Bandits de grands chemins (Black Bart, 1948) de George Sherman
UNIVERSAL
Avec Yvonne De Carlo, Dan Duryea, Jeffrey Lynn, Frank Lovejoy, John McIntire
Scénario : Luci Ward, Jack Natteford, William Bowers
Musique : Frank Skinner
Photographie : Irving Glassberg
Une production Leonard Goldstein pour Universal
Sortie USA : 03 mars 1948
A part avoir fait une apparition dans
Nevada de Joseph Kane en 1941, le pilleur de diligences Charles Earl Bolles (alias Black Bart) n’avait encore jamais eu les honneurs d’être mis en tête d’affiche d’un western contrairement à ses collègues les frères James, Younger ou autres Dalton. Ce qui fut fait grâce à George Sherman pour son premier western pour la compagnie Universal. Comme habituellement à Hollywood, il ne faut pas y chercher une quelconque vérité historique ou alors très lointaine. Charles Bolles était un hors-la-loi américain né en 1829. Connu pour avoir été le pillard de diligences le plus célèbre des États-Unis, il opéra entre 1875 et 1883, commettant ses forfaits surtout en Californie du Nord et en Oregon. Il était réputé pour son audace ainsi que pour son style sophistiqué qui faisait de lui un ‘gentleman cambrioleur’ d’une grande courtoisie et d’une politesse excessive envoyant du ‘s’il vous plait’ aux conducteurs de diligence qu’il attaquait. Se couvrant le corps de sacs de toiles de lin pour cacher ses vêtements et son aspect, il eut l’idée de se faire surnommer Black Bart, l’un des ‘héros’ de ses lectures de feuilletons, personnage habillé tout de noir qui volait les diligences de la Wells Fargo. Le véritable Black Bart signait ses forfaits en laissant des poèmes sur les lieux du ‘crime’ et arrivait à amasser des sommes considérables. Durant son dernier coup, il fut blessé par une balle et obligé de s’enfuir. Il passa quelques temps en prison, jura qu’il en avait fini avec le crime et disparut de la circulation en 1888 sans qu’on sache ce qu’il était devenu. Certainement plus connu en France pour son apparition dans l’album de Lucky Luke, ‘
La Diligence’, voyons maintenant ce qu’il en est de son histoire romancée, narrée par le film de George Sherman.

Les hors-la-loi Charles Bolles (Dan Duryea) et Lance Hardeen (Jeffrey Lynn) sont sur le point de se faire lyncher quand leur complice Jersey Brady (Percy Kilbride) les fait s’évader in extremis. Peu après, ils se séparent après avoir tenté de se doubler les uns les autres. Lance et Jersey partent ensemble tandis que Charles file vers la Californie. A Sacramento, il se fait embaucher par Clark (John McIntire), un juriste qui sous ses dehors respectable n’en est pas moins un escroc. Profitant de la ruée vers l’or et des remous qu’elle provoque, ils décident tous deux de faire couler la Wells Fargo pour pouvoir s’installer à sa place. Pour cela, Charles devra dérober tous les coffres de la société convoyés par diligence afin que les clients perdent confiance en leur banque et se rabattent sur une concurrente. Masqué et vêtu de noir, Charles se transforme en Black Bart pour commettre ses larcins. Un jour, il arrête une diligence dans laquelle se trouvent ses deux anciens complices ainsi que la célèbre danseuse Lola Montès (Yvonne de Carlo) dont il tombe amoureux. Grâce à l’argent amassé, Charles devient un rancher respecté. Ce dont il ne se doute pas c’est qu’un détective est sur le point de le faire tomber dans un piège et que ses deux ex-acolytes se sont fait recruter par la Wells Fargo. Ca chauffe pour le cavalier masqué d’autant plus que Lance et Jersey l’ont reconnu et qu’ils souhaitent bien le doubler à nouveau quitte à le dénoncer…

C’est la première fois que nous parlons d’un western de George Sherman et pourtant il en a réalisé auparavant pas moins de … 45 en seulement une dizaine d’années ! Des films de moins d’une heure pour la plupart, des westerns de série Z à priori puis quelques séries B pour la Columbia. En arrivant à la Universal, il signe ce
Black Bart pour le producteur Leonard Goldstein qui s’occupera de la plupart de ses films suivants pour le studio. C’est aussi la première collaboration du cinéaste avec la magnifique comédienne d’origine canadienne, Yvonne De Carlo, qui acquerra sous sa direction un joli potentiel d’actrice dramatique ; la ‘série’ qui en découlera s’avèrera bougrement réussie (
Sam Bass and Calamity Jane,
Tomahawk…) mais revenons en à celui qui ouvre le bal, ce
Bandits des grands chemins sorti aussi sous le titre
Derrière le masque, Black Bart étant un hors-la-loi vêtu à la manière de Zorro. C’est Dan Duryea qui se cache sous ce masque noir et ce sera l’une des rares fois où il sera en tête d’affiche, qui plus dans un rôle sympathique et attachant alors qu’il sera plus réputé par la suite pour ses personnages de salauds psychotiques. Sans faire d’étincelles particulières, il n’en est pas moins, à l’image du film en son ensemble, très plaisant tout comme ses partenaires, le méconnu Jeffrey Lynn, son faire-valoir humoristique Percy Kilbride (surtout connu du public américain pour avoir été à maintes reprises Pa Kettle dans la ‘série’ de films
Ma and Pa Kettle), le génial John McIntire et évidemment la très jolie Yvonne de Carlo endossant la défroque de Lola Montès sept ans avant Martine Carole.
Alors oui,
Black Bart n'est certes pas un sommet du genre mais quand on est passé par des dizaines de westerns Warner poussifs et superficiels, un petit western Universal de cette trempe est à chaque fois une bonne bouffée d'air frais. En tout cas, contrairement à Edwin L. Marin ou Ray Enright (pour ne citer que d’autres noms ayant ‘prolifiquement’ œuvré dans le genre) qui s'avèrent sur la durée de véritables tâcherons, je reviens sur ma trop grande sévérité à l’égard de George Sherman qui, malgré une filmographie en dents de scie, nous aura livré à partir de ce film un beau corpus westernien, tout du moins au sein du studio Universal. Pour son premier western en Technicolor pour le studio, il nous offre une plaisante réussite : beaux extérieurs, acteurs sympathiques, ton léger, dialogues pétillants, rythme alerte lors des séquences d’action pour au final 75 minutes bien agréables. Et puis si on se replace dans le contexte de l’époque, vous pensez que nous avions pu en voir beaucoup des westerns dont les personnages principaux sont des bandits et des courtisanes qui accomplissent leur travail sans aucun problème de conscience et même avec un plaisir certain ? Le joyeux (et gentil) amoralisme de ce
Black Bart est tout sauf désagréable. Alors c’est certain que ce ne sont pas des psychopathes ni des tueurs mais ils dévalisent allègrement, se font des coups fourrés et n’hésitent pas à aller se dénoncer. On a parfois du mal à distinguer le mensonge de la vérité, à savoir quand ils sont loyaux ou roublards (ce qui rend par la même occasion le scénario plutôt attrayant). Et pourtant, on continue à les trouver bien sympathiques d’autant qu’ils ont le sourire et la répartie faciles.
Jersey Brady :
“There ain't no permanence in this business. You just begin to like somebody and he turns up dead.”
Lance Hardeen :
“You can lose a lot of people you don't like that way, too”.
Rassurez-vous, il ne s’agit pourtant pas d’une comédie, l’émotion venant même parfois effleurer cette histoire plutôt bien menée même si assez convenue dans l’ensemble. En effet, la romance entre Dan Duryea et Yvonne de Carlo marche assez bien à tel point que, imaginant par avance un climax final à la
Bonnie and Clyde (qui se produit d’ailleurs allant à l’encontre de la réalité, le bandit n’étant pas du tout décédé à cette période et en tout cas moins tragiquement et ‘héroïquement’), on se prend à frissonner quand, après avoir promis à sa compagne le plus sincèrement du monde d’arrêter sa vie de hors-la-loi à la minute, son complice vient le chercher de force pour l'entrainer dans ce qu’on pressent être un tragique traquenard. On (enfin je) est sincèrement attristé pour le couple pour lequel on avait commencé à ressentir de l’empathie d’autant que ceux qui le forment sont loin d’être des garants d’une bonne moralité, ce qui nous les rend encore plus humains et attachants. En tout les cas, on les sent être épris l’un pour l’autre et le personnage de Lola Montès n’apparaît ainsi pas comme un faire-valoir romantique mais comme un personnage bien écrit et qui a tout à fait sa place au sein de cette histoire d'hommes. Une preuve de tout ceci (gentille immoralité, cinglantes réparties, romantisme sensible) par le dialogue (toujours très bon soit dit en passant) :
Alors que le bandit essaie de retenir Lola :
Charles E. Bolles :
“Lola, I've been working on something for two years. Something that will make me the biggest man in this part of the country. I'm within an inch of doing it now. You wouldn't want me to quit at this point.”
Lola Montez :
“The biggest man in the cemetery is still pretty small”.
Puis alors qu’il essaie de la convaincre de l’épouser :
Lola Montez :
“There's enough uncertainty about marriage without sitting home wondering what tree your husband is hanging from that night”.
George Sherman remplit son contrat sans génie mais avec maîtrise et efficacité : les scènes d’action sont bien menées, filmées sans trop de transparences, bien montées et bénéficient d’une partition assez échevelée (Miklos Rosza n’étant certainement pas étranger à ce fait ayant participé à la musique sans être crédité) ; Yvonne de Carlo nous octroie deux scènes de danses hispaniques très plaisantes (elle avait fait des progrès dans cette discipline depuis le culte mais médiocre
Salome, Where she Danced de Charles Lamont)… Pour le reste, rien de mémorable, peu de prouesses, quelques baisses de rythme mais le film aura eu le mérite de nous faire passer 80 petites minutes bien agréables en compagnie de personnages ne l’étant pas moins. La pirouette finale assez expéditive certainement pour nous dire que tout ceci n’était pas très sérieux, que ce n’était qu’un simple divertissement mais qui se révèle bien moins ennuyeux que certains westerns plus réputés déjà sortis. George Sherman marque là son premier point positif au sein de notre parcours (et avant d’avoir écrit ce texte en retard, il en avait déjà récolté trois sur trois films : un sans faute pour l’instant). Au fait, ne croyez pas que Lola Montez et Black Bart aient pu se rencontrer : quand ce dernier a commencé ses pillages, l’actrice-courtisane était déjà morte depuis 15 ans ! Seul la magie hollywoodienne a pu les réunir pour le plus grands bonheur des fans de série B !