10.
Furia à Baya pour OSS 117 d'André Hunebelle (1965) :
Avec Frederick Stafford, Mylène Demongeot, Raymond Pellegrin, Perrette Pradier, François Maistre, Guy Delorme... Scénario de Pierre Foucaud, André Hunebelle et Jean Halain (d'après le roman
Dernier quart d'heure de Jean Bruce, 1955) – Musique de Michel Magne – Genre : espionnage – Production franco-italienne – Date de sortie : 02/07/1965
Des hommes politiques sont assassinés au Brésil lors d'attentats-suicides perpétrés par des meurtriers kamimazes agissant comme en état d’hypnose. Hubert Bonnisseur de la Bath, alias OSS 117, est envoyé sur place par la CIA pour enquêter...
Dans les années 1950/60, l'espionnage a le vent en poupe en France. Les romans populaires du genre, poliment surnommés romans de gare, fleurissent dans les présentoirs des librairies. Les collections abondent, comme celles des éditions du Fleuve Noir (dans les 1800 romans), des éditions de l'Arabesque (600 romans), des Presses Noires Espionnage, du Gerfaut, des Presses de la Cité, etc... Elles ont toutes des héros récurrents, comme Coplan, Nick Carter, Luc Ferran, le Vicomte, Nick Jordan et bien-sûr OSS 117. Il y en a eu bien d'autres. Ces personnages et romans étaient créés et écrits par des auteurs français ou belges se cachant derrière des pseudonymes bien souvent à consonance américaine (Jean Bruce, l'auteur des OSS, ou Paul Kenny... ) mais pas que (Claude Joste, Pierre Nemours... ). Il reste de nos jours un avatar de cette mode (sous)littéraire, Gérard de Villiers et sa collection S.A.S. débutée en 1965 aux Presses de la Cité, alors que la mode est à son apogée et qui continue à publier (au moment où j'écris ces lignes, on attend le n°190 des aventures de Malko Linge, alias S.A.S. ), romans que personne n'avoue lire mais qui s'écoulent à plus de 200 000 exemplaires à chaque parution... Beaucoup de ces personnages récurrents ont vu au moins une de leurs aventures adaptées au cinéma, comme Coplan, Nick Carter ou S.A.S. (pour ce dernier, c'est assez calamiteux, voir les films
S.A.S à San Salvador de Raoul Coutard en 1982 ou
La veuve noire d'Andrew V. McLaglen en 1991). Et bien-sûr OSS 117 qui nous occupe ici.
La première adaptation des aventures de OSS 117 date de 1956,
OSS 117 n'est pas mort, suivie d'une seconde non officielle avec Michel Picolli dans le rôle titre mais avec un nom de personnage modifié, les auteurs n'ayant pas jugé bon de payer les droits d'auteur (
Le bal des espions, 1960). Mais le 23 janvier 1963 déboule dans nos salles
Dr. No, dont le héros est un certain James Bond 007, et c'est le succès immédiat. Comme par hasard, le 18 février, débute le tournage de
OSS 117 se déchaine. En effet, enchainant les succès populaires avec ses films de cape et d'épée, Hunebelle voit là un filon potentiel. Et il a raison, son film faisant dans les 2,3 millions d'entrées. Le suivant,
Banco à Bangkok pour OSS 117 attire près de 3 millions de spectateurs ! Le succès de l'espionnage n'est plus que littéraire, il est désormais aussi cinématographique. Hunebelle, qui lança entretemps la saga
Fantômas (autre carton au box-office), va alterner durant 5 années entre le voleur masqué et le 007 franchouillard (d'ailleurs le deuxième
Fantômas reprendra le titre du premier OSS qu'aura réalisé Hunebelle,
OSS 117 se déchaine devenant
Fantômas se déchaine... ).
Furia à Bahia pour OSS 117 est donc le troisième opus réalisé par André Hunebelle. A revoir ce film, il est clair qu'il servit de référence principale à la parodie que réalisera Michel Hazanavicius en 2007,
OSS 117 : Rio ne répond plus... tellement les similitudes, autres que celle évidente du lieu géographique (le Brésil), y font penser : même exotisme de pacotille, gestuelle forcée de Frederick Stafford qui semble se déplacer aux commandements du réalisateur et non de sa propre volonté et que Jean Dujardin saura si bien imiter, méchants à penchants « nazillants », intrigue prétexte montrant une enquête vaguement suivie par un agent français dont le seul talent semble être de rencontrer de jolies femmes qui comme par hasard le mènent volontairement ou non sur les bonnes pistes sans qu'il ne doive faire un effort quelconque de déduction puisque de toutes manières, des méchants l'attendent systématiquement dans un coin pour lui sauter sur le râble...

Comme d'habitude, oserai-je dire, Hunebelle signe une réalisation plus illustrative qu'inspirée, même s'il semble presque plus à l'aise que dans ses films en costumes. Mais on a beau lui donner des dizaines de figurants, des extérieurs somptueux (non filmés par lui d'ailleurs, mais par ses réalisateurs de seconde équipe, Jacques Besnard et Michel Lang, futurs réalisateurs de nanars comme
La situation est grave... mais pas désespérée ou
Te marre pas... c'est pour rire ! pour le premier,
Le cadeau ou
A nous les garçons pour le second), et quelques sous, il n'en fait quasiment rien, à l'image de l'attaque finale de la base ennemie, pataude, sans dynamisme ni ampleur, qui fait bien pâle figure devant les scènes équivalents des James Bond de l'époque, modèles visés et limite plagiés.
L'inspiration n'est pas au rendez-vous, et certaines scènes sont inutiles, faisant office de remplissage afin d'ajouter de l'action gratuite, à l'image d'une bagarre dans un avion qui n'apporte rien d'autre qu'agitation vaine dans un décor à la noix (pas une seconde on se croit dans un avion). Seuls les plans des chutes d'Iguazú sont un tant soit peu impressionnants, mais c'est à la fin et bien trop tard.

Et ce n'est pas Frederick Stafford avec sa démarche de robot téléguidé qui va relever le niveau tant il est à la limite de l'inexpressivité. Une scène le montre clairement : il est en voiture avec Mylène Demongeot, lorsque de hautes flammes s’élèvent brusquement en mur devant le véhicule, l'actrice sursaute et imprime alors l'angoisse sur son visage, lui ne bronche pas d'un sourcil... Mylène Demongeot est d'ailleurs la plus impliquée du casting, même si son rôle se sert pas à grand-chose d'autre qu'à faire la femme hurlante à chaque danger qui se présente. Raymond Pellegrin, lui, a l'unique rôle un peu complexe mais il intervient tardivement dans le film et son revirement final est bien peu crédible.
Comme la plupart des films européens qui ont surfé sur le succès de James Bond, le résultat est peu emballant et a très mal vieilli. L'unique intérêt aujourd'hui est le parallèle entre les interprétations de Frederick Stafford et celle de Jean Dujardin qui s'est largement inspiré du premier pour la reprise du rôle dans
Le Caire nid d'espions et
Rio ne répond plus...
Étoiles : * . Note : 9/20.
Autour du film :
1. En dehors des deux pastiches réalisés par Michel Hazanavicius en 2005 (
Le Caire nid d'espion) et en 2007 (
Rio ne répond plus), il y a eu 7 adaptations officielles des aventures d'OSS 117 :
OSS 117 n'est pas mort de Jean Sacha (1956),
OSS 117 se déchaine d'André Hunebelle (1963),
Banco à Bangkok pour OSS 117 (André Hunebelle, 1964),
Furia à Bahia pour OSS 117 (1965),
Atout cœur à Tokyo pour OSS 117 (Michel Boisrond, 1966),
Pas de roses pour OSS 117 (André Hunebelle, 1968),
OSS 117 prend des vacances (Pierre Kalfon, 1970). Une unique adaptation télévisuelle clôt cette série :
OSS 117 tue le taon (André Leroux, 1971). A celles-ci s'ajoutent deux autres officieuses, les auteurs adaptant un roman d'OSS 117 sans en posséder les droits :
Le bal des espions (Michel Clément et Umberto Scarpelli, 1960, l'espion étant renommé Brian Cannon) et
Cinq gars pour Singapour (Bernard Toublanc-Michel, 1967, l'espion ayant pour nom cette fois Art Smith). A cette liste s'ajoute
Le Vicomte règle ses comptes (Maurice Cloche, 1967), tiré d'un roman ayant pour héros OSS 117 de Jean Bruce, mais à qui on a donné dans le film le surnom d'un autre héros de roman d'espionnage, le Vicomte, créé par Fred Noro et, de plus, le film est interprété par Kerwin Mathews qui a joué OSS dans les deux premières adaptations d'Hunebelle...
2. C'est le premier rôle de Frederick Stafford. Comme son pseudonyme ne l'indique pas, Stafford n'est ni anglo-saxon, ni français, mais autrichien d'origine tchèque et se nommait Friedrich Strobel von Stein. C'était avant tout un sportif de haut niveau (hockey sur glace et natation, il a même participé aux épreuves de natation des Jeux Olympiques de Londres en 1948). Né en Tchécoslovaquie en 1928, il vécut longtemps en Australie. Il était marié avec l'actrice allemande Marianne Hold. En l'accompagnant à Bangkok sur le tournage d'une coproduction franco-italo-allemande (l'oublié
Les diamants du Mékong), il fut repéré par le secrétaire d'André Hunebelle qui lui proposa de faire des essais. Hunebelle, qui cherchait un remplaçant à Kerwin Mathews, l'acteur américain qui joua dans ses deux OSS 117 précédemment réalisés et demandait un cachet exorbitant pour un troisième épisode, fut séduit par la carrure de l'autrichien qui s'était reconverti en représentant de produits pharmaceutiques. Le succès de
Furia à Bahia pour OSS 117 lança sa carrière à l'écran. Il reprit le rôle d'OSS 117 dans
Atout cœur à Tokyo pour OSS 117 de Michel Boisrond, avant de laisser la place à John Gavin pour le suivant (
Pas de roses pour OSS 117) et d'entamer une carrière dans le cinéma d'action italien durant une dizaine d'années. Son titre de gloire restera son rôle principal dans
L'étau d'Alfred Hitchcock. Il décède prématurément à l'âge de 51 ans dans un accident d'avion en Suisse en 1979.

3. Le personnage d'OSS 117 a été créé par Jean Bruce en 1949. De son vrai nom Jean Brochet, l’écrivain est né en 1921 dans la Sarthe. Avant d'écrire, il entra à l'école nationale de police. Durant la seconde guerre mondiale, il devient résistant puis, celle-ci finie, mène une existence assez chaotique : acteur, imprésario, employé de mairie, agent de renseignement, inspecteur de la Sûreté, secrétaire de maharadjah ( ? ), joaillier... Un destin digne d'un de ses propres romans. Les débuts d'OSS 117 sur le papier sont laborieux et l'agent y agit face à la mafia. Mais les années 1950, c'est le début de la guerre froide, les tensions est-ouest, les troubles dans les colonies, un contexte international où le communisme devient une espèce de monstre menaçant les pays de l'ouest et le capitalisme. L'auteur va orienter les aventures de son personnage en ce sens dès le cinquième roman, et le succès est alors immédiat. Jean Bruce écrira 88 romans mettant en vedette son héros récurrent. Le succès étant tel qu'après sa mort suite à un accident de voiture en 1963, sa famille prendra la plume pour que l'espion de papier continue sa lutte anti-communiste. Ainsi sa veuve en écrira 143 de plus jusqu'en 1985, sa fille et son fils vont ensuite continuer la série jusqu'en 1992, ajoutant 24 nouvelles aventures. Romans traduits en 17 langues, édités dans 21 pays et écoulés à 75 millions d'exemplaires. Malgré l'incontestable succès en librairie, la carrière de l'espion au cinéma, bien que les films d'Hunebelle furent de beaux succès, tourna court et restera un phénomène de mode, n'atteignant jamais le statut de son illustre collègue anglais, James Bond 007.
4. Gros succès de l'année 1965 puisque le film se hissera à la onzième place du box-office français avec 2 686 432 entrées. Bien-sûr, c'est presque peu de chose devant les 6 675 000 entrées faites par
Goldfinger sorti la même année et second du box-office 1965. Mais cela restera une bonne année pour Hunebelle puisque s'est hissé en sixième place
Fantômas se déchaine avec un peu plus de 4 millions d'entrées.
Bande annonce là :
http://www.dailymotion.com/video/xhvz1n ... shortfilms