D'abord, merci à Major Tom pour avoir rendu hommage à l'un de mes réalisateurs favoris
La petite polémique en cours est amusante parce qu'elle est finalement le vrai sujet du film: la reconnaissance du talent de chacun.
yaplusdsaisons a écrit :Dabadie est aussi un gigantesque parolier, José Giovanni est aussi romancier et réalisateur, je n'ai jamais vu les trognes de Claude Néron ou de Paul Gegauff, quant à Anouilh et Achard ce sont d'abord des dramaturges, bref Federico est ceinture noire de mauvaise foi sur ce coup-là.
Ce n'est pas faux, mais Federico cherche surtout à défendre le scénariste tout en plombant quelques uns parmi les meilleurs de la profession, en leur reprochant de se mettre en avant, ce qui, au bout du compte, n'a rien à voir avec leur éventuel talent.
Pour moi, un gros défaut français, c'est d'avoir une fascination pour le talent, et si possible le génie, surtout littéraire, en oubliant que quel que soit le résultat final, il est toujours le fruit de 10% de talent et 90% de travail. On en arrive à mépriser des intervenants talentueux en mettant leur talent à la balance, en chipotant et en trouvant toujours mieux. Ou, pire encore, en leur reprochant leur comportement, ce qui n'a rien à voir avec leur travail.
A l'inverse, on considère Philippe de Broca comme un gentil réalisateur de films populaires, ayant eu quelques succès. Ce faisant, on passe à côté de l'originalité très particulière de son travail.
Oui, Broca n'était pas un génie, ni même un réalisateur majeur, il était d'ailleurs le premier à le dire. S'il était le premier à le dire, c'est parce qu'il était à la fois un homme modeste et un grand professionnel. Faisant du cinéma comme un écrivain, petit ou grand, chercherait à avoir des lecteurs, il mettait son âme et ses tripes dans tous ses films. Pour moi, Broca est un cas d'école très facile pour quiconque chercherait à répondre à la question "qu'est-ce qu'un auteur?". Ses films sont faciles, sa personnalité y est toujours présente et les thématiques sont aisées à saisir. Il n'est pas nécessaire d'étudier des années pour découvrir quels sont les thèmes chers à l'auteur, et que ces thèmes sont présents dans tous ses films.
Mais si ses films méritent encore d'être connus et étudiés, c'est parce que derrière la modestie, il y avait un grand professionnel. Certes un peu dilettante, ce qui participe d'ailleurs à la personnalité de son oeuvre, mais grand professionnel quand même. Avant de mettre en scène le résultat, le film, il faut déjà savoir mettre en scène le tournage d'un film. Broca n'a pas cessé dans toute sa carrière, de découvrir et de mettre en valeur des talents méconnus: scénaristes, musiciens, techniciens, acteurs. De découvrir et de mettre en valeur de nouvelles formes de films, de séquences, de gags, d'inventer des effets spéciaux, qui parce que le sujet ne l'intéressait pas sur le plan technique mais sur le plan de l'invention, paraissent pauvres à première vue, mais sont tout simplement novateurs dans leur forme.
Le résultat, c'est que cet artiste fonctionnait peut-être avec 98% de travail et 2% de génie. Il avait en plus le défaut de sa modestie, qui confine quelquefois à la dépression. Le résultat, c'est que celui qui est sans doute l'un des plus français de nos cinéastes, par ses thématiques et ses atmosphères, passe pour un gentil médiocre, alors qu'il n'a cessé de découvrir et d'innover. A son niveau, certes, mais ce n'est pas si courant. Broca, c'est un anti-Napoléon. Boulot discret et sans prétention mais constant. Innovations régulières en sachant d'abord bien s'entourer et en reconnaissant le talent de ses collaborateurs. Savoir mettre ses tripes sur la table et personnaliser un travail, sans pour autant se mettre en avant, phagocyter le boulot des autres et se prendre pour le centre du monde.
Et un tempérament d'artiste. Pas celui qui veut changer le monde, celui qui veut donner à un artisan boulanger le plaisir d'aller faire du bon pain et de rendre les clients heureux. Ou se l'imaginer, parce que souvent, le client gueule quand il n'est pas content et ne sait pas reconnaître la qualité. D'ou le côté un peu dépressif mais si attachant de son oeuvre: à la fois personnel et universel par la simplicité, la gentillesse, et surtout la connaissance de soi, de la médiocrité de nos quotidiens et de nos envies de porter des smokings blanc cassé, de séduire Jacqueline Bisset et de faire voler la tête des malfaisants.