Et paf !! Moi qui désespérais de trouver mon film du mois après quelques désillusions... OK, j'ai été au plus facile mais quel plaisir de remettre les yeux sur ce joyau dont les multiples visionnages n'altèrent pas un photogramme.
Parler de l'histoire ? A quoi bon ? Tout le monde ou presque la connaît. L'archétype du Film Noir avec un braquage et l'inévitable grain de sable dans la belle mécanique. A vrai dire, le sablier entier s'est versé dans les rouages. Dès le départ, une fatalité à la Chéri-Bibi semble déposée par de mauvaises fées. Ces mecs sont tous des losers dans leur domaine et puis d'ailleurs, peu importe qu'il y ait ou non braquage. C'est tout ce qui est autour qui intéresse Huston. Les hommes, les femmes et leurs motivations. Donc je ne parlerai que du casting.
Et là, faut avouer : quelle distribution d'anthologie !
Louis Calhern est tellement ce grand bourgeois distingué que son goût du luxe et des belles pouliches fait se mouiller dans de sales combines
*. Un avocat véreux ultra-chic passablement asséché par son 5 à 7 qui a justement la silhouette idéal d'un sablier, comme disent les Américains (
hourglass figure)...
Please do not move, honey, c'est une photo (pour ta) promo...
Sterling Hayden, un rugueux taillé dans la masse d'un chêne mais dont le visage de brute (son regard au pauvre témoin transi de trouille lors d'une séance d'identification !) a malgré tout conservé les traits du gamin du Kentucky qui rêve toujours du ranch familial.
Est-ce que c'est d'ma faute à moi si je suis né grand et fort ?...
Jean Hagen, adorable et désarmante Doll, petite chose éperdue d'amour pour son grand costaud mais à la fierté courageuse (bouleversante scène où elle s'en va après avoir dit à Hayden qu'elle a trouvé à crécher chez une copine et où elle se retourne soudain dans l'escalier, les yeux brillants, pensant qu'il va lui proposer de rester... alors qu'il se contente avec une maladresse d'ado mal dégrossi de lui demander sa nouvelle adresse, l'andouille).
Si je mets des faux-cils, c'est qu'il me rend marteau...
Sam Jaffe, inoubliable Doc avec son accent à couper au couteau, sa raideur germanique (il claque aristocratiquement des talons !), son sang-froid inébranlable et sa passion des très jeunes femmes. Plus d'une fois, il est à l'extrême limite d'en faire un personnage burlesque ce qui casserait toute l'ambiance et jamais ne la franchira (quand il parle des petites mexicaines, feuillette avec gourmandise un calendrier qui ne représente pas des toutous dans un panier, évoque le pays avec un taximan d'origine allemande et bien sûr dans SA grande scène avec la bobby soxer qui se trémousse pour lui
**). Quel talent ! Mais bon, on savait de quelle trempe il était dès ses débuts en monarque cinglé de
L'impératrice rouge puis après le Huston en savant à la Einstein du
Jour où la Terre s'arrêta et en loyal Simonides de
Ben-Hur.
L'étrange empathie qui se développe entre deux personnages aussi dissemblables que le Doc et Dix est une des grandes trouvailles du film. Ils partagent cependant la même faculté d'analyse froide et instinctive des situations et se méfient au premier coup d'oeil des maillons faibles du "
set up" (Cobby et Emmerich). L'un par réflexion calculatrice, l'autre par réflexe animal... dont le Doc (outre son fameux penchant) n'est également pas dépourvu puisque son séjour en cabane lui fait renifler un flic à distance.
Doc & Dix sont dans un sale bateau...
Ein Tofgei qui n'a bas infenté la poutre, ein Chauffeure bankal et ein Kerl gui ne tort pas la nuit, cheu sens keu le Diske va sauter...
Touyouno Mexikan Geurls ?
Marc Lawrence, un habitué des compositions de marlou à la petite semaine et d'abonné aux baffes en rafale (quelque chose comme le Daniel Cauchy du Noir), avec sa face d'ananas, ses faux-airs de Charlot et suintant par tous les pores dès qu'il palpe des billets.
Giffle animée avec marque déposée 
Les deux pires SOB du lot : Barry Kelley et son regard porcin de flic ripou et Brad Dexter, l'homme de main "intimidateur" de Calhern avec sa belle gueule aux inquiétants yeux trop clairs pour ne pas cacher une ordure.
Et of course Marilyn Monroe, que personnellement je n'ai jamais trouvée aussi mimi qu'ici, avec son corps sinon son coeur à son Tonton, ses petits "
Yawp !" de gamine, ses rêves d'essayage de maillots de bain sur fond de plage cubaine et le gringue pas possible qu'elle fait au flic dans l’entrebâillement d'une porte après l'avoir traité de "
big banana head" !
Come up and see me sometimes...
Résumée de la tête aux pieds par Calhern avec son "
Some sweet kid..." Un diminutif qui lui va comme une robe à fourreau : sa silhouette à damner cache dix ans d'âge mental quand après avoir craché le morceau qui accuse son protecteur, elle a encore la naïveté de lui demander si leur projet de vacances tient toujours ! Comment ne pas savourer la réponse de Calhern à cet instant : "
Don't worry, baby, you'll have plenty of trips..." C'est clair que plus d'un spectateur de l'époque du se faire la même réflexion : cette gisquette ira loin.
- Tu me pardonnes mais je suis invitée chez l'oncle Jo...
- Well done. I can see your career rising in the east like the sun...
Tout gentleman a bien droit à un dernier coup d'oeil avant le baisser de rideau...
- Ecoute ma cocotte, je t'assure que tu étais très bien
(Mhhh... si Huston la coupe au montage, je garderai bien quelques chutes comme celle-là)
Et peut-être mon personnage préféré : James Whitmore
***, épatant en barman bossu et boiteux, grand pote de Hayden et capable d'explosions de violence, surtout quand on moque son infirmité. Il y a du Cagney chez lui quand il vire manu militari de son estancot le mec qui vient de le traiter d'
Humpty-Dumpty ou encore à la fin, passant l'air de rien devant la cellule de Cobby la balance pour brutalement se retourner avec une vivacité de singe pour lui serrer le kiki à travers les barreaux !
Ma bosse, mon saigneur, n'est pas un porte-bonheur...
Dans deux secondes, le Cobby, j'l'emplâtre. J'lui mets la tête en bas, j'lui fais vomir ses friandises...
Anthony Caruso est le plus effacé du lot en as du perçage de coffiot doublé d'un jeune papa. Un truand qui n'aime pas les voyous ni la violence et se fait surtout du mouron pour la toux de son marmot. Il sera peut-être pour cela la première victime du jeu de quilles, mortellement blessé dans des circonstances un peu bêtes.
Quand on a charge de famille, difficile de percer dans le métier...
- Tu sais que tu risques des brulures d'estomac ?
- La ferme, Kentucky ! Passe-moi la "soupe" !
Un des plus grands films de Huston qui, à l'image de ses autres chefs-d'oeuvre, porte sa thématique de prédilection : les pauvres rêves bassement humains d'adultes restés de petits enfants bavant le nez collé à la devanture d'une confiserie et qui un temps vont se croire les Rois du monde avant d'immanquablement retomber de haut.
It's my golden retreat ! / It's coming home ! / It's troubles ! / Itse Moritos und Litteule Gueurlz !
Et que dire du thème musical de Miklós Rózsa et du somptueux noir et blanc aux cadrages grandioses d'Harold Rosson (cf l'ouverture avec Hayden errant dans un Los Angeles de fin du monde)...
Résultat des courses : toujours aussi parfait malgré plusieurs visions que je lui pardonne aussitôt ses rares points faibles comme l'exécution un peu trop facile du casse
**** (parce que ce n'est qu'un épiphénomène de l'histoire) ou l'inévitable petit couplet sur la grandeur du métier de flic que Burnett aurait préféré voir au début mais qu'Huston eu néanmoins l'élégance de ne pas placer à la toute fin - comme il est d'usage dans les films noirs de l'époque - mais juste avant celle-ci. Et comme il s'agit d'une des plus émouvantes fins du cinéma américain...
A horse, a horse, my kingdom for a horse...
Un dernier mot sur le DVD collector Warner Zone 2 : la copie est nickel-chrome (un petit bémol sur la piste audio qui aurait pu être un poil boostée).
Quant aux suppléments : c'est sympa d'avoir droit à une introduction d'époque par Huston himself mais ça reste court et anecdotique. Et pourquoi diable avoir superposé un doublage à la voix de sa fille Anjelica quand il suffisait de laisser la VO avec un sous-titrage ?!

En même temps, ce qu'elle raconte n'a rien de bouleversifiant.
Pas encore regardé le docu de 52', certainement plus intéressant.
(*) Son couple bancal avec une épouse perpétuellement alitée pour laquelle il n'éprouve plus depuis longtemps qu'une tendresse fatiguée a plus que certainement inspiré le très cinéphile Corneau pour son duo Périer-Signoret de Police Python 357, bien que dans ce dernier, l'épouse a une bien plus grande influence sur un mari dont elle n'ignore rien de la double-vie.
(**) Dans "Caractères : moindres lumières à Hollywood", Philippe Garnier nous en apprend un peu plus sur cette actrice, Helene Stanley, qui débuta dans des films musicaux pour ados, servira de "live model" pour les dessins animés Disney... et fera un mariage pour le moins sulfureux avec le gangster Johnny Stompanato (celui-là même qui se fera dessouder par la fille de Lana Turner).
Choliment animée, cette souris...
(***) Rien que pour lui, je suis très tenté de m'offrir aussi l'édition US du DVD car il participe aux commentaires.
(****) Anthony Caruso démonte le mur de briques comme si elles venaient d'être posées et le ciment encore humide / comment croire qu'un bijoutier détenant une telle fortune ait un système d'alarme aussi sommaire, même en 1950, avec juste un seul détecteur au bas de la salle des coffres / et le coup ahurissant de l'explosion du coffre qui comme par miracle fait rentrer les énormes gonds !!