A serious man a écrit :Je ne pense pas que les deux films soient comparable. Naissance d'une Nation est caricatural et direct dans son racisme, et son apologie du Ku Klux Klan, Autant en Emporte le Vent est un film plus complexe (et bien meilleur a mon avis, sans remettre en question l'importance du film de Griffith dans l'histoire du cinéma), en tout cas sur ces questions. On accepte plus facilement une discussion sur le racisme, et les représentations racistes, a partir de Naissance d'une Nation parce que la question est évidente (et inévitable) alors que dans Autant en Emporte le Vent beaucoup de spectateur vont d’abord voir une romance ou une saga familiale reléguant l'histoire a l'arrière plan. Pourtant autant pour Margaret Mitchell que pour Selznick, je pense que la dimension historique était d'égale importance, mais ce n'est pas forcément ce que le spectateur retient du film ce qui compliquent toute discussion de sa dimension politique.
Ils se situent tous les deux dans la même mouvance et se rattachent au même sous-genre (le
plantation drama déjà mentionné), mais il y a vingt ans d'écart entre les deux, et ces deux décennies changent tout. Adapté d'un roman de Thomas Dixon Jr., qui était l'un des principaux apologistes de la cause perdue,
Naissance d'une nation est un pur produit des années 1910 : Dixon, qui avait collaboré au script du film, avait un message à faire passer, à savoir que la guerre civile était avant tout une guerre d'agression nordiste (pour reprendre la terminologie de l'époque) dont le sud était la victime, et surtout que tout est la faute des noirs. Le racisme hystérique du film et son apologie du Ku Klux Klan peuvent paraître caricaturaux aujourd'hui, mais ils sont parfaitement en phase avec l'esprit de l'époque, qui voit entre autre la popularisation des théories eugénistes aux Etats-Unis, la montée d'une pseudo-science obsédée par la hiérarchisation des races, et le développement d'une hostilité croissante envers tout ce qui n'est pas blanc, anglo-saxon et protestant, phénomène qui culminera dans les années 20 que les Américains surnomment souvent les
tribal twenties.
Quand Margaret Mitchell publie son bouquin en 1936, le
plantation drama est devenu un sous-genre littéraire très populaire (il ne faut pas oublier que c'est la littérature qui crée les
topoï dont nous parlons et que la quasi-totalité des films du genre sont des adaptations d'oeuvres littéraires), mais il a coulé de l'eau sous les ponts. Depuis le début des années 30, le discours qui sous-tend ce type de récit commence à être remis en question et critiqué, notamment par des romanciers sudistes comme William Faulkner qui rejettent les clichés inhérents au genre et donnent naissance à une nouvelle tradition, celle du
southern gothic, où le sud est dépouillé de son glamour et plutôt présenté comme un endroit sombre, voire cauchemardesque et hanté par les fantômes et les crimes de son passé. Et même si le grand public continue à plébisciter les
plantation dramas, certains éléments du discours originel de Dixon ne passent déjà plus : l'exaltation du Ku Kux Klan n'est notamment plus possible, on le voit avant même la sortie d'
Autant en emporte le vent avec des films anti-Klan comme
Legion of Terror de Charles Coleman en 1936 ou
La légion noire d'Archie Mayo en 1937.
Le roman de Mitchell prend partiellement en compte cette évolution, même s'il reste totalement enraciné dans une vision nostalgique et paternaliste du Sud d'avant la guerre civile : de ce point de vue, je ne suis pas tout à fait d'accord avec toi quand tu dis que le récit contient une critique implicite de l'esclavage et de la société sudiste, le roman reste quand même avant tout dans la fascination. Mais comme je le disais dans un précédent post et comme le rappelle Stromboli, Selznick était parfaitement conscient du côté problématique de certains aspects du livre, d'où sa volonté très bien documentée d'arrondir les angles et de lisser ce qui pourrait trop prêter à la controverse (controverse qui a quand même fini par avoir lieu, cf le lien donné par Stromboli). D'où un exercice d'équilibriste qui consiste à produire un
plantation drama bon teint (et qu'on le veuille ou non, il s'agit d'un genre littéraire et cinématographique dont l'ADN est fondamentalement nostalgique et conservateur) sans pour autant faire un film raciste et réactionnaire : c'est le côté centriste dont je parlais précédemment et qui donne au film une complexité et une subtilité que ne possède pas
Naissance d'une nation, même si la sensibilité des spectateurs de 2020 fait qu'ils verront surtout le côté nostalgique et conservateur de l'entreprise.
Parce qu'il est lui aussi le produit de son époque,
Autant en emporte le vent est un film rempli de paradoxes et de contradictions, mais loin d'être un défaut, je trouve que ces lignes de fracture internes sont plutôt une richesse et une qualité.