Meurtres à Calcutta (Calcutta) 1947
Réalisation : John Farrow
Production : Seton I. Miller (Paramount)
Scénario : Seton I. Miller
Image : John F. Seitz
Musique : Victor Young
Avec :
Alan Ladd (Neale Gordon)
Gail Russell (Virginia Moore)
William Bendix (Pedro Blake)
June Duprez (Marina Tanev)
Lowell Gilmore (Eric Lasser)

Neale, Pedro et Bill sont 3 amis qui se sont connus pendant la guerre du Pacifique. Anciens pilotes de l'armée américaine, ils se sont installés à Calcutta après la guerre et se sont reconvertis dans l'aviation civile, assurant les périlleuses liaisons entre l'Inde et la Chine. Aventuriers sans attaches, les deux amis de Bill sont très surpris quand celui lui leur apprend qu'il est sur le point de se marier avec une jeune américaine rencontrée depuis peu. La nuit même de son retour à Calcutta, Bill est retrouvé assassiné, étranglé par un inconnu. Ne croyant pas en la compétence de la police locale, Neale décide de mener sa propre enquête avec l'aide de Pedro. Il fait ainsi la connaissance de Virginia, la mystérieuse fiancée qui d'emblée ne lui inspire aucune confiance. D'un naturel méfiant envers les femmes, il commence par douter de sa version de la dernière soirée passée avec son fiancé le soir même de sa disparition. Il l'interroge brutalement sans tenir compte des sentiments exprimés par la jeune femme, allant même jusqu'à arracher de son cou le collier de diamants prétendument offert par Bill alors que celui ci n'aurait jamais eu les moyens de lui offrir un pareil présent. Muni du bijou, Neale commence par glaner des renseignements sur les marchés de Calcutta afin de retrouver le vendeur. Il rencontre ainsi Mrs. Smith, une mystérieuse expatriée anglaise…

Pendant 10 min. on pense à une erreur d'aiguillage car on est plus dans un film d'aventures que dans un film noir. Neale, Pedro et Bill transportent donc du fret en survolant la "butte", c'est à dire l'Himalaya dans le langage des pilotes du secteur…Accident, atterrissage en urgence, dialogues d'hommes et bagarre dans un bar, on est dans le film d'hommes, viril et pas compliqué. L'irruption d'une femme d'abord simplement évoquée mais qui provoque déjà les sarcasmes de Neale, puis le meurtre mystérieux de Bill, transforment assez radicalement le récit. C'est manifestement un véhicule pour Alan Ladd, version dur à cuire, c'est à dire avant que ses employeurs ne découvrent qu'il pouvait plaire aux petits n'enfants. Il est de presque toutes les scènes. On insiste d'abord sur le coté athlétique (Heu, remarquez Alan, y'avait avec ou sans tabouret ). On commence par le voir torse nu en train de décharger les marchandises de son C-47, puis jouer du coup de poing avec l'aide de William Bendix, son vieux complice à la ville comme à l'écran et dès qu'il se met à parler, c'est pour montrer son scepticisme lorsqu'il apprend que son ami Bill est stupide au point de faire suffisamment confiance à une femme pour aller jusqu'à envisager de l'épouser. Bref, c'est du Alan Ladd assez typique de la période : misogyne, cynique, froid et même sans émotion. Ainsi, lorsqu'il apprend la mort brutale de Bill, étranglé la nuit précédente, il reste absolument impassible, signalant au passage que les femmes ne sont pas les seules à essuyer ses sarcasmes car les autorités policières anglaises chargées de l'enquête en font aussi les frais. C'est d'ailleurs parce qu'il ne croit pas en leur compétence qu'il commence son enquête, montrant par là une certaine loyauté vis à vis de son ami brutalement disparu. Mais ce n'est même l'enquête proprement dite qui intéresse en premier lieu le scénariste mais les relations de Neale avec deux femmes : une qui l'aime et qu'il délaisse, l'autre dont il se méfie avant d'en tomber amoureux.
On commence par découvrir la première, Marina (June Duprez), une chanteuse de cabaret qui, avant de fournir les premiers renseignements sur les évènements qui s'étaient produit la nuit précédente, chante une chanson en français, surement un signe de sophistication délibéré car contrairement à d'autres personnages semblables, il n'y a pas une once de vulgarité ou de pathos chez elle alors qu'elle est plutôt délaissée par Neale, son petit ami. Fataliste, elle semble se contenter de ces relations insatisfaisantes avec le fuyant Neale. Dans un film aussi asexué que son héros, elle est impliquée dans les seules scènes un peu sexy. Dans la 1ère, elle sort de la douche en peignoir et vient s'allonger sur un Alan Ladd impassible qui l'embrasse mollement, déjà préoccupé par sa rencontre prochaine avec la mystérieuse fiancée de Bill. Puis, plus tard, s'inquiétant de la relation naissante qu'elle soupçonne entre Virginia et son petit ami, elle l'interrogera à ce sujet. Ces quelques lignes de dialogue constituant d'ailleurs le seul échange un peu chaud et allusif du récit…et pratiquement les seules scènes dans lesquels on verra la sobre et talentueuse June Duprez ("star" éphémère autour de 1940 en Angleterre avec notamment les 1er rôles féminins des
quatre plumes blanches et du
voleur de Bagdad). Puis, on rencontre Virginia (Gail Russell), une des femmes fatales les plus improbables de tout le cycle noir, non pas qu'elle soit mauvaise mais choisir pour un tel rôle cette petite beauté sombre aux regards tendres était une audace singulière par rapport à ses rôles antérieurs et surtout par rapport aux personnages de femmes fatales habituelles.
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- Elle est ici à contre emploi, et pourquoi pas, mais si le mystère et les interrogations qu'il suscite dans la première partie du récit lui siéent parfaitement, le personnage tel qu'il évolue est si mal caractérisé qu'on a un peu de mal à avaler les révélations qui surviennent en cours de route, sans que je puisse vraiment déterminer à qui attribuer la plus grande part de responsabilité mais je pense tout de même que Gail Russell ne convenait pas vraiment pour un tel rôle. On ne voit pas dans son interprétation d'évolution, plus de noirceur s'installer en cours de route et même dans le final, on a presque envie de lui crier -juste pour lui faire plaisir- : " Bon, ben vas-y ! Tues-moi !!! " ( Bon, faut dire que mon vrai héros de film noir, c'est Robert Mitchum, le plus maso de tous). Comme ça ne vient pas, c'est Neale qui est obligé de la bousculer. Il gifle à 4 ou 5 reprises Virginia au cours de séquences finales assez décevantes en dehors d'un dernier échange au cours duquel Virginia parvient encore une fois à être plus touchante qu'autre chose. Pour en finir sur ce point, Calcutta est tout de même assez fidèle jusqu'au bout à ses personnages quoiqu'on puisse en penser. Neale ne cède pas au chantage sentimental de Virginia et le final ne nous montre pas un Neale profondément transformé par ces épreuves "sentimentales", mais, ayant montré qu'il pouvait finalement tomber amoureux d'une femme et ayant eu à en souffrir, il semble paradoxalement avoir perdu au moins une part de sa misogynie. La scène finale le montre en effet prêt à reprendre sa vie antérieure mais si on le voit prêt à remonter à bord de son avion, le dialogue avec Marina est plus détendu. Quand elle lui dit qu'elle " le préfère en l'air à l'abri des autres femmes", Neale réagit en souriant et l'embrasse.

Cela dit, même s'il y a quelques reproches à faire sur ces relations qui s'établissent entre les 3 principaux protagonistes de Calcutta, j'en ai surtout à formuler sur le reste, l'enrobage. 1er point, "L'ambiance" indienne et le milieu des expatriés. C'est du faux, du toc. Les investigations de Neale l'amène à fréquenter les casinos et les cabarets de Calcutta, ses bars, ses hôtels et ses marchés mais tout ceci ne donnent même pas de belles images. S'il était difficile mais pas impossible de faire du couleur locale en ne sortant pas des studios Paramount, Farrow ne parvient pas à créer une atmosphère exotique et plus grave, il ne donne aucun parfum particulier à ce film, ne comptant que sur ses principaux personnages pour faire vivre son récit. A l'univers exotique de pacotilles voir inexistant s'ajoute un récit nébuleux peuplé de personnages mystérieux et insaisissables qui ne m'a guère passionné. Le film appartient à une famille du film noir que je n'aime pas beaucoup qui a (parait-il) démarré avec
Le faucon maltais et qui s'est poursuivi par exemple avec
Le masque de Dimitrios mais pour le film de Farrow, c'est sans le jeu de dupes et le style sarcastique du premier et le récit en puzzle du second. Dans ce récit à énigmes, tous les personnages que l'on croise ne sont que des silhouettes ne présentant pas beaucoup d'intérêt, à une exception près…et je commence par elle.
Mrs. Smith (Edith King), la première que croise Neale au cours de son enquête est une vieille expatriée anglaise. C'est une femme d'affaires mystérieuse et sophistiquée qui commerce elle aussi entre l'Inde et la Chine. Qui commerce...ou plutôt qui traficote pour être plus juste avec le lecteur. C'est un peu physiquement et stylistiquement une Sydney Greenstreet au féminin pour présenter sommairement le personnage. On s'interroge longtemps sur sa complicité ou pas avec un autre marchand, indien et enturbanné celui là, Malik, qui semble faire de la contrebande entre les deux pays. Ensuite nous avons Eric Lasser, le propriétaire du casino dans lequel chante Marina. C'est un type charmeur qui semble avoir une certaine influence sur la jeune fiancée en deuil…Plus tard, la police britannique tiendra aussi un rôle secondaire puisque après avoir à son tour échappé de justesse à une tentative de meurtre par strangulation, c'est Neale qui sera soupçonné de meurtre par la police coloniale. Je ne développe pas plus. Les péripéties ne manquent pas dans cette histoire plutôt bien écrite (en dehors des dialogues qui sont eux d'une grande pauvreté en dehors de quelques échanges dont celui que j'ai signalé) mais si les péripéties sont raisonnablement intéressantes et acceptables, les personnages sont tellement schématiques et flous et la mise en scène de Farrow est tellement impersonnelle et molle que l'on arrive pas vraiment à se passionner pour cette histoire. Cela dit, j'ai déjà affirmé -et je confirme- que ce type de récit n'était pas trop pour moi…

C'était la 3ème fois que John Farrow utilisait le tandem Alan Ladd/William Bendix. Auparavant, sous la direction de Farrow, les deux amis avaient déjà partagé l'affiche du
défilé de la mort (China) en 1943 et de
Révolte à bord ( Two Years Before the Mast) en 1946. Ils s'étaient rencontrés sur un autre film noir,
La clé de verre (The Glass Key) de Stuart Heisler (1942) et 15 ans plus tard, après une longue interruption, ils se retrouveront encore ensemble sur
En Patrouille (The Deep Six) de Rudolph Maté. Amis proches mais séparés pendant presque dix ans en raison de l'hostilité de la femme de Ladd à l'égard de Bendix, Ils ont même poussés la proximité jusqu'à casser leurs pipes prématurément la même année en 1964, âgés respectivement de 50 et 58 ans. Le duo fonctionne comme d'habitude très bien mais des 6 films qu'ils ont tourné ensemble, Calcutta est probablement celui dans lequel Bendix est le plus terne car c'est aussi celui ou il a le moins de présence à l'écran. La carrière "noir" de John Farrow avait débuté avec Calcutta. Un an plus tard, sortira son meilleur,
La grande horloge (The Big Clock) (DVD zone 2). Il dirigera à nouveau Gail Russell, cette même année 1948 dans
Les yeux de la nuit (Night Has a Thousand Eyes) avec Edward G. Robinson et John Lund. Si celui ci présentait déjà des aspects fantastiques, c'était encore plus le cas du suivant,
Un pacte avec le diable (Alias Nick Beal) (1949) qui est vraiment à la lisière du genre. Avec
Where Danger Lives (DVD zone 1 avec vost), il retournait au film noir classique avant d'offrir avec
Fini de rire (His Kind of Woman) (1951), une des plus réussis des tentatives d'hybridation entre comédie et polar (DVD zone 1 et 2).
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