Eric Rohmer (1920-2010)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

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Alligator
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Re: Eric Rohmer

Message par Alligator »

La Carrière de Suzanne (Eric Rohmer, 1963) :

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Je reconnais que le récit me parle particulièrement. On a du reste tous plus ou moins connu de ces histoires adolescentes dans lesquelles une jeune fille banale d'apparence et de personnalité se révèle dans sa trajectoire personnelle beaucoup plus mûre et sereine qu'on ne pouvait (par esprit étriqué et piètre analyse) le soupçonner.

C'est le cas de cette Suzanne qui embrasse une "carrière" a priori d'opprimée, tyrannisée ou jouet de Guillaume qui trouve là une vache à lait obéissante et prompte à remplir son porte-monnaie ou vider ses bourses le cas échéant, avec une sollicitude sans pareille, nouant une relation proche du masochisme (la fessée administrée n'est pas le seul indice pour une telle affirmation), quelque chose de malsain. La fadeur amorphe de la jeune Suzanne irrite Bertrand ami du couple pervers, jusqu'au spectateur qui se réfugie dans la réflexion pour tenter de comprendre son comportement.
La contradiction fondamentale que révèle la fin du film éclaire le narrateur et témoin Bertrand donnant à ce conte sa morale édifiante.

La mise en scène très descriptive avec ces plans de rues ou de places qui donnent une localisation réaliste et documentée au film perd de sa crudité avec le jeu englué et récitatif des comédiens. L'amateurisme est souligné par la post-synchronisation. Et je crains de n'avoir eu que trop de mal à dépasser cette inconvenance. Heureusement le propos étant plus considérable que la manière de le mettre en scène, le film garde de sa vitalité.
Nomorereasons
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Re: Eric Rohmer

Message par Nomorereasons »

Entièrement d'accord avec le commentaire du dessus. Sauf que moi je suis encore plus fan! Et je suis toujours saisi du parfum de vérité de ce film: Rohmer met en boîte une époque dont il a comme toujours merveilleusement capté l'esprit. C'est mon baromètre: si je veux savoir à quoi ressemblent les années 60 je regarde ce film; pour les années 80 ce sera Les Nuits de pleine lune, etc.







T'en as pas un peu marre de ma gueule dans ce topic, Alligator?
Strum
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Re: Eric Rohmer

Message par Strum »

Grâce vous soit rendue duettistes rohmeriens. :wink: C'est sur la foi de vos commentaires que j'ai découvert hier cette très agréable Carrière de Suzanne.

C'est l'histoire de deux grands médiocres, l'un séducteur sans scrupules qui assume son immoralisme (Guillaume), l'autre (Bertrand), son valet, d'une veulerie sans pareille, qui assiste en spectateur aux aventures de son "ami".

Nous voyons le récit au travers des yeux du fade Bertrand, qui vit dans l'ombre de Guillaume pour mieux mépriser les conquêtes de son maître. On a tous besoin de plus petit que soi pour se donner l'illusion que l'on vaut quelque chose. C'est ainsi que Bertrand se juge plus digne que les femmes dont Guillaume fait la conquête en série, sans voir qu'elles lui sont de loin supérieures par l'action et le jugement. Bertrand estime Suzanne "sans dignité" car elle ne sait pas résister à Guillaume. Mais c'est la parabole biblique de la paille et la poutre qui est ainsi illustrée : Bertrand est un lâche qui obéit à Guillaume comme s'il en était le chien. Son absence de dignité est telle qu'il préfère accuser Suzanne d'un vol qu'il ne veut pas attribuer à Guillaume (son véritable auteur pourtant), de peur de devoir le confronter.

La chute est heureuse et la morale du conte est sauve : Bertrand a comme il se doit tout raté (son année de fac, sa conquête de Sophie), tandis que la douce et aimable Suzanne se prélasse au soleil des attentions de son mari.
Dernière modification par Strum le 8 oct. 08, 16:29, modifié 1 fois.
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Boubakar
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Re: Eric Rohmer

Message par Boubakar »

La boulangère de monceau & La carrière de Suzanne (1962/63)

Autant j'avais eu du mal avec son dernier film (et ma première expérience Rohmerienne), j'ai assez assez bien apprécié ces tranches de vies adolescentes, plus basés comme une documentaire sur l'amour au début des années 60.
Si dans le premier conte, j'ai beaucoup aimé le jeu très naturel de Barbet Schroeder et Michele Girardon, dans la suite, j'ai trouvé ça d'une lenteur terrifiante (les actrices semblent lire un texte, c'est affreux à entendre :x ). Le principe de la voix-off ne me dérange pas par contre, bien que ça rappelle forcément ce que Godard avait fait auparavant.
Malgré ce bémol, j'ai quand même apprécié l'ambiance qui s'en dégage, comme une sorte de liberté qui se soufflait de ces courts-métrages...
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Commissaire Juve
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Re: Eric Rohmer

Message par Commissaire Juve »

Boubakar a écrit :... (les actrices semblent lire un texte, c'est affreux à entendre :x )...


Quel dommage ! :? ça aurait pu m'intéresser. Je passe donc mon tour.
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Boubakar
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Re: Eric Rohmer

Message par Boubakar »

Commissaire Juve a écrit :
Boubakar a écrit :... (les actrices semblent lire un texte, c'est affreux à entendre :x )...


Quel dommage ! :? ça aurait pu m'intéresser. Je passe donc mon tour.


Je l'avais pris peu cher sur Cdiscount à l'époque (80 centimes), au pire, tu peux le prendre pour compléter une commande :)
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Commissaire Juve
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Re: Eric Rohmer

Message par Commissaire Juve »

Nan, nan... "affreux", je vois très bien ce que ça peut donner. :lol:
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Re: Eric Rohmer

Message par NotBillyTheKid »

:?
La diction "nouvelle vague" est une diction décalée mais en rien mois fausse que la diction du cinéma "de tradition française". On s'y habitue assez vite. ça permet, une fois qu'on a accepté cet artifice, de se plonger dans Rohmer, Godard, Truffaut sans, à chaque fois, croire que les acteurs jouent mal ! (cela n'empêche pas certains de jouer mal, mais ça ne vient pas de la diction à la rohmer)
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Re: Eric Rohmer

Message par Commissaire Juve »

Ah non... autant je peux voir tous les Truffaut et la plupart des Godard (années 50 / 60), autant le "parler faux" des Rohmer me fait dresser les cheveux sur la tête.
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Re: Eric Rohmer

Message par NotBillyTheKid »

Commissaire Juve a écrit :Ah non... autant je peux voir tous les Truffaut et la plupart des Godard (années 50 / 60), autant le "parler faux" des Rohmer me fait dresser les cheveux sur la tête.
mais.. t'as pas de cheveux !
cf : Image
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Re: Eric Rohmer

Message par Commissaire Juve »

Mouhahaha ! :mrgreen:
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Re: Eric Rohmer

Message par bruce randylan »

Difficile de reprendre avec les problèmes capillaire du Commissaire, mais bon :mrgreen:

La boulangère de Monceau ( 1962 ) avec ses 22 minutes est plutôt réussi avec ce qui fait le charme des meilleur Rohmer à savoir une réelle finesse pleine d'ironie et de justesse dans l'écriture psychologique de son personnage principal et ses relations avec les femmes.
Après, la voix-off qui représente le gros des dialogues sonnent toujours aussi peu naturel mais passe finalement mieux que prévu d'autant qu'il est facile de se projeter dans la simplicité de l'histoire ( à peine entacher par un court épilogue raté )

Anti-thèse total avec la carrière de Suzanne ( 1963 ) qui se montre beaucoup plus gonflant dans ce style lourd et empesé qui caractérise les films les plus littéraire du cinéaste : ça sonne faux, les personnages sont anti-pathétiques au possible et leurs relations donnent vite envie de piquer du nez dans l'oreiller... Les 52 minutes sont looooonnguuuuuuuues mais loooooooooooooooooooonnguuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuues....

En bonus et sans rapport avec ses contes moraux, Charlotte et son Steak ( 1950 ) est curieux court où d'après ce que j'ai compris Rohmer a reçu un film de 12 minutes sans dialogue où joue Jean-Luc Godard.
Ca donne une sorte de comédie aux répliques un brin absurde et amusante même si ça demeure très très mou et que ça aurait pu ( du ? ) être plus surréaliste encore.

Par contre, Nadja à Paris, je préfère même pas en parler tant j'ai déjà perdu assez de temps avec cette brochure touristique... :evil:
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Re: Eric Rohmer

Message par NotBillyTheKid »

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Poursuite de ma découverte des 6 contes moraux.
épisode 4.

La collectionnneuse.
Radieux, tranquille et limpide. Un très très grand cru rohmérien. :D
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Re: Eric Rohmer (1920-)

Message par Alligator »

Moi aussi je continue de butiner.

La collectionneuse (Eric Rohmer, 1967) :

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_______________

Il y a quelque fois dans la vie des rencontres cinématographiques qui vous procurent un immense plaisir. Ces moments sont si rares qu'ils surprennent par leur intensité. C'est une découverte renouvellée.
Comme j'étais loin de voir venir un tel moment chez ce Rohmer! Surpris, je me suis pris à rire une fois ou deux, ivre de plaisir, ahuri que ce soit Rohmer qui en soit l'instigateur. J'appréciais déjà le travail du cinéaste, son alliance si naturelle de la réflexion et de l'écrit. Et plus encore, sa puissance d'évocation de l'indescriptible. Un porteur de voyage en quelque sorte. Quelque chose qui me dépasse. Ces fameux nains sur les épaules de géants.
Ma nuit chez Maud m'avait laissé une grosse impression, de celles qui flattent l'intellect surtout et peut-être un peu le petit bout de la libido (la Fabian) et par le trouble romantique qui suit derrière sagement.

Avec la collectionneuse, Rohmer ajoute à sa panoplie d'intellectuel/philosophe/moraliste celle de peintre-sculpteur.
Le criterion rend hommage au magnifique travail de Nestor Almendros sur une photographie à tomber par-terre. Si je m'attendais!
Travail sur le cadre, les couleurs, contemplatif, rêveur, rousseauiste, la picturalité des images associée aux éléments naturels embrassés assure au film une dimension physique, charnelle qu'il n'y avait que dans une moindre mesure dans les précédents Rohmer que j'avais vus (la boulangère, Suzanne et Maud). Ce film-là devient un objet, un corps qui se palpe, se caresse; il devient une expérience sensuelle.
Et ce, dès le prologue. Tout de suite le désir s'installe et vient gouverner plus ou moins secrètement les discours et les actes des protagonistes.
La présentation de Haydée, comme les séquences de bord de mer (notamment ces magnifiques plans de fonds marins, entre coraux, reflets et vaguelettes) placent d'entrée le spectateur sur le fauteuil de l'invitation. Invité à partager l'expérience physique des personnages. Plus encore qu'en témoin du spectacle, j'ai le sentiment que la mise en scène incite le spectateur à entreprendre le film, à l'investir, à s'immiscer (la vache! y a vraiment quelque chose d'érotique qui m'a chatouillé!)
A la fin du film, j'en suis sorti heureux, mais insatiable j'avais envie de le revoir. Ce qui ne m'a pas été possible. C'est un Rohmer que je vais voir et revoir. Un film caresse ne se refuse pas.

La caractéristique physique du film aiguille le regard du spectateur, le place d'emblée par la sensation vers des réflexions morales habituelles chez ce cinéaste du discours et de la pensée. Encore une fois il explore l'indicible, le met à nu, inspecte ses recoins en faisant s'affronter un trio de personnages complexes mais néanmoins caractéristiques. On retrouve d'ailleurs à peu près le même trio romantique que celui de La carrière de Suzanne, avec pratiquement les mêmes enjeux, le même jeu pervers du chat et la souris. Sauf qu'ici, les deux hommes sont chats et qu'une certaine connivence s'acharne par délectation sur une souris pas si innocente que ça (cela mériterait d'ailleurs de se pencher sur l'innocence de Suzanne, hum).

Un autre aspect du film ressemble décidément à son auteur, c'est l'usage de la voix-off. Plus encore qu'au noir auquel il semble s'identifier par moments (j'y ai songé un peu au début, le récit se présentant comme un souvenir du narrateur), le procédé est bien davantage le medium habile entre cinéma et littérature. On peut sans se tromper supposer (décréter même, allons-y) que Rohmer crée là un film-livre.
Bien souvent la présence continue d'une voix-off a de quoi irriter le spectateur, se contentant de raconter ce que l'on voit déjà à l'écran. Ici, c'est l'exact opposé : elle nous autorise à pénétrer les pensées enfouies du personnage principal et narrateur. Loin d'être envahissante, elle accompagne avec grâce le spectateur dans sa rêverie. Les mots dansent. Pourtant ils sont d'aspect rude, froid. Comme les personnages masculins, presque détachés, un brin cyniques. Faussement. C'est toute l'histoire du film, le jeu des sentiments, les postures romantiques, le désir, les cruels mensonges de la séduction et l'illusoire possession de l'autre, l'idéal attachement amoureux, la fragile connaissance de l'autre et de soi même alliée aux failles de la volonté et de la lacheté, bref, les mensonges de la vie que l'égo nous met dans les pieds. On pourrait pointer d'autres forces et faiblesses chez les personnages de Rohmer tant l'observation est fouillée, tant les portraits sont d'une densité magnifique, d'une profonde humanité en somme.

Pourtant on est bien dans un conte moral, avec ses accents, ses sommets, ses angles bien saillants qui servent au fond à construire une histoire peut-être édifiante, tout au moins invitant à la réflexion, ou mieux à l'introspection.

Le jeu des comédiens, d'un abord aussi rude et littéraire que la voix-off, se marie parfaitement à cette éloquence si particulière aux films de Rohmer, cette diction qui rappelle les récitations laborieuses de nos camarades d'école, vous savez... jadis.
Là encore, magie de monsieur Rohmer, ik parvient à créer une atmosphère qui lui est propre et qui rend tout cela cohérent, acceptable, même agréable. Les dialogues très littéraires (inventés en collaboration avec les comédiens) ne seraient que trop déplacés dans la bouche de personnages interprêtés de manière ultra-réaliste. Ici, cela coule de source. Je conçois cependantque d'autres soient rétifs à ce parti-pris, cette manière si peu commune d'associer l'image et le dire. Ce cinéma est tellement original que son accès me parait forcément limité par cette barrière. Mais encore une fois, il m'apparait impossible de faire autrement tant le résultat sonne à l'oreille si naturel, fluide, logique même, tout à la fois. Magique. C'est comme avec Mocky (dans des tonalités évidemment diamétralement éloignées), le style a priori rebutant à la longue devient ébouriffant de charmes et de saveurs particulières, une personnalité à nulle autre pareille, à la morale et l'affectivité enivrante même. Je veux dire par ce charabia que de l'anguleux ou du difforme peut naître une attirance et une beauté qui confinent ensuite à quelque chose qui ressemble à de l'amour. Oui, entre ici Eric Rohmer...
Abronsius
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Re: Eric Rohmer (1920-)

Message par Abronsius »

Bonne idée !! Je vous rejoins...

Le Signe du lion / 1962

Premier long métrage de Rohmer et premier coup de maître. Le film est inscrit dans une époque, celle de la Nouvelle Vague, on y voit Godard lors d'une fête arpenter le cadre, jouer avec le son, s'ennuyer un peu... Chabrol est à la production... Cela a été dit, la caméra devait se libérer, conquérir la rue et ce récit (proche du conte avec sa résolution heureuse) qui voit un jeune américain devenir clochard à cause de circonstances, permet justement de montrer ces rues de Paris. Mais le film est bien plus que cela.
Commençons par le tournage en extérieur qui est justifié par le credo des jeunes turcs de la Nouvelle Vague mais aussi rendu pleinement nécessaire par le sujet même. Les errances de Pierre, interprété avec grâce par Jess Hahn, permettent au spectateur de fréquenter avec assuiduité le quartier de Saint Germain, la banlieue avec Nanterre... Les séquences qui dévoilent les terrasses de café le soir avec leur agitation sont réussies comme celles qui nous les montrent à l'aube lorsque le garçon de café balaie le trottoir dans une ambiance un peu post-apocalyptique. Une phrase d'un personnage lors dune soirée : "Ainsi se terminent les soirées mémorables : de la vaisselle sale, du tabac refroidi." J'aime cette phrase lucide.
Ensuite cette errance n'est pas un prétexte scénaristique, Rohmer traite la clochardisation, la marginalisation avec une rigueur et une noirceur appuyée. Un portrait de Paris se peint mais le point de vue de celui qui a faim, qui est seul, désespéré rend le tableau amer et cruel. C'est l'été et ces amants au bord des quais, ces amies aux conversations légères et superficielles assises sur un banc, cette mère donnant le goûter à son enfant, tout écarte Pierre de ce groupe, tout lui indique par opposition le manque et l'exclusion. Peu à peu celle-ci diffuse la haine et la rancoeur pour aboutir à la résignation. Ce passage est assez long dans le film et s'oppose à l'insouciance de Pierre, épaulé par ces amis.
Enfin le dénouement : la mort du cousin qui permet à Pierre d'hériter après une fausse joie. Final de conte qu'aime Rohmer, placé sous le signe astrologique du titre et dernier plan sur ces étoiles bienveillantes qui rappelle les propos antérieurs de Pierre : "J'ai toujours cru plus à la chance qu'à mon talent. La paresse me réussit."
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