La nuit, on était la nuit, et j’étais allongé.
Peut-être que je vais écrire un post, j’ai pensé.
Et c’est ce que j’ai fait.
Le Posteur, Murphy - Edition Les carnets bleus à spirale
Au programme ce soir : UN POISSON NOMME WANDA
Mes imputations étaient totalement sans fondement, ne constituaient pas une appréciation honnête et n'ont été dictées que par pure malice. Et je regrette profondément toute affliction que mes propos peuvent vous avoir causé à vous et à votre famille et je m'engage solennellement à ne pas répéter ces diffamations sous quelque forme que ce soit.
Archie, Un poisson nommé Wanda
Je n’avais pas fait le pont malgré le vendredi férié d’hier et je travaillais ce samedi. Je me portais même volontaire pour multiplier les heures supplémentaires. Le coffret encyclopédique du Film Noir Américain 1912-1960 chez l’éditeur Sydonis Calysta me faisait de l’œil mais non seulement, son prix exorbitant de presque 300 € me refroidissait, mais je ne voulais pas non plus me le faire livrer à domicile. Charles le Postier
(*1) était actuellement en procédure de licenciement mais je n’avais encore fait connaissance du nouveau facteur François. Et je me méfiais de mon voisin Claude Moine. Toutefois, Marc et Sophie m’avaient rassuré, je pouvais en toute quiétude me faire livrer ce somptueux coffret dans leur Tabac Relais Colis.
Nous n’avions jamais été si proche de Noël et si je voulais me l’offrir, je devais travailler plus pour gagner plus. Je rentrais donc tard ce samedi soir et mon frigo ne contenait plus que des yaourts périmés au citron au vert. J’avais envie d’un flan caramel. Le Prisunic était déjà fermé, aussi je décidais de m’arrêter diner à la brasserie « l’œil du chat ». Cette échoppe était tenue par trois jeunes sœurs méritantes Syllia, Tam, et Alexia. La vie n’avait pas été facile pour elles. Orphelines de père, leur mère semblait les avoir abandonnées.
Lorsque je poussais la porte, je constatais que le café n’était pas bien rempli. Le Covid, les confinements, la fermeture des NOZ avaient plongé la ville dans une sinistre morosité. Les gens ne sortaient plus, ils restaient chez eux scotchés à Netflix. Claude Moine était là. Toujours en chaussettes, accoudé au jukebox, il écoutait tout en sirotant une menthe à l’eau les chansons pop nipponne que crachouillaient les transistors fatigués. Je reconnus également Monsieur Brion malgré ses bandages qui recouvrait la moitié de son visage. Assis seul au fond de la salle, il tentait tant bien que mal de finir sa tarte aux myrtilles, son bras dans le plâtre l’empêchait de manier sa fourchette avec dextérité et ses dents manquantes de mâcher son dessert.
Syllia l’ainée et Alexia la cadette étaient en cuisine, Tam la benjamine au comptoir. Toutes les trois étaient fort jolies, mais Alexia était juste une adolescente et Syllia était trop cougar à mon goût. J’avais un gros crush pour Tam que je rejoins à son comptoir où je m’installais pour être au plus près d’elle.
- Bonsoir Monsieur Murphy ! Qu’est-ce que je vous sers ?
- Toujours pas de yaourt citron vert à la carte ? lançais-je hilare, détournant les yeux pour cacher mon trouble. Son décolleté plongeant me laissait rêveur et songeur.
En guise de réponse, Tam souffla fort et prit un air saoulé. J’avais faim et je commandais alors une omelette lardons pommes de terre version XXL, un flan caramel et une bouteille de San Pellegrino. « Les yeux du chat » proposait une cuisine certes simple mais peu onéreuse et surtout fait maison. Je raffolais des flans caramel d’Alexia, la pâtissière attitrée de la fratrie. Monsieur Brion, lui, préférait les tartes au myrtille. Il avait d’ailleurs terminé sa part. Tam lui apporta l’addition et il lui tendit un chèque en guise de règlement. Elle souffla fort et prit un air saoulé avant de repartir lui faire un café.
Lorsqu’elle me rejoignit au comptoir, elle remarqua que j’étais intrigué par un tableau accroché au mur. Ce tableau, je l’avais déjà vu ici mais un détail me fit tiquer.
- C’est un tableau de mon père. Le seul qui nous reste. C’était un artiste, me confia Tam.
- Il avait beaucoup de talents, dis je admiratif.
Le tableau était d’une laideur sans nom mais je n’osais pas insulter son père. Je voulais qu’elle m’aime, pas qu’elle me déteste.
- C’est bizarre, cette laid… cette signature, repris-je,
je l’ai déjà vu.
- Où ? ? ? me répondirent les trois sœurs en cœur. Syllia et Alexia étaient sorties instantanément de leur cuisine.
Alexia portait un tee-shirt One Piece et Syllia un col roulé malgré ce temps chaud et inhabituel pour la saison. Syllia avait voté quatre fois pour le Président Emmanuel Macron aux dernières élections. Militante de la première heure (elle avait pris sa carte dès la création du parti « En Marche », elle vouait pour l’homme d’Etat une véritable idolâtrie. Elle voyait en lui un grand féministe, un homme qui couche avec une femme de vingt ans de plus que lui ne pouvait en être autrement. «
Lorsque c’est l’inverse, la nana se fait traiter de pute ! » m’expliqua t’elle au lendemain du second tour.
- J'ai vu à peu près le même chez Monsieur Busnel. , répondis-je.
- Monsieur Busnel ? Le nouveau directeur du Prisunic ?
- Oui, lui-même. Il habite mon immeuble. Lors de son emménagement, je l’ai aidé à monter des cartons dans son loft. Y’en avait plein, c’était hyper lourd, que des bouquins, je me suis cassé le dos. Mais je pouvais pas refuser, il est tellement gentil cet homme.
- C’est vrai qu’il est charmant, dit Syllia.
Je l’ai croisé une fois au supermarché. Il est très prévenant. Il m’a demandé mon 06 pour m’envoyer des tickets de réduction.
- Claude Moine est son voisin de palier, précisai-je.
Les filles le convoquèrent immédiatement au comptoir. Il confirma mes propos :
- Oui effectivement, j’ai vu un tableau comme ça dans son salon un jour où j’ai sonné chez lui pour récupérer mon courrier. Charles le postier, il fait vraiment n’importe quoi.
Claude Moine regarda à nouveau le tableau.
- Jamais vu une croute aussi moche. Dieu que c’est laid.
Les trois sœurs, outrées, congédièrent Claude Moine illico-presto du restaurant à coup de cartes de menu et de prises de karaté.
- Et la prochaine fois, mettez des chaussures !
Elles étaient désormais toutes les trois quasi-collées à moi et semblaient très émues. Elles me posèrent plein de questions. Je sentais bien que je marquais des points grâce à ce tableau. J’étais désormais à leurs yeux un être à aimer et à chérir.
- Y’a un digicode dans cet immeuble ? Y’a une sortie de secours ? Le gardien fait des rondes la nuit ? Il habite à quel étage Monsieur Busnel ? Y’a un balcon ? Il met sa clé sous le tapis lorsqu’il part au travail le matin ? Y’a du monde chez lui la journée ? Il vit seul ?
- Jusqu’à présent, je n’ai jamais vu personne. Claude Moine s’est plaint au syndic que soi-disant, il aurait fait du bruit la nuit dernière. Les cloisons sont fines et il aurait entendu des rires féminins, des gémissements, puis ensuite de la vaisselle cassée, des pleurs et des cris, et même des appels à l’aide. Ça aurait tellement hurler qu’il aurait dû mettre des boules Quies pour dormir sereinement. Il est tellement sympathique Monsieur Brusnel, c’est quand même honteux de colporter de tels ragôts. Vous savez les filles, Claude Moine, il vole mes DVD. J’avais commandé sur Momox un coffret de la RKO et je l’ai jamais reç…
Je fus interrompu par l’arrivée de Quentin, un gendarme un peu benêt qui se trouvait également être le copain de Tam. Je me demandais bien ce qu’elle lui trouvait. Il avait fini sa garde et la rejoignait pour la nuit. Je cachais ma jalousie mais au fond de moi, j’avais très envie de pleurer. La conversation sur le tableau de Monsieur Busnel s’arrêta net à l’entrée de Quentin et Syllia et Alexia retournèrent en cuisine.
- Hey Tam ! Salut Tam ! J’ai loué le DVD d’« un poisson nommé Wanda » pour ce soir ! On va se marrer Tam !
Tam souffla fort et prit un air saoulé.
- On l’a vu cent fois ce film. T’as pas autre chose, sérieux ?
- Mais non Tam ! Allez Tam, on va se marrer !
Je trouvais que Tam exagérait un chouïa. « Un poisson nommé Wanda » était très drôle et Quentin, aussi imbécile soit-il, m’avait donné envie de revoir ce film. Mais aussi, pour l’enfoncer, je lui demandais :
- Ouais mais il a quand même dû faire autre chose ce réal ?
Les chansons pop nippones diffusées par le juke box s’arrêtèrent et une musique douce avec des violons se fit entendre. Monsieur Brion, qu’on avait oublié et qui finissait son café au fond de la salle, prit la parole d’une voix maniérée :
- Seul les films des années 50 de Charles Crichton ont été chroniqué sur DVD Classik, notamment l'émouvant « Hunted ». Ce remake rétroactif d’ « Un monde sans pitié » de Clint Eastwood est sortie en France sous le titre de « Rapt » en 1952. Avec au maquillage George Blackler, produit par les studios Independent Artisssss…
Tam, soufflant fort et l’air saoulé, venait, à l’aide de ses sœurs, de congédier illico-presto Monsieur Brion du restaurant à coup de cartes de menu et de prises de karaté.
- Et la prochaine fois, CARTE BLEU SEULEMENT !
Rentré chez moi, je commençais une partie de « mitraillette quizz » sur le forum de DVD Classik. J’étais très fort. J’avais déjà trouvé la première capture -un western-
(*2) quand je fus dérangé, au grand ouf de mes concurrents, par un SMS de Marc :
Si vous comandé le DVD d’ 1 poison nomé vanda sur amazon, vous pouvé le retiré dans mon tabac relé coli
Vous pouvé meme venir le cher’ché deux mains dix manches
lé jumeles seron à la maison, elles dorme.
PS : zavé pas vu Sophie
J’arive pas à la joindre
Demain, je regarde « Du rififi chez les hommes ». Un polar où trois gangsters préparent un braquage quasi-parfait d’une bijouterie en plein Paris.
- Faudra que tu me le prêtes celui-là, m’a demandé Tam. Il peut nous intéresser mes sœurs et moi.
(*1) voir épisode 4, saison 7
(*2) voir le préquel