Eric Rohmer (1920-2010)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Jordan White
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Re: Conte de printemps

Message par Jordan White »

homerwell a écrit :Dans le « Conte de printemps », il est important de citer les nombreux tableaux cinématographiques à base de fleurs qu'a réalisé Rohmer. C'est un ravissement pour les yeux que d'être surpris tout au long du film par les bouquets qui ornent les salons, les balcons et leurs pots fleuris, les arbres parés de couleurs.

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Je préfère d'ailleurs ces petits pots de fleurs, ces ornements discrets que les cadres de Mondrian (peintre que je n'affectionne pas), même si ça peut se fondre parfaitement dans un décor : on le remarque dans Les nuits de la pleine lune qui n'est cependant à mes yeux pas le plus beau loin s'en faut de ses films.
Concernant la scène entre Igor et Jeanne dans ce salon avec un feu de cheminée, Rohmer me semble au contraire supprimer toute sensualité lorsque il laisse ce plan de Igor qui rechargeant le feu en buchettes essaie de casser un bout de bois trop solide pour lui. Il est évident que ce détail n'était pas prévu au script mais le fait de l'utiliser quand même fait perdre pas mal de virilité au personnage masculin.
Le coup du morceau de bois qui ne se brise pas à l'impact sur le genou, c'est un petit raté de l'acteur qui le dépose ensuite machinalement sur le feu. On sent que l'acteur a raté son coup, ce qui peut arriver. C'est comme le regard d'Aurora Cornu face caméra alors qu'elle n'est pas supposée le faire dans Le Genou de Claire, l'impro de Marie Rivière à la tablée de déjeuner quand elle parle nourriture bio et fleurs dans Le Rayon Vert, qu'elle défend sa philosophie de vie. Ce sont ces petits moments de flottement, où l'on sent que les comédiens recherchent un peu leur texte ou qu'il leur arrive un truc non déterminé qui ajoute du piment aux films. Le personnage du père dans Conte de printemps étant ce qu'il est, à savoir un peu précieux, maladroit surtout, amoureux transi, esthète sans doute, je trouve que le piquant de la scène vient de la chute finale, du baiser quasi volé, du stratatègme pour s'approcher de Jeanne et de sa réponse en retour.
(Notez que dans toutes bibliothèques dignes de ce nom chez Rohmer, il y a une encyclopedie Universalis :D )
Il y a beaucoup de livres. On les retrouve dans la majorité des films. Des bibliothèques fournies avec éditions prestigieuses, de poche, des encyclopédies, des romans, et des ouvrages sur l'art (j'ai repéré un bouquin sur Picasso à Avignon dans Conte de Printemps avec la tranche verticale et un autre sur Cézanne qui se distingue facilement).

J'ai agi par logique, celle du nombre 3.
Jamais deux sans trois.
oui, c'est un jeu, mais il y a aussi toute cette tradition du nombre 3, le triangle, le syllogisme, la trinité, la triade hégélienne, enfin je ne sais pas, toutes ces choses qui définissent un monde clos, qui instaure le définitif et qui donne peut être la clef du mystère...


C'est ce qui arrivera à Gaspard, l'amoureux indécis qui ne se décidera pas entre Margot, Solène et Lena. L'amour restera pour lui un mystère !

Gaspard hésite, mais il choisit aussi sciemment la musique. Enfin à mon sens.
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Re: Conte de printemps

Message par homerwell »

Jordan White a écrit :
C'est ce qui arrivera à Gaspard, l'amoureux indécis qui ne se décidera pas entre Margot, Solène et Lena. L'amour restera pour lui un mystère !

Gaspard hésite, mais il choisit aussi sciemment la musique. Enfin à mon sens.
Oui, il aime la musique, il veut en jouer, il ne fait pas ce choix par dépit. Et puis c'est un domaine où il ne prend pas que des mauvaises décisions... comme avec les filles ! :wink:
Joe Wilson
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Re: Eric Rohmer

Message par Joe Wilson »

J'ai poursuivi ma découverte de Rohmer ces derniers jours, avec d'abord deux semi-déceptions : si Le genou de Claire dispose d'un superbe cadre (le lac d'Annecy, Rohmer faisant du paysage une figure du récit), et déroule son intrigue avec brio et conviction, je suis resté sur ma réserve...sans doute parce que je n'ai pas vraiment adhéré aux échanges du duo Jérôme/Aurora, qui introduisent l'ensemble des enjeux abordés.
On reste un peu trop vite dans le jeu et la manipulation...et j'accroche moins au style de Rohmer quand je me sens distant des personnages (c'est un peu la même chose pour Pauline à la plage). Entre la personnalité un peu caricaturale, trop souvent absente de Claire, et la répartie parfois agaçante de Laura, l'omniprésence et l'indécision de Jérôme ne me séduisent pas. Brialy est pourtant très juste, entre ambiguité et fébrilité, à un tournant décisif d'une vie. Mais ses hésitations m'ont semblé un peu vaines, malgré toute la précision et la finesse de l'écriture. Malgré tout, l'impression n'est pas franchement négative. Il reste un charme, une simplicité juvénile assez touchantes.

Sur La collectionneuse...si je ne vais pas aller aussi loin que Jordan dans la désillusion, j'ai été assez perplexe.
L'ouverture et le final sauvent le film à mon goût. De la description d'une solitude, d'une recherche de détachement, Rohmer construit un personnage agissant par orgueil et égoisme, dans une volonté d'abandon. La délicatesse paisible du décor renforce la contradiction d'une quête qui se révèle l'expression d'un combat, d'une révolte sourde et parfois incompréhensible. De ce jusqu-au-boutisme naît un climat de flottement assez riche, qui pouvait combler mes attentes.
Mais on sent assez vite que Rohmer va jouer contre ses personnages, les placer face à leurs paradoxes, à l'inconséquence de leurs comportements. Et dès que le film se concentre sur ce ménage à trois (Adrien, Daniel, Haydée...), j'ai l'impression que le film dérape, par un manque de consistance : Daniel devient vite insupportable et sa présence gratuite, purement mécanique (le financeur d'Adrien, Sam, reprendra le même type de rôle après son départ)...quant à Haydée, elle est toujours bien loin d'un statût d'icône...ne saisissant jamais l'attention, elle ne représente pas une opposition au mode de vie d'Adrien et Daniel. On ne va pas au-delà de la caricature de son rôle : une personnage insignifiant et vain.
Reste alors la sensation d'un marivaudage désagréable.

Par contre, j'ai énormément apprécié Triple agent. Le film n'est pas évident à appréhender...Rohmer se détourne volontairement de toute dramaturgie, le cadre de l'espionnage est à peine esquissé et derrière la trame historique se déroule une intrigue "de chambre" qui semble fuir tout coup d'éclat, toute accélération de rythme, toute légèreté de ton.
Triple agent ne vit que par ses dialogues, mais c'est précisément grâce à ces choix audacieux que le film se révèle être une réussite éclatante. Parce que l'on aperçoit rien d'autre que la vie quotidienne de ce couple d'exilés (Fiodor, ex-général russe de l'armée blanche et sa femme Arsinoé, d'origine grecque), Rohmer laisse toujours la place au mystère, à l'inconnu, au suggéré. Du contexte extrêmement riche (l'arrivée au pouvoir du Front Populaire, la guerre d'Espagne, le jeu dangereux des grandes puissances), il en retire une sensation de vertige et le débat politique, qu'il entre ou sorte d'une discussion, devient la projection d'un trouble (les échanges autour de la peinture sont particulièrement intenses...)
Comme pour Arsinoé, le personnage de Fiodor nous échappe. C'est parce qu'il arrive presque à convaincre d'une illusion, d'une incertitude, que la tension du final parvient à nous secouer.
Rohmer questionne le poids et le sens des mots, la vérité d'un langage et d'une attitude. Triple agent retient toujours l'attention grâce à la richesse de l'interprétation...dans leurs échanges, Fiodor et Arsinoé nous touchent immédiatement. L'émotion est subtile, parfois sourde, mais elle perce au détour de chaque conversation. Dans l'expression d'un accent, la mesure des silences, l'enjeu est brutalement compréhensible au-delà du poids des apparences.
Un film exigeant mais passionnant (et cela fait toujours plaisir de revoir Amanda Langlet... :oops: )

J'en profite pour replacer un top Rohmer :

1. Le rayon vert (le plus délicat derrière l'amertume...superbe éloge de la persévérance)
2. Ma nuit chez Maud
3. Conte d'été
4. Triple agent
5. Conte d'automne
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Jordan White
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Re: Eric Rohmer

Message par Jordan White »

Joe Wilson a écrit :
On reste un peu trop vite dans le jeu et la manipulation...et j'accroche moins au style de Rohmer quand je me sens distant des personnages (c'est un peu la même chose pour Pauline à la plage).
Je suis aussi moins touché quand un film présente des personnages trop distants, quand je sens un calcul, quand je vois que le scénario déroule une mécanique trop bien huilée, laissant peu de place à la spontaneité et même à quelques moments de flottement, par définition inattendus. J'aime voir des défauts, des approximations non coupées au montage, conservés tel quel. Et je dois dire que j'aime l'approximation d'Aurora au détour d'une ou de deux scènes, lorsqu'elle laisse subrepticement son regard tourné vers la caméra, détourne ensuite les yeux, en se rendant compte de sa petite bourde de placement. Si j'adore autant Le genou de Claire, c'est en raison de son sujet même, de ses dialogues, de cette affection qui naît entre Laura et Jérôme, personnages qui vivent des choses importantes à deux moments de leur vie qui pourraient les conduire à l'indécision, alors qu'ils veulent, enfin surtout lui, se rassurer sur leurs sentiments et leurs engagements amoureux. C'est plus profond pour Jérôme, et moins pregnant chez Laura qui n'est qu'une adolescente finalement, mais qui a aussi des réparties bien senties. C'est étonnant d'ailleurs que si peu de personnes (à lire les différents commentaires) accrochent à son jeu, alors que je la trouve si juste et parfois troublante. Certes je la trouve meilleure (alors qu'elle est plus jeune) dans Le genou de claire, mais sa scène de désillusion dans sa chambre, avec un homme trop âgé pour elle dans Le Beau mariage distille aussi son émotion très particulière, avec une amertume certaine.

Entre la personnalité un peu caricaturale, trop souvent absente de Claire
J'aime considérer ce personnage comme un songe éveillé, comme un rêve, comme une fascination. Jérôme parvient à ses fins, son obsession se conclut par un acte réalisé (le silence est époustouflant dans la séquence sous la pluie à l'abri des regards).

Sur La collectionneuse...si je ne vais pas aller aussi loin que Jordan dans la désillusion, j'ai été assez perplexe.
C'est à ce jour, le Rohmer le plus théorique, distant et difficile d'accès que j'ai pu voir. Rien ne m'a séduit, tout m'a agacé, prodigieusement, profondément. C'est un rejet total. Je ne sais pas, ce n'est pas un film pour moi.
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Re: Eric Rohmer

Message par NotBillyTheKid »

c'est tout le contraire pour moi ! Je l'ai adoré ! C'est le plus solaire, le plus facile, celui qui m'a le plus enthousiasmé... décidément... :|
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Re: Eric Rohmer

Message par Joe Wilson »

Jordan White a écrit : C'est étonnant d'ailleurs que si peu de personnes (à lire les différents commentaires) accrochent à son jeu, alors que je la trouve si juste et parfois troublante. Certes je la trouve meilleure (alors qu'elle est plus jeune) dans Le genou de claire, mais sa scène de désillusion dans sa chambre, avec un homme trop âgé pour elle dans Le Beau mariage distille aussi son émotion très particulière, avec une amertume certaine.
J'aime beaucoup la fraîcheur et la spontanéité de Béatrice Romand, même si son jeu et le timbre de sa voix peuvent paraître affectés ou surjoués.
Là, c'est plutôt le personnage qui m'a paru assez froid. Discours trop récité, un peu ampoulé. Je ne suis jamais vraiment touché par ses échanges avec Jérôme.

J'aime considérer ce personnage comme un songe éveillé, comme un rêve, comme une fascination. Jérôme parvient à ses fins, son obsession se conclut par un acte réalisé (le silence est époustouflant dans la séquence sous la pluie à l'abri des regards).
Ce personnage comme un songe, j'en conviens, l'idée était belle. Mais je trouve que, plus la fin du film approche, plus Claire prend une importance un peu factice, comme si Jérôme avait besoin de se prouver quelque chose. Si la séquence sous la pluie est une belle scène de cinéma, je ne suis pas convaincu par son dénouement lorsque Jérôme croit nécessaire de lui raconter les faits et gestes de son copain.
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Re: Eric Rohmer

Message par Jordan White »

Joe Wilson a écrit : Là, c'est plutôt le personnage qui m'a paru assez froid. Discours trop récité, un peu ampoulé. Je ne suis jamais vraiment touché par ses échanges avec Jérôme.
C'est une chipie. Mais une chipie qui recherche aussi un père de substitution. A cet égard, la scène durant laquelle, elle se blotit contre l'épaule de Jérôme en lui racontant ses (jeunes) mésaventures amoureuses (sans doute une esquisse d'amour d'ailleurs, un baiser, tout au plus, tel que l'on peut se l'imaginer) est pour moi l'une des plus fortes du film. Elle s'abandonne d'une certaine façon dans les bras de son confident, qui l'écoute avec l'affection d'un homme qui joue alors le rôle de son "père". J'aime la respiration de l'actrice, son articulation très appuyée que Rohmer évoque dans une de ses interviews en disant qu'elle a cette particularité de détacher chaque syllabe et c'est un jeu assez unique en soi, en tout cas dans sa filmographie. Ce qui t'apparaît ampoulé, récité est pour moi un morceau de poésie, un petit sommet de tendresse.


Ce personnage comme un songe, j'en conviens, l'idée était belle. Mais je trouve que, plus la fin du film approche, plus Claire prend une importance un peu factice, comme si Jérôme avait besoin de se prouver quelque chose. Si la séquence sous la pluie est une belle scène de cinéma, je ne suis pas convaincu par son dénouement lorsque Jérôme croit nécessaire de lui raconter les faits et gestes de son copain.
Il sait et ne désire qu'une chose au fond : se réaliser en amour avec Lucinde, sa future épouse, la femme de sa vie. C'est pour moi une façon de se dire que la beauté féminine, son charme, son mystère peuvent être vus d'une façon différente selon le regard porté, et que chaque homme aura une définition personnelle de ce qu'est le charme ainsi que le sentiment d'attirance ressenti pour une femme.
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Re: Eric Rohmer

Message par Jordan White »

L'arbre, le maire, la médiathèque
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Un film différent de ceux que j'avais pu voir jusqu'à présent du maître. On quitte cette fois Paris (magnifiquement filmé s'il en est par le cinéaste dans des films comme Les Rendez-vous de Paris ou l'Amour l'après-midi), pour aller sur les terres vendéennes, à la rencontre de personnages hauts en couleurs, en pleine période électorale. Le maire de l'histoire est joué par Pascal Greggory, un des acteurs fétiches du cinéaste, acteur qui se régale une fois de plus des dialogues ciselés concotés pour lui, en incarnant un maire désireux d'apporter culture et complexe favorisant son déploiement (la fameuse médiathèque), qui parle d'une voix forte mais sans pour autant parvenir à convaincre tout le monde, et certainement pas le directeur d'école de la petite municipalité. L'action se déroule à St Juire, sur des terres paysannes, où les vaches mangent encore de l'herbe et profitent du grand air, et où les habitants, villageois solidement ancrés dans la culture de l'amitié simple souhaitent davantage de rencontres, bals et fêtes populaires. Sans trouver que Rohmer réalise des films particulièrement parisiens (je les trouve même en général universels), il est étonnant de le voir briller avec toujours autant d'assurance dans une province qui nous est ici décrite comme accueillante, réservant des témoignages sur lesquels je reviendrai plus tard.

Je ne crois pas avoir vu Arielle Dombasle meilleure et plus classe d'une certaine façon qu'ici. Ses yeux bleus clairs sont amoureusement filmés, en tout cas on sent du respect de la part du metteur en scène. J'ai été sensible à sa petite fantaisie lors de l'entrevue avec l'architecte qui dessine le projet de Julien, durant laquelle elle improvise à moitié ses répliques, vantant les mérites des espaces verts et s'emportant contre la laideur supposée des parkings. Il faut la voir s'étendre en quelques diatribes contre les pollutions visuelles tout en gardant un charme irrésistible. Vraiment j'ai marché à fond ! Outre le sujet de l'industrialisation et de l'appauvrissement des richesses naturelles du sol, le film, en avance de quinze ans sur les questions d'écologie et de clivages politiques (droite/gauche), démontre un soin tout particulier dans les dialogues, faisant de certaines réparties des morceaux de comédie que l'on apprécie d'autant plus à leur juste valeur qu'elles sont parfois scandées avec vigueur. Et dans cet exercice de la rhétorique, Luchini, ici en directeur d'école irascible, irréductiblement attaché au paysage (la beauté est dans l'oeil de celui qui regarde pourrait-on paraphraser),à l'environnement, et s'adonnant à un échange délicieusement théâtral à la fois avec sa propre fille mais aussi avec la journaliste est jubilatoire. Rohmer filme en extérieurs naturels, et sa patte est là : soin apporté aux travellings lents, décors d'appartements et de bureaux sur lesquels s'affichent des oeuvres d'art, dont un tableau reproduit en photo de Balthus. Le goût certain est partout, du plus petit au plus grand dénominateur commun : la nature au sens de la campagne et de ses alentours. On y parle de retrouvailles, on échange sur le snobisme (sans que le film lui ne le soit), sur l'avenir des paysans, sur l'engagement politique, sur les petites affaires et les grandes magouilles. Avec un humour féroce, et aucune trace de cynisme satisfait. Ce sont les scènes parmi les plus jouissives de Luchini, face caméra, le verbe dansant, dialoguant avec sa fille, prodigieuse.

La dernière partie, les interviews de la journaliste s'approche du documentaire. Une voix, un enregistreur, des plans fixes. Le monde paysan décrit tel quel. Pas de maquillage, de raccords. Juste le montage. Dans cet exercice, Rohmer laisse s'exprimer des figurants non acteurs, simples, attachants, humains. C'est peut-être un des plus beaux parmi tous les portraits que le cinéaste ait jamais donné. Celui d'un monde fondé sur des valeurs, des principes qui s'effilochent. J'ai beaucoup aimé cette façon de raconter le quotidien. Un beau film, entraînant, sarcastique par moments (le monde politique égratigné avec brio), qui comme toujours chez Rohmer, laisse une libre place aux comédiens et à l'art de jouer à la fois ce qui leur ressemble et ce qui constitue leur contraire. Un film qui rappelle les films construits sur le principe du "Et si".
Dernière modification par Jordan White le 24 avr. 09, 13:30, modifié 2 fois.
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Re: Eric Rohmer

Message par Jeremy Fox »

Jordan White a écrit :L'arbre, le maire, la médiathèque
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Et dans cet exercice de la rhétorique, Luchini, ici en directeur d'école irascible, irréductiblement attaché au paysage (la beauté est dans l'oeil de celui qui regarde pourrait-on paraphraser), ) l'environnement, et s'adonnant à un échange délicieusement théâtral à la fois avec sa propre fille mais aussi avec la journaliste.".
Son coup de colère contre les 'prunus' est un des séquences les plus drôles que j'ai jamais vu. J'adore ce film que je place très haut dans sa filmographie.
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Re: Eric Rohmer

Message par Jordan White »

Conte d'Automne.
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Le film clôt le cycle des contes. Il y a moins d'inventivité ici. Moins de rires francs. Il reste bien des bribes de ce qui faisait la puissance des autres films du cycle, mais j'ai eu l'impression de voir une lecture un peu trop simple du sentiment amoureux. C'est l'automne et cela se ressent. Beaucoup moins porté sur la jeunesse (bien que le personnage d'Alexia puisse faire mentir ce commentaire), Conte d'Automne est en effet crépusculaire, moins enlevé. Deux quadras recherchent l'amour de leur vie, aidées l'une et l'autre par la faveur du hasard tout en devant faire avec les malentendus déclenchés par leurs proches, lesquels valent à mon sens d'interminables tirades et des champ/contre champ en pagailles. J'ai été peu touché par le film à vrai dire, alors que Conte de Printemps et surtout Conte d'été m'avaient semblé plus incisifs, plus légers. On peut cela dit être davantage préocuppés par le sort de deux personnages de cinéma voulant à nouveau refaire leur vie, que sur les pérégrinations amoureuses d'adolescentes dans la fleur de l'âge sur les bords de plage. Moins primesautier, moins aérien, Conte d'Automne a sa poésie à lui, adulte, mûre, mais du coup plus difficile d'accès. La photo est belle, les couleurs sont fauves. L'analogie avec Le Rayon Vert est une idée séduisante : on retrouve ici un rôle inversé, celui de Béatrice Romand qui reçoit le soutien de Marie Rivière. Béatrice mettait un coup de fouet et s'appliquait à rappeler à Marie que son personnage devait se bouger, que l'amour ne tomberait pas du ciel, que rien en somme n'était et ne pouvait être miraculeux. Cette fois-ci dans Conte d'Automne, c'est Marie Rivière qui lui rappelle qu'elle doit faire le premier pas après que la seconde ait rappelé qu'elle avait touché son point sensible.

Le vignoble est un décor de cinéma très cinégénique. Cependant je n'ai pas retrouvé avec un plaisir fou les deux actrices Béatrice Romand et Marie Rivière. Elles sont parmi les actrices fétiches du cinéaste, certes, mais on sent aussi un jeu moins libéré, une interprétation plus figée que lors des années 80 ou même 70. La page de Le Genou de Claire et du Beau mariage est refermée pour Béatrice Romand (peu convaincante ici pour moi) comme celle de Le Rayon Vert ou des Quatre aventures de Reinette et Mirabelle pour Marie Rivière, approximative, chancelante, pas attachante du tout je trouve. Problème : 90% des péripéties, marivaudages, rencontres et autres jeux du hasard et de l'amour les concernent, ce qui en fait naturellement les personnages centraux d'un film au goût cotonneux prononcé, lové dans une nostalgie de l'amour idéal qui n'a pas eu prise sur moi. Pire l'interprétation du fils de famille m'a parue catastrophique, récitée plutôt que jouée. Il reste bien Alexia, sa frimousse, ses longs cheveux bouclés (qui ressemblent à ceux de Béatrice Romand), mais je n'ai pas retrouvé le charme d'Amanda Langlet ou la beauté de Jessica Forde. Bref je suis déçu, et cet automne là me paraît un peu fade, trop de longueurs finissant par amoindrir son intérêt, de même que ses triangles amoureux trop classiques pour me surprendre. Même Conte de printemps qui n'a pas si glorieuse réputation m'a semblé supérieur, presque en tous points, au moins au niveau casting que je trouve plus rafraichaîssant. Un petit Rohmer. Tout petit.
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Re: Eric Rohmer

Message par Jeremy Fox »

Jordan White a écrit :Conte d'Automne.
. Un petit Rohmer. Tout petit.
Comme quoi ! Parmi mes préférés avec..... la collectionneuse :fiou: :wink:
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Re: Eric Rohmer

Message par homerwell »

Les avis sur les films de Rohmer sont toujours surprenants, pour ma part, "Conte d'Automne" est peut être celui que je préfère des 4 saisons. C'est le Rohmer qui a rallié le petit monde de mon entourage à la cause du cinéaste.
Les petites réminiscences avec "Le rayon Vert" que j'aime beaucoup, m'ont tout de suite mis dans le bain et par la suite, que ce soit les dialogues qui m'ont paru enlevés, les couleurs, une nouvelle fois un ravissement, la lumière d'automne qui est parfaitement retranscrite, ou l'interprétation de Béatrice Romand et de Marie Rivière, j'ai tout aimé ! J'ai regardé ce film en souriant benoîtement et en ne cessant de me demander où cette histoire allait m'emmener.
Et puis j'aime le vin, j'aime les libraires, j'aime cette région autour de Montélimard et les histoires de petites annonces, ça me fait rire... :D
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Re: Eric Rohmer

Message par Jeremy Fox »

homerwell a écrit :Les avis sur les films de Rohmer sont toujours surprenants, pour ma part, "Conte d'Automne" est peut être celui que je préfère des 4 saisons. C'est le Rohmer qui a rallié le petit monde de mon entourage à la cause du cinéaste.
Les petites réminiscences avec "Le rayon Vert" que j'aime beaucoup, m'ont tout de suite mis dans le bain et par la suite, que ce soit les dialogues qui m'ont paru enlevés, les couleurs, une nouvelle fois un ravissement, la lumière d'automne qui est parfaitement retranscrite, ou l'interprétation de Béatrice Romand et de Marie Rivière, j'ai tout aimé ! J'ai regardé ce film en souriant benoîtement et en ne cessant de me demander où cette histoire allait m'emmener.
Tout pareil jusqu'au ralliement de mon entourage très très proche puisque Mme Fox a enfin arrêté de dénigrer ironiquement le cinéaste qu'elle détestait jusque là après que je l'ai entrainé de force à la séance de ce film qu'elle a finalement beaucoup apprécié. Ceci dit, elle n'en a toujours pas rééssayé un autre depuis :twisted: :mrgreen:
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Re: Eric Rohmer

Message par Joe Wilson »

J'ai aussi été très sensible à une tendresse, une sérénité qui se dégagent de Conte d'automne. Les protagonistes, dans leur obstination, peuvent parfois exaspérer mais j'ai trouvé que Rohmer parvenait toujours à se placer au-delà d'enjeux un peu futiles. Il peint délicatement les frustrations et les hésitations naissantes, découlant du refus de choisir, de se laisser absorber par le mouvement d'une vie ...Béatrice Romand et Marie Rivière expriment une spontanéité radieuse et légère. Se greffant au récit, le cadre des vignobles ajoute un charme doux-amer qui semble subtilement lié à l'état d'esprit d'une saison. Le film trouve ainsi une belle cohérence.

Pour le contraste des avis, je ne suis pas vraiment surpris. Rohmer possède un ton, une musique qui lui est propre, mais ses films, dans leurs variations, jouent beaucoup sur l'interpellation du spectateur.
Il ne suffit pas de grand chose pour être captivé ou un peu distant.
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Triple Agent

Message par homerwell »

Triple Agent (2004)
Début du film, tout de suite après les actualités du jour, des images d'intérieurs défilent sous nos yeux, elles sont un véritable feu d'artifice. Couleurs – bouquets comme dans « Conte de printemps » ; les tableaux aussi sont des touches de couleurs sur les murs puis Rohmer leur donne un rôle plus important, il les cadre de plus près, on a le temps de les détailler. Il les fait défiler. Il y a souvent des tableaux ou des affiches de grands maîtres (Matisse, Mondrian) chez Rohmer, mais ici, il leur donne une dimension supplémentaire à la simple direction esthétique, ils renseignent sur leur propriétaire, opposent les couples politiquement ou les rapprochent grâce au cadeau du portrait de la petite fille.
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Lumière – elle me fait penser à « Conte d'automne », ton marron, jaune, un poil sépia, (je ne sais pas trop comment la qualifier, si un connaisseur prend la peine de me lire, qu'il n'hésite pas à m'aider), évoquant le passé et en même temps très intimiste dans l'appartement parisien (j'ai cru reconnaître un quartier de la porte d'Orléans) puis lumineuse, voir radieuse dans la grande demeure à Maisons-Laffite. Cela donne un charme suranné aux deux première parties du film qui tranche avec l'ambiance obtenue dans la chambre ou le couloir de l'hôtel. J'ai trouvé cette lumière particulièrement délicate pour mettre en valeur le teint de peau diaphane d'Arsinoé.
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Photographie – elle est partout, posée sur la vieille radio, accrochée au mur pèle mêle avec les tableaux. Celle du film joue avec les miroirs, la transparence des fenêtres, les reflets dans les vitres. Et elle est toujours soigneusement cadrée.

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Finalement, le retour régulier des images d'actualités d'époque, même si elles sont elles aussi intrinsèquement très belles et bien sur très intéressantes à voir, est bien pratique pour en sorte ré étalonner notre regard.
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Que ce film est beau formellement, c'est une évidence mais j'avais envie de le souligner !

Et c'est intéressant de le faire remarquer dans un film aussi écrit, aussi bavard.

Petit détail amusant que je sur-interprète peut être, Rohmer fait de Fiodor, un personnage qui tourne le dos aux miroirs. Le triple agent ne veut pas laisser trainer le reflet de son visage dans la glace. Est-ce la peur de se reconnaître lui même, veut-il rester transparent ?

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Dvd paru chez Blaq out.
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