A feu et à sang (The Cimarron Kid, 1952) de Budd Boetticher
UNIVERSAL
Avec Audie Murphy, Beverly Tyler, James Best, Yvette Duguay, Hugh O’Brian, Leif Erickson, Noah Beery Jr, John Hudson
Scénario : Louis Stevens
Musique : Joseph Gershenson
Photographie : Charles P. Boyle
Une production Ted Richmond pour la Universal
Sortie USA : 13 janvier 1952
1952. En voici une année westernienne qui démarre sur les chapeaux de roue avec l’arrivée d’un nouveau venu, Budd Boetticher ! En effet, qu’on se le dise d’emblée (mais pour ceux qui me connaissent, ce ne sera guère une surprise), il sera au final l’un de ceux qui feront partie de mon trio de tête des plus grands réalisateurs du genre toutes époques confondues ! Il avait bien signé en 1949 dans le domaine qui nous concerne,
The Wolf Hunters, mais à priori le film semble ne pas être très intéressant ; et puis c’était encore l’époque où le cinéaste ‘paraphait’ ses œuvres du nom d’Oscar Boetticher. Ce dernier est né le 29 juillet 1916 à Chicago (Illinois). Après des études dans l’Ohio, il commence une carrière de boxeur, puis devient une star du football avant de s’envoler pour le Mexique où il finit par se retrouver matador professionnel à seulement 20 ans. Sa connaissance de la tauromachie lui donne l’occasion d’être engagé en 1941 comme conseiller technique de Rouben Mamoulian sur
Arènes sanglantes (Blood and Sand), film ayant pour vedettes Tyrone Power et Rita Hayworth. Il demeure alors à Hollywood comme assistant réalisateur : il le sera sur cinq films jusqu’en 1944, année au cours de laquelle il dirige son premier long métrage. «
J’ai commencé par travailler comme assistant réalisateur sur de nombreux films... J’ai vite abandonné ce poste qui n’avait rien à voir avec la mise en scène. Un assistant, aux États-Unis, dépend plus du producteur que du metteur en scène. C’est la plupart du temps un jeune homme qui fait plus ou moins office d’espion pour le producteur. Il doit lui rapporter les erreurs du metteur en scène, les retards qu’il prend sur le plan de travail. J’étais un très mauvais assistant car je prenais toujours le parti du réalisateur… Le dernier cinéaste que j’ai assisté fut Charles Vidor pour Cover Girl (La Reine de Broadway). »
Il réalise alors onze films à petits budgets sous son vrai nom pour les compagnies Monogram ou Columbia, des films noirs et des thrillers pour la grande majorité. Ils n’ont jamais été distribués en France (jusqu’à ce que Bach Films édite en DVD le plutôt bon
Behind Locked Doors), mais voici ce que le principal intéressé écrivait sur eux avec son laconisme habituel : «
Moins j’en parlerai, mieux ça vaudra ! » Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon, dans leur 50 ans de cinéma américain, en sauvent néanmoins quelques-uns dont celui que j’ai cité ci-avant. C’est seulement en 1951, après avoir opté pour le prénom de Budd, qu’une de ses réalisations,
The Bullfighter and the Lady (La Dame et le toréador), film partiellement autobiographique, fait se braquer les projecteurs sur sa personne. D’abord bloqué par les producteurs, qui le trouvaient trop long et qui n’y croyaient pas une seconde, il est entièrement remonté par John Ford qui était tombé amoureux de la première version rejetée (les grands esprits se rencontrent). Grâce à lui, il peut enfin être projeté. Les deux cinéastes garderont toujours de cette expérience une estime réciproque.
The Cimarron Kid est le film qui suit immédiatement ainsi que le premier western de Boetticher pour Universal, le studio roi de la série B. C’est aussi le quatrième film d’Audie Murphy qui reprenait pour l’occasion le personnage de Bill Doolin, précédemment interprété par Randolph Scott dans
The Doolins of Oklahoma de Gordon Douglas.

Bill Doolin (Audie Murphy), un hors-la-loi, est relâché pour bonne conduite et décide de se ranger dans la région de Cimarron en Oklahoma. Pris au milieu d'un hold-up ferroviaire et reconnu par l'un des bandits, il est pris pour un de leurs complices. Il est désormais à nouveau poursuivi par les autorités et notamment par Sam Swanson (David Wolfe), malfaisant détective du rail qui n'a pas digéré que Bill ait retrouvé sa liberté aussi vite. Bill doit se réfugier dans le gang des Dalton où il replonge malgré lui dans le banditisme sous le nom du Cimarron Kid. La bande, dirigée par Bob Dalton (Noah Beery Jr), est constituée outre ses trois autres frères par Red Buck (Hugh O’Brian), Bitter Creek (James Best) et son amante Cimarron Rose Adams (Yvette Duguay) ainsi que Dynamite Dick (John Hudson). Ils planifient un double hold-up à Coffeyville qui se termine par une mortelle fusillade et la mort de trois des Dalton dont Bob. Les rescapés se retrouvent au ranch de Pat Roberts, ancien membre du gang qui s’est retiré du brigandage. Lui et sa fille Carrie (Beverly Tyler) les accueillent néanmoins avec chaleur et n’hésitent pas à les cacher lorsque le Marshall John Sutton (Leif Erickson) vient fouiller la propriété. Carrie tombe sous le charme de Bill et tente de le convaincre de déposer les armes. Mais Bill est désormais à la tête du gang et lui promet d’arrêter ses larcins une fois qu’il aura acquis assez d’argent pour partir refaire sa vie avec elle en Argentine. Swanson, toujours aussi violement acharné, met la tête de Bill à un prix relativement élevé, ce qui attire les mouchards. L’étau se resserre d’autant qu’un traître a l’air de s’être faufilé au sein même du gang…

La lecture du pitch et l’ossature du film paraissent certes conventionnelles (ce qui est le cas, sachant désormais bien que les histoires de bandits célèbres ont fourni jusqu’à présent le thème le plus usité au sein du western de série depuis le début des années 40) mais Boetticher insuffle à son premier véritable western une sensibilité et une solidité qui le font se hisser un peu au-dessus des déjà nombreuses plaisantes séries B sorties chez Universal. Un
Kansas Raiders (déjà avec Audie Murphy) encore meilleur en quelque sorte ! A sa vision et le recul que l’on a sur les années qui ont suivi, on peut deviner à postériori l’éclosion d’un futur génie du genre. En effet, ce petit western nerveux et efficace annonce en mineur toutes les qualités, imagerie et thèmes à venir du cinéaste : concision, personnages plus complexes qu'ils n'y paraissent, volonté des 'bad guy' de se ranger sans pouvoir y parvenir, rattrapé par leurs funestes destins, empathie du spectateur à leur égard grâce à 'l'humanité' que leur accorde le cinéaste (les plus ‘pourris’ dans ce western n'étant justement pas les hors-la-loi), scènes d'actions plus que rondement menées, attention particulière accordée aux séquences à cheval du fait de l'amour que Boetticher portait à ces animaux, paysages parfaitement mis en valeur, détails et images inhabituels (ici la rotonde ferroviaire ou le parc à bois par exemple), superbes et plantureuses actrices (ici deux pour le prix d’une avec Beverly Tyler et Yvette Duguay qui, c’est le moins qu’on puisse dire, ne font pas tapisserie). Le scénario ne possède rien d'original mais est parfaitement bien construit permettant de ne pas nous ennuyer une seconde. On sent déjà que Boetticher aime tous les personnages qu'il fait vivre et l'on y trouve déjà des acteurs qui seront à nouveau à l'affiche des ses westerns les plus célèbres : James Best (
Ride Lonesome) ou Noah Berry Jr (
Decision at Sundown). Audie Murphy et son visage poupin s'en sort très bien et nous offre un portrait extrêmement sympathique (à défaut d'être charismatique) de ce bandit qui n'arrive pas à se dépêtrer de son statut de hors-la-loi. Nous sommes encore loin des sommets atteints par la série des 'Ranown' mais c'est déjà vraiment très agréable.
Mais n’anticipons pas tant et revenons sur ce que les spectateurs de l’époque, découvrant seulement le cinéaste œuvrant pour le genre, ont pu constater à propos des éléments qui font que
The Cimarron Kid dépassait d’une courte tête la plupart des séries B déjà sorties les années précédentes à l’exception notable de films tels que l’ultra sensible
Whispering Smith de Leslie Fenton, le baroque
Quand les tambours s’arrêteront (Apache Drums) de Hugo Fregonese ou
Tomahawk de George Sherman, non seulement superbement réalisé (comme l’est le Boetticher) mais surtout remarquable dans sa manière d’appréhender et de décrire le problème indien. De par son postulat de départ et les inévitables clichés qui en découlent,
A Feu et à sang ne peut guère prétendre rivaliser avec ces trois films ; il n’en est pas moins une très belle réussite qui vieillit remarquablement bien et qui se bonifie même à chaque vision. Tout d’abord, à tout seigneur tout honneur, Budd Boetticher himself, l’homme qui va à l’essentiel sans pour autant bâcler son travail. On sent qu’il possède déjà un solide métier grâce à la dizaine de petits films qu’il réalisa durant la seconde moitié des années 40 : sa mise en scène est d’une redoutable efficacité sans qu’il ait besoin de jouer au ‘m’as-tu-vu’.

Elle s’avère constamment robuste et inventive durant les très nombreuses séquences d’action : Boetticher utilise les objets qu’il met en premier plan pour des histoires de perspective et de distance, joue avec la profondeur de champs, les angles, met sa caméra à la place des tireurs mais surtout découpe ses scènes avec une formidable précision. La mise en place des séquences d’action est méticuleuse ; il n’y a qu’à voir celle au cours de laquelle le gang est attiré dans un piège en plein centre ville et qu’il se voit d’un coup encerclé de part et d’autre, obligé de tenter une fuite par une rotonde après une fusillade fournie. Méticulosité du montage, du découpage, des choix de décors et vigueur du rythme, tout y est sans oublier une violence assez bien rendue et une savante utilisation de la vapeur dégagée par la locomotive qui finit de rendre la scène plastiquement très belle. On pourrait aussi évoquer le fameux double hold-up simultané de Coffeyville (au cours duquel les Dalton se firent tuer) qui montre la parfaite gestion topographique des lieux (et dont certaines images font à postériori déjà beaucoup penser à du Leone) ou encore la très longue séquence qui termine le film au niveau de l’action, celle du vol des lingots dans le train, et s’émerveiller tout autant de leur génie du rythme et du découpage. Je préfère vous les laisser savourer car cette science de la mise en scène qui lui semble innée n’est pas forcément évidente à faire comprendre à l’écrit. Pour faire court, c’est carré, énergique et bougrement efficace. Et l’on peut dire que le réalisateur sait filmer et ‘faire vivre’ des paysages variés avec l’intelligence de ne quasiment jamais utiliser de transparences ou de stock-shots ; mais ça se pourrait aussi que ce soit une volonté du studio Universal ! En tout cas, seule l’intérieur de la grotte sent le tournage en studio, le reste respire les grands espaces et le bon air frais. Enfin, le cinéaste sait dénicher une iconographie inédite comme cette gare de triage ou ce parc à bois au travers duquel sinue la voie ferrée.

En plus de ça, Boetticher bénéficie d’un scénario de Louis Stevens certes assez classique dans son intrigue mais rempli de personnages tous aussi bien croqués les uns que les autres, plus riches que dans la plupart des westerns de série B qui ont précédé avec surtout deux beaux portraits de femmes qui lui permettent d’insuffler en plus un souffle romanesque assez touchant à son histoire. La première, l’amoureuse mexicaine de l’acteur James Best, jouée par Yvette Duguay, n’apprécie guère le genre de vie que mène son homme mais par amour le suit sur cette mauvaise pente, participant même aux larcins par le glanage d’informations sur les futurs convois d’argent qui pourraient intéresser les bandits ; une espionne par amour en quelque sorte et au final un personnage loyal et sacrément attachant. La seconde, Carrie Roberts (autre superbe visage que celui de Beverly Tyler), une femme forte qui ne cache pas qu’elle ne souhaite pas épouser un hors-la-loi, essayant du coup de faire cesser les activités illicites de l’homme sur lequel elle a jeté son dévolu. Suite à un de ses actions, le final s’avèrera d’ailleurs assez inattendu mais dans la logique des choses ; un ultime coup de théâtre somme toute très moral (voire très certainement moralisateur pour certains) que je m’abstiendrais de vous dévoiler. Pour ceux que ça ne gêne pas,
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- plutôt que de fuir avec lui, elle livrera son amant à la justice pour pouvoir l’aimer correctement une fois qu’il aura expié ses fautes et retrouvé une certaine dignité ; mais si ça se trouve, c’était aussi pour le protéger, pour ne pas qu’il risque de tomber sous les balles du vil détective ? D’ailleurs il était prévu que Bill Doolin meure, ce qui ne s’est finalement pas fait suite aux pressantes requêtes des fans de l’acteur.[FIN DU SPOILER] L’homme aimé par la belle aux yeux bleus, c’est Bill Doolin interprété par Audie Murphy, ici en début de carrière. Un homme sur qui pèse la fatalité d’un passé difficile à assumer, refusant de tuer sans nécessité, obligé de replonger sur la mauvaise pente à cause de la persécution d’un homme qui le hait et qui n’accepte pas de le voir libre. Sans en faire des tonnes (beaucoup le lui reprocheront), donnant parfois l’impression d’être plus un témoin qu’un acteur de l’action, Audie Murphy arrive lui aussi à nous rendre son personnage très attachant…
… Tout comme la galerie d’autres personnages qui évoluent autour de lui. Stacey qui abandonne le banditisme en cours de film mais qui reste profondément attaché aux membres du groupe, les invitant même à manger avec son épouse et ses trois jeunes enfants ; le Marshall témoignant d’une forte estime pour le hors-la-loi qu’il poursuit donc malgré lui ; l’ex-membre du gang, père de Carrie, qui ne participe plus aux coups mais qui accueille et cache sans problèmes ses ex-complices ; Bob Dalton, chef de gang débonnaire… Excepté Red, la brebis galeuse dont on ne comprendra d’ailleurs pas tous les gestes et motivations (une petite faille du scénario), un gang fortement lié par l’amitié, la tendresse et le respect de l’autre. Leur but est d’être libre et d’avoir assez d’argent pour pouvoir se retirer et vivre tranquille ; aucun n’est attiré uniquement par l’appât du gain. Pour incarner tous ses personnages richement portraiturés, avec une belle sensibilité, des comédiens qui jouent le jeu sans trop en faire, la tripotée de seconds rôles s'avérant également parfaite et jamais délaissée par le scénariste ni le metteur en scène.
Une série B trépidante et enlevée qui démarre rapidement et qui ne s’attarde jamais en chemin, filant droit à l’essentiel sans longueurs inutiles et sans temps morts, nerveusement rythmée sans jamais qu'elle n'oublie pour autant de nous faire vivre des personnages de chair et d’os tous très attachants. Un western classique et remarquablement soigné aux innombrables péripéties (attaques de banques ou de trains, fusillades, chevauchées, poursuites, trahisons…) qui devrait réjouir les aficionados qui ne doivent cependant pas s'attendre un chef-d’œuvre mais à un divertissement de haute volée.