Je ne suis pas d'accord
Mais bon, j'aime bien les gamineries de Ford, les chansons irlandaises et tout ça donc c'est un peu logique
The World in his Arms - Le monde lui appartient (1952)
Réalisateur au talent immense, truculent raconteur d’histoires, grand amateur de littérature, Raoul Walsh était aussi un aventurier, un vrai.
The World in his Arms, par sa philosophie simple et rude, en est peut-être une des meilleures illustrations dans sa filmographie. Walsh s’amuse mais il sait très bien au fond de lui-même ce qui motive ses héros, et surtout le bel héros de ce film, le capitaine Jonathan Clark. Gregory Peck, déjà excellent dans
Captain Hornblower, est tout aussi bon dans ce film, avec un rôle moins sérieux et plus romantique.
Le film commence dans un San Francisco de 1850 qui n’est encore qu’une grosse bourgade. On pourrait s’attendre, pour un film qui s’annonce dès le générique comme un film de mer, à autre chose que la très longue première partie qui se déroule principalement dans un hôtel de luxe où Clark et son équipage ont décidé de fêter la bonne fortune gagnée lors de leur dernière équipée. Mais l’air de rien, derrière une truculence de façade et des saynètes destinées à faire rire le public de l’époque et qui peuvent paraître un peu répétitives aujourd’hui, Walsh plante le décor de ce film, qui est une étude de caractères avant d’être un film d’aventure au sens classique du terme.
Dans
The World in his Arms, Raoul Walsh cherche moins à nous montrer des hommes "en aventure", qu’à nous exposer pourquoi certains hommes vivent une vie d’aventure. Le film est une comédie légère, un film typiquement hollywoodien, et il ne s’agissait pas de nous montrer des hommes vivant une dure vie de marin, dans la crainte, le danger et l’expectative. Pour montrer cela, Walsh préfère les films mettant en scène des militaires, comme
Objective Burma,
Les Aventures du Capitaine Wyatt,
Captain Hornblower ou
Battle Cry. Dans ces films, la tension psychologique est d’ailleurs plus importante que les scènes de combat, car Walsh connaît son sujet.
The World in his Arms est plus du registre de la mythologie du Far West, de l’épopée des grands espaces. Nous sommes devant ce film pour nous amuser, pour avoir du grand spectacle, et Walsh en profite pour nous montrer quels sont ces hommes, ces caractères, qui ont fait la légende du Far West. Il aime ces hommes, il estime appartenir à ce monde où la mythologie est plus importante que le réalisme. Nous ne sommes pas dans le véritable Ouest que d’autres réalisateurs décriront des années plus tard, nous sommes au cœur d’un monde de cinéma, à l’apogée du Far West hollywoodien. Comme dans les bons romans qu’il affectionne, Walsh nous présente des héros de cinéma, mais des aventuriers psychologiquement crédibles. Ce n’est pas parce qu’une histoire "imprime la légende" comme le dira plus tard John Ford qu’elle doit être mal écrite.
Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, Raoul Walsh prendra lui-même plaisir à écrire sa propre légende dans son autobiographie
Un demi-siècle à Hollywood, où il n’hésite pas à prendre la réalité pour simple base de l’histoire de sa vie, sans gêne aucune. Tout doit être crédible car si le récit tient la route, c’est celui que l’histoire retiendra. Certains romanciers n’ont jamais quitté leur chambre, mais Walsh n’est pas de cette famille. Il est de celle des romanciers qui ont cherché l’aventure pour mieux la raconter plus tard, à leur manière. Grâce à ses voyages, ses fréquentations légendaires, il a su créer l’univers à partir duquel il a bâti son cinéma.

Il suffit de lire les récits des nombreux aventuriers qui jalonnent notre littérature pour savoir que l’aventure, quelle soit exotique, guerrière ou sportive, n’est pas une partie de plaisir. Plus une quête est difficile, plus le plaisir qu’on en obtiendra sera grand. Mais ce plaisir, ce n’est pas dans l’action qu’on le ressent. L’action est faite de tension nerveuse, de fatigue physique, de peur, d’ennui aussi. Le plaisir, d’autant plus intense que l’aventure aura été difficile, Raoul Walsh sait qu’on le ressent fortement à deux moments. Il y a la joie de l’exploit atteint, quand on fait la fête avec ses compagnons, qu’on se repose dans le confort oublié durant de longues semaines, qu’on raconte et qu’on commence à "imprimer la légende". Et puis, il y a aussi, mais ils sont rares, les moments où l’émotion domine, ceux où l’aventurier sent qu’il est parvenu à maîtriser le monde qu’il a choisi de conquérir. Enfin, il y a aussi, plus fort que le plaisir, le sens de l’accomplissement, le sentiment d’avoir définitivement atteint son but. Cela n’arrive pas à tous, seulement aux plus heureux. Comme nous sommes à Hollywood dans les années cinquante, le but ultime c’est bien entendu l’amour.

Le but de ce film étant de nous faire goûter les motivations et les bonheurs de l’aventure, Raoul Walsh commence par l’arrivée au port, le plaisir le plus vulgaire, celui qui appartient à tous les marins. Le capitaine Jonathan Clark, auréolé d’une prestigieuse renommée, arrive à San Francisco à bord de son schooner, le Pilgrim. L’aventure a été fructueuse, il rapporte des peaux de phoque et retire immédiatement de la vente une forte somme qu’il s’agit maintenant de claquer dignement. L’aventurier ne thésaurise pas, il utilise son gain pour s’offrir, sans ménagement et sans frein, les plaisirs que le bourgeois ne peut pas goûter, lui qui vit dans la crainte de perdre son bien. Clark s’installe dans le meilleur hôtel de la ville, quitte ses vêtements de mer pour un bel habit et organise une bringue à tout casser pour son équipage.

Ici intervient un personnage de grande importance : le faire-valoir. Les aventuriers talentueux comme Clark attirent les envieux. Dans un film dramatique, l’envieux chercherait à lui planter un poignard dans le dos pour occuper sa place. Nous sommes ici dans une comédie et le Portugais / Anthony Quinn se contente de s’inviter à la fête et tente de piquer le business de Clark. C’est agaçant, mais cela fait partie des règles du jeu : sans faire-valoir, l’aventurier ne pourrait se mesurer et prouver sa valeur. Un duel de bras de fer règle la question, Jonathan Clark est le plus fort. Le Portugais prend bien la chose et apporte d’ailleurs, sans s’en rendre compte, sa prochaine aventure à Clark, puisque c’est du fait de son incompétence que la mystérieuse comtesse russe Marina Selanova / Ann Blyth se retrouve obligée de faire appel à Clark.

Ici commence la seconde partie du film, qui fait alterner une romance merveilleusement photographiée et une aventure maritime suivie d’une évasion, toutes deux parfaitement mises en scène, avec tout le rythme et le dynamisme de Raoul Walsh. On peut regretter toutes les scènes sur le rivage de l’Alaska, avec les phoques, qui sont faites en incrustation sur des images d’archives. Elles sont franchement moches, mais ne durent pas bien longtemps. En dehors de cela, Walsh est au sommet de son art et ce film est une épure du genre et de l’époque.

La très belle conclusion du film est peut-être une quintessence en soi de la philosophie walshienne sur l’aventure. Le Portugais est à bord du Pilgrim et discute avec l’équipage de Clark. Il a perdu à peu près tout dans cette équipée, mais il a gagné de nouveaux amis et surtout, des histoires à raconter. Le capitaine Clark, lui, a obtenu à la fois l’émotion d’un très grand moment et l’accomplissement de sa quête amoureuse : il tient le monde entre ses mains.
Pour la réalisation de cet excellent film hollywoodien, Raoul Walsh a eu le très grand Russell Metty comme directeur photo. Dans sa très longue carrière,
Russell Metty a été directeur photo, entre autres, sur :
Le criminel et
La soif du mal, d’Orson Welles
The Private Affairs of Bel Ami d’Albert Lewin
Le secret magnifique,
Tout ce que le ciel permet,
Demain est un autre jour,
Ecrit sur du vent,
Le temps d’aimer et le temps de mourir,
Imitation of Life de Douglas Sirk (faut-il citer
Taza et
Les ailes de l’espérance 
)
L’homme qui n’a pas d’étoile de King Vidor
This Earth is Mine d’Henry King
The Misfits de John Huston
The Lord of War de Franklin Schaffner
Spartacus de Stanley Kubrick
Excusez du peu…
