Battle Cry (1955)
Un peu comme Henry Hathaway, Raoul Walsh est un réalisateur qui, loin d’avoir souffert du système des grands studios, y était au contraire parfaitement adapté. Il a fait l’essentiel de sa carrière à la Warner et considérait Jack Warner comme un ami. Dans ses mémoires, Un demi-siècle à Hollywood, Walsh raconte que c’est Jack Warner qui lui a proposé d’adapter le roman de Leon Uris, parce que le sujet "lui convenait parfaitement".
Jack Warner, Raoul Walsh, Marion Davies, Randolph Hearst, Mrs Raoul Walsh
Qu’est-ce donc qu’un sujet parfaitement "walshien" ? Un film de guerre : certes, Walsh a excellé dans le genre. Une histoire d’hommes : oui, mais Walsh aime aussi les personnages féminins et
Battle Cry n’en manque pas, au contraire. Un film d’aventure : bien sûr, mais
Battle Cry est justement un film au rythme beaucoup plus constitué de "petites histoires" successives, que des rebondissements d’une aventure.
Si on réfléchit à ce qui fait l’essentiel d’un film comme
Battle Cry, à savoir l’entrainement et les aventures de permissions d’une bande de jeunes recrues des Marines avant l’engagement dans les combats du Pacifique en 1942, on comprend qu’un des points qui font la force et la poésie des films de Walsh, c’est l’observation des êtres humains mis en situation de bouleversement. C’est moins l’aventure en tant que telle qui fait le charme des films de Walsh, que l’observation de l’évolution des personnages qui, de gré ou de force, sont plongés "en aventure", "en mouvement", bref, hors de leur quotidien.
Du capitaine Nelson d’
Objective Burma !(1945) aux frères Allison de
The Tall Men (1955) en passant par le capitaine Wyatt, dans
Distant Drums (1951) ou le
Capitaine Horatio Hornblower (1951), les films de Walsh nous content souvent les aventures d’un homme plongé "en aventure", en solitaire ou à la tête d’une compagnie, d’un équipage. Mais, en exceptant peut-être le personnage de Custer dans
They died with their Boots on (1941), ces personnages ne sont jamais des célébrités, des héros reconnus accomplissant une action extraordinaire, un combat légendaire rentré dans les annales de l’Histoire.
Walsh raconte des histoires d’hommes à hauteur humaine, il s’intéresse justement plus à l’évolution des caractères plongés en situation inhabituelle qu’à l’exploit accompli en lui-même.
Battle Cry, dans sa façon d’évoquer la guerre du Pacifique, peut rappeler la façon très détournée dont
Dark Command (1940) évoque la guerre de Sécession. Walsh utilise un épisode certes connu (la triste épopée du sinistre William Quantrill), mais complètement anecdotique par rapport à la guerre elle-même, pour dresser un portrait assez juste des deux Amériques qui s’affrontaient alors, à travers l’étude des destinées du sudiste humilié William Cantrell et du cow-boy aventureux Bob Seton.
Au début de
Battle Cry, le sujet est promptement et clairement indiqué : nous allons assister aux aventures d’un groupe de jeunes recrues de Baltimore, qui viennent de s’engager dans les US Marines, au moment où, en 1942, les USA se trouvent en grande difficulté face aux forces armées japonaises qui vont encore, à l’époque, de conquête terrestre en victoire navale. Bref, nous sommes quelques mois avant le retournement de Guadalcanal, mais des batailles majeures qui auront lieu alors, nous n’aurons guère qu’une évocation succincte par quelques images d’archives.
La guerre du Pacifique n’est pas vraiment le sujet du film. Le sujet de
Battle Cry est plus universel, c’est la guerre elle-même. C’est ainsi que le film, particulièrement long dans la filmographie de Raoul Walsh avec une durée de 149mn, s’attarde très longuement sur l’entraînement et les aventures amoureuses des soldats, les scènes de combat elles-mêmes n’occupant guère que les vingt dernières minutes du film.
Ce film serait donc un soi-disant film de guerre qui s’égare de bluette en bagarre de saloon, agrémentées de quelques marches forcées d’entraînement, pour arriver enfin au cœur de son sujet au bout de deux heures ?
Pas vraiment, heureusement, et d’ailleurs le film auquel
Battle Cry m’a fait beaucoup penser c’est le très long documentaire
The War (2007), de Ken Burns, qui évoque, en historien et uniquement avec des images d’archives, en 12 heures de temps, le bouleversement majeur, à la fois économique, militaire et social, que fut la seconde guerre mondiale pour les Etats-Unis.
Il ne s’agit pas de comparer un film de guerre adapté d’un roman à un long travail d’historien, mais il y a quelque chose d’épique dans le documentaire de Ken Burns, comme dans le film de Raoul Walsh.
Cette dimension épique vient justement de ce que les deux réalisateurs s’attachent à évoquer les plus grands évènements à travers l’étude précise des personnes qui, anonymement, ont fait l’Histoire à cette époque.
Battle Cry n’a rien d’un film historique, mais c’est son climat, parfaitement juste, qui fait l’exceptionnelle qualité du film. Il y a deux sortes d’épopées. Celles qui narrent l’histoire d’un peuple composé de membres discrets et anonymes qui construisent une civilisation. Ceux-là ont des chefs, pas des héros. Et il y a les épopées héroïques, qui content justement les aventures et exploits d’un Héros. Celles-ci, généralement, se terminent mal. Dans
Battle Cry, Raoul Walsh nous conte l’épopée d’un peuple en guerre, mais il prend aussi le temps de souligner les dangers et, finalement, le caractère très dérisoire de la recherche de la Gloire.
Une épopée comme celle des USA durant la seconde guerre mondiale, en effet, est avant tout celle d’une génération de jeunes de vingt ans plongé dans le bouleversement le plus général, par le nombre de personnes impliquées, et le plus dangereux, puisqu’il s’agit d’un conflit armé d’ampleur mondiale et d’une durée de quatre années. Loin de vagabonder au gré des aventures de ses personnages, c’est en insistant sur l’entraînement et les petits destins individuels d’un groupe de soldats que Walsh parvient à montrer avec justesse comment la guerre bouleverse au plus profond la vie d’un peuple dans son ensemble.
Les nombreuses séquences amoureuses dans le film me semblent assez rares dans la filmographie de Walsh, qu’on voit rarement en amateur de mélo à la Douglas Sirk. On y trouve même quelques séquences érotiques (années 50, restons calmes !) comme celle du strip-tease de Dorothy Malone derrière un fauteuil.
Mais finalement, comment mieux évoquer la vie de jeunes de vingt ans qu’à travers des histoires d’amour et de mariages à la sauvette ? Il suffit de voir avec quel soin Walsh compose les scènes entre Marion Hotschkiss, l’intellectuel du groupe et Rae, qui se révélera plus tard être une call-girl, sur le bac San Diego-Coronado, pour comprendre que la réalisateur souhaite y mettre bien plus qu’une simple amourette. Derrière Marion, qui attend son départ pour le Pacifique, défilent les paysages urbains, le monde qui s’ébroue au petit matin et au sein duquel il n’est qu’un fétu de paille.
L’aspiration à la gloire, elle, est évoquée par deux scènes de grande importance dans le film, l’une comique, l’autre tragique, à la fin.
Dans la première, nous voyons Spanish Joe, le mauvais garçon du groupe, s’affubler dans un bar, d’un placard de décorations et faire le matamore devant un public de marins néo-zélandais (nous avons quitté San Diego pour Wellington, base d’entraînement des Marines avant les combats). Ces derniers, admiratifs devant les médailles de Spanish Joe, lui demandent des détails sur les circonstances héroïques au cours desquelles il les a gagnées. Spanish Joe se lance dans un récit de combat digne des meilleurs films d’action, se retrouve seul, entouré d’une escouade de japonais, une mitrailleuse en face de lui.
Il arrête son récit, les marins, pris au jeu, écarquillent les yeux et le pressent de leur dire comment il s'en est sorti. Spanish Joe se jette vers eux, lance "And then, I’m dead, of course !" avant d’éclater de rire et de sauter en l’air.
La scène tragique intervient à la fin du film. Le Major Huxley, qui commande le régiment de Marines, est vexé de ce que son régiment n’ait, durant les deux dernières années, été utilisé que pour des combats de nettoyage. Il veut participer à un combat glorieux, en première ligne, et vient réclamer cet honneur auprès de son Général.
Nous sommes en 1944 et il obtiendra que son régiment appartienne aux premières troupes qui débarquent à Saipan. Ce seront les dix dernières minutes du film, et Huxley trouvera la mort d’une balle perdue, sous un fourré. 2000 Marines ont trouvé la mort durant les premières heures qui ont suivi le débarquement à Saipan, l'équivalent de 3 à 4 régiments.