

Stella Dallas (1925, Henry King) avec Belle Bennett, Ronald Colman, Lois Moran et Jean Hersholt
et Stella Dallas (1937, King Vidor) avec Barbara Stanwyck, John Boles, Anne Shirley et Alan Hale
J'ai revu hier soir le remake de 1937. Etant très familière de l'original muet, je vais pouvoir discuter des différences et des qualités des deux films. Tout d'abord, les deux films ont été produits par Samuel Goldwyn, en tant que producteur indépendant. Ils furent tous deux de gros succès au box-office et on peut comprendre qu'il ait voulu produire un remake parlant. Le film original réalisé par Henry King est une petite merveille de délicatesse et d'émotion vraie. Il faut d'abord souligner le travail du metteur en scène sur ce film avec sa scénariste Frances Marion qui ont créé un mélo lacrymal de très grande tenue. King s'implique complètement dans le tournage de ce film dans le choix des acteurs et dans le scénario. Certes, Goldwyn est toujours derrière lui pour contrôler ce qu'il fait, mais, il le laisse néanmoins oeuvrer. Du point de vue de la distribution des rôles, le film muet est un sans faute. Dans le rôle titre, Belle Bennett -qui n'était pas une grande star- trouve un emploi où elle excelle. Elle n'a pas la beauté physique de Stanwyck et elle s'est même enlaidie à dessein en prenant du poids.


Lois Moran, qui joue le rôle de Laurel sa fille, est également une trouvaille extraordinaire. Cette jeune danseuse de formation âgée de 16 ans avait été remarquée par Goldwyn lors d'un voyage en Europe. Elle avait tourné peu avant dans un chef d'oeuvre de Marcel L'herbier, Feu Mathias Pascal (1924). Sa destinée est d'ailleurs fascinante ; elle sera l'amie et la muse de F. Scott Fitzgerald et inspirera Rosemary dans Tendre est la nuit. Ici, elle est parfaitement crédible en enfant de 12 ans, grâce à l'habilité de King qui la filme à distance portant un costume d'enfant. Elle est dénuée de mièvrerie et joue sans rôle avec un naturel parfait (comme dans le film de L'Herbier d'ailleurs).


Ronald Colman, en Stephen Dallas, n'a qu'un rôle de complément qu'il remplit avec intelligence. Et Jean Hersholt est un Ed Munn alcoolique et sans éducation avec son talent coutumier, assez proche de son personnage dans Greed (1924, E. von Stroheim). Si King filme avec un grand classicisme -on pourrait même le taxer d'académisme- il dirige ses acteurs avec un talent peu commun. Il arrive à suggérer de nombreuses choses (sans l'aide des intertitres) qui seront énoncées en toutes lettres dans le remake parlant. On voit par exemple Stephen effacer le rouge à lèvres de Stella en essayant vainement de lui faire comprendre qu'il est trop voyant. Le film de 1925 est ancré dans son époque et la région qu'il décrit: La Nouvelle-Angleterre guindée. Stephen Dallas est issu d'une famille riche, mais son père s'est suicidé, accusé d'escroquerie. Il part dans une petite ville ouvrière où il est anonyme et inconnu. Devenu employé, il rencontre Stella Martin qui est elle issue d'une famille ouvrière. Le décor montré par King est nettement plus sordide que celui du remake. Stella est la mère de substitution de ses jeunes frères, des garnements sales, dépenaillés et turbulents face à un père alcoolique et fainéant. Elle réussit à attirer l'attention de Stephen en décorant son porche avec des volubilis. Ces deux-là ne se seraient jamais rencontrés dans des circonstances ordinaires. Ils sont dès le début dépareillés.


Dans le remake de King vidor, j'ai été frappée à quel point la mise en scène suit visuellement pas à pas l'original. Vidor a néanmoins supprimé le prologue original sur Stephen Dallas. Il faut dire que John Boles est un interprète guindé et qui n'inspire pas beaucoup de sympathie. Le film est re-centré sur Stella/Stanwyck. Contrairement à Belle Bennett, ses circonstances familiales ne sont pas sordides. Son père et son frère travaillent et sa mère s'occupe de la maison. On sent une arriviste qui veut sortir de son milieu. Elle fait de son mieux pour attirer Stephen Dallas en s'habillant avec goût (un goût qu'elle oublie totalement par la suite). Stanwyck est une interprète extraordinaire et c'est elle qui porte le film. Elle-même issue d'une famille pauvre de Brooklyn, elle comprenait bien ce que voulait dire la différence de classe. Mais, en 1937, la société américaine a évolué. Et le milieu de Stephen Dallas paraît maintenant essentiellement guindé, prétentieux et snob. Le public ne peut qu'être derrière Stella, qui malgré sa vulgarité et son manque de manière, est un personnage sincère et aimant. Quant à Laurel, Anne Shirley -âgée de 19 ans- n'est guère convaincante en gamine de 12-13 ans. Pour Ed Munn, Alan Hale fait son numéro habituel de cabot. Il est un peu moins crasseux que Jean Hersholt. Ce qui frappe de prime abord, c'est l'embourgeoisement du film. Stella a maintenant une bonne (noire) et les décors et costumes sont nettement plus 'riches' que ceux de la version muette qui font dans la sobriété. Evidemment, la garde-robe ridicule de Stella est conservée (et d'ailleurs pas mal copiée sur les costumes de 1925). Mais, on ressent un léger malaise en voyant Stanwyck attifée comme une poule. Un peu plus de sobriété aurait été de mise. Stanwyck paraît trop fine et intelligente pour s'habiller de la sorte alors que Bennett nous présentait une descente aux enfers tout à fait crédible, étant même poussée au suicide par haine de soi (une séquence non reprise dans le remake). Une des scènes principales est reprise à l'identique dans le film de Vidor : Stella va trouver la nouvelle femme de Stephen, Helen Morrison. Elle lui demande prendre sa fille avec elle et de lui permettre ainsi de rejoindre la bonne société.


Le final avec sa fenêtre illuminée montrant le mariage de Laurel avec un fils de bonne société a une tonalité différente dans les deux films. Stanwyck s'éloigne sous la pluie avec un sourire triomphant aux lèvres: si elle n'a pas réussi à monter dans la société, sa fille, elle, l'a fait. Chez King, il n'y a même pas cet optimisme. Stella s'éloigne et disparaît dans l'obscurité.


Pour conclure, ces deux productions reflètent leur époque. En 1925, le film comporte des extérieurs et une partie en studio alors qu'en 1937, tout le film est réalisé en studio. Le premier film est plus naturaliste et une oeuvre de cinéaste. Le second est une production de prestige -très policée- pour faire briller Stanwyck où Vidor n'intervient que fort peu en tant que réalisateur. Il serait bien que MGM nous offre un jour une édition double de ces deux films. On peut toujours rêver! mais en attendant, Stella Dallas (1925) est disponible en DVD-R chez Sunrise Silents.