très pensé.
Or, cette scène de l'accident reste pour moi un mystère (dans le sens où tout le monde l'admire et y voit quelque chose auquel je reste aveugle). Je n'en perçois pas l'utilité à ce stade, car cette situation macabre ne renseigne sur pas grand-chose de fondamental. Là où on y voit un moment déchirant, moi j'y vois du voyeurisme morbide baignant dans une étrange forme d'humour noir (le jeu hystérique et ridicule de Dern à ce moment-là, tout ça). Bien sûr, c'est incontestablement
lynchien, c'est une trouée vers un
autre chose qui est coutumier du réalisateur, et je le répète, je n'entre pas dans un film de Lynch avec pour objectif premier de le
comprendre - je veux d'abord les
ressentir. Mais là, exceptionnellement, je reste totalement de glace face à cette scène. Pour les raisons que j'ai déjà évoquées, mais aussi parce que cette "respiration", pour reprendre Anorya, me paraît fragilement, ou artificiellement, amenée dans une intrigue qui, bien que lorgnant vers le fantastique voire le merveilleux (cf. la fée, la sorcière...), est dans le même temps linéaire et dans un contexte "réaliste" (note bien les guillemets), c'est-à-dire avec une mécanique du rebondissement qui justifie les scènes les unes après les autres. Là, Lynch s'autorise cet écart nocturne qui n'a pas d'impact sur l'évolution de l'intrigue ; c'est caractéristique de son talent à distordre les règles de narration, et habituellement je m'en délecte, mais je ne sais pas, il y a quelque chose qui, pour moi,
juste pour cette scène-là, ne fonctionne pas. C'est la première fois que je vois une
digression chez Lynch, chose exceptionnelle compte tenu de l'imprévisibilité de son système narratif.
Je suis fatigué.
