Y-a pas que les westerns dans la vie !
les conducteurs du diable (Red ball express - 1952)
En France, les troupes de Patton avancent trop rapidement sur le front allemand pour que les unités puissent être ravitaillé en essence et munitions, ce qui ralentit leur progressions. un convoi spécial est donc mis en place pour sillonner sans fin les routes : le red ball express.
Voilà, un étonnant film de guerre (le seul que je connais du cinéaste pour le moment).
Doté d'un budget sans doute plus que modeste, Boetticher apporte sa sécheresse à la narration qui résume l'essentiel de son histoire aux incessants va-et-vient de ces chauffeurs. Il sait rendre vivant une séquence en passant d'un personnage à un autre, en suivant en un plan des soldats dans leur environnement, un injectant un détail, en accélérant le tempo, en ne cherchant pas à s'attarder (la mort frappe toujours pas surprise)
Peu de gras et les quelques séquences obligées du genre (l'histoire d'amour avec la Française) sont souvent détournées de leur tonalité récréative et stéréotypée pour glisser vers une approche bien plus réaliste. Ainsi la séquence où la famille française invite un GI à manger abandonne rapidement l'humour pour évoquer avec subtilité les problèmes qu'ont les civils à subsister en temps de guerre. En quelques plans, on découvre le désarroi d'une enfant affamée et la gêne des parents à sacrifier leur maigre pitance pour la donner à leur "sauveur". De plus les acteurs sont de véritables français sans le moindre accent (si ce n'est celui du terroir).
Le sentiment d'authenticité est vraiment marqué et Boetticher n'est pas loin du documentaire. Sans doute imposé par des contraintes budgétaires, il en fait la force du film. D'ailleurs, il n'y a pas de générique de début, seulement le titre qui apparait au bout de 7 minutes. Les images d'archives sont admirablement bien intégrées aux images de fiction et il est parfois très délicat de différencier les deux (ce que renforce la copie en 16mm de la cinémathèque). Mais au delà de la forme,
Red ball express aborde aussi la question raciale au sein de l'armée. La véritable unité était composée à 75% d'afro-américain parce que leur intégration se passait très mal dans les autres corps de l'armée.
Avec une intelligence et une honnêteté extrêmement rares pour l'époque, le film traite non seulement des soldats noirs mais le fait en plus avec une sobriété dans le traitement qui évite tout esprit didactique, superficiel ou appuyé. Jamais le film ne sombre dans le film à thèse. Cette "minorité" est filmée immédiatement comme faisant partie naturellement de l'armée et ils sont filmés exactement de la même manière que n'importe quel autre soldat. Le racisme n'est abordé que via le personnage de Sidney Poitier quand celui-ci se fait prendre à parti par un militaire d'une autre unité et qu'il doute de son chef.
Les auteurs sont plus fins que ça et ils font de l'unité de
Red ball express une parabole même du racisme. Ces soldats sont méprisés par ceux qu'ils aident tout en étant véritablement exploités comme des esclaves. A chaque (dé)chargement qu'ils effectuent, ils entonnent tous d'ailleurs un négro spiritual comme on pouvait le faire un siècle plus tôt le long de chemin de fer.
Mais encore une fois, tout est abordé sans militantisme, sans jamais pointer du doigt. Le résultat n'en est que plus efficace et pertinent.
Ca donne énormément de poids à ce petit film qui par ailleurs est loin d'être exempt de tout défaut : l’interprétation est très aléatoire, les choix de réalisation de Boetticher ne permettent pas de masquer la modestie du budget (la reconstitution est vraiment fauchée) et certains clichés sont toujours présents comme la relation tendue Jeff Chandler et son subalterne que le destin va mettre dans la même situation à l'origine de leur brouille.
Mais l'originalité du sujet, l'audace et le traitement de la question racial et la réalisation dynamique de Boetticher en font un film à redécouvrir. Il repasse d'ailleurs à la cinémathèque le samedi 2 février
