7.
Édouard et Caroline de Jacques Becker (1950) :
Avec Daniel Gélin, Anne Vernon, Jacques François, Jean Galland, Betty Stockfeld, Jean Toulout, Jean Marsac... Scénario de Jacques Becker et Annette Wademant – Dialogues d'Annette Wademant – Musique de Jean-Jacques Grünenwald – Genre : comédie – Production française – Date de sortie : 06/04/1951
Édouard, pianiste de talent méconnu, et sa femme Caroline se préparent à se rendre à une soirée organisée dans le XVIème, chez l'oncle de Caroline, les Beauchamp, mais ils se disputent. Durant la soirée, Caroline arrive au bras d'Alain, son cousin, qui depuis longtemps essaye de la séduire, ce qui n'arrange rien...
Sous un aspect de légèreté, Jacques Becker traite d'un sujet qui sera de plus en plus exploité par le cinéma français des décennies suivantes : l'usure du couple, ses petites, puis grandes engueulades, ses moments où aucun des deux ne fait plus le premier pas de la réconciliation, le compromis devenant difficile, aggravant volontairement ou non la situation.
C'est donc une comédie sentimentale montrant un jeune couple idéal qui s'aime, mais plus grave qu'elle n'en a l'air.
Mais l'auteur va plus loin dans sa réflexion et mêle à son intrigue à première vue innocente un contexte social qui vient l'enrichir. Car il ne peut pas vraiment développer l'idée de la crise du couple autrement qu'au travers de la comédie. Il faut dire qu'à l'époque du tournage, le divorce n'est pas vraiment dans les mœurs. C'est une menace qu'on brandit comme dans le film, mais peu suivie de faits, car le mariage est encore une institution, sinon sacrée, du moins dans la norme. De plus une notion de honte colle toujours aux basques du divorce, dont les textes de loi appliqués remontaient alors à 1908 (il faudra attendre 1975 pour une réforme profonde et une démocratisation de l'acte).
L'aspect social se divise en deux parties : l'appartement du couple, puis celui de la soirée mondaine. Le début du film montre le cadre de vie d’Édouard et Caroline, avec un sens du détail du quotidien parfois cocasse (par exemple Daniel Gélin en slip kangourou, pas super glamour), un appartement exiguë de 2 pièces, avec un piano à queue, élément dimensionnant et donc identifiant le milieu social : encombrant une pièce, donc définissant un milieu modeste, au milieu d'un grand salon, presque accessoire, comme son pianiste, donc un milieu aisé. De plus, la vision de l'instrument définit celle des personnages. Passionnée et vivante chez Édouard, qui vit de son amour de la musique, presque méprisante (le piano est qualifié de laid) et loué pour une soirée chez Beauchamp, où l'on ne souhaite qu'entendre le résultat final (la musique) et ne rien voir de ce qui y conduit. Amour et quotidien chez les uns, plaisir éphémère et apparences chez les autres.
Comme dans
Le trou qu'il tournera 10 ans plus tard (et qui sera son dernier film), Becker ne filme pas l'extérieur. Si dans le premier cas, c'est pour souligner qu'il est inaccessible pour les candidats à l'évasion, dans le deuxième, c'est pour montrer deux mondes étriqués, l'un prisonnier de ses moyens économiques limités, l'autre, petit-bourgeois, refermé sur lui-même. Entre la tendresse évidente du début et la moquerie (gentille) du mini-concert, on sent aisément vers où le cœur de Becker penche.
Mais la décennie 1950, c'est l'insouciance des années qui suivent celles difficiles de la guerre et de l'immédiat après-guerre. Et Becker est dans le ton. S'il y a un semblant de critique sociale, celle-ci est sans méchanceté ni ironie. Tout comme les disputes du jeune couple, qui ne sont finalement pas si graves. D'ailleurs le conflit débute sur un prétexte vestimentaire assez futile, et il se poursuit sur un malentendu. Il n'y a donc pas vraiment d'amorce de drame.
Et s'il utilise ce même conflit pour égratigner une couche sociale aisée, l'auteur injecte suffisamment d'humanité dans son panier de crabes pour rendre ses personnages sympathiques, à l'image de ce mari américain cocu mais lucide, pas vraiment malheureux de cet état de fait, ou l'oncle, s'obstinant à prononcer le prénom de sa nièce à l'anglaise... Daniel Gélin et la pétillante Anne Vernon forment un couple attachant, dans un film au rythme rappelant les comédies américaines des années 1930/40 à la Leo McCarey ou Preston Sturges.
Bref, l'amour triomphe toujours ? La réponse est encore oui, provisoirement...
Étoiles : * * . Note : 13/20.
Autour du film :
1. Bien que jamais montrée, l'histoire se déroule dans la ville de Paris. Des 13 films longs-métrages qu'il réalisa, seuls 3 ne l'ont pas été dans la capitale. Pour les deux premiers, tournés pendant la guerre, c'était impossible du fait de l'occupation de Paris. Ainsi
Dernier atout se situe dans une ville imaginaire. Quant à
Goupil mains rouges, c'est une adaptation d'un livre sur les paysans du sud-ouest de la France. Le troisième est
Ali Baba et les 40 voleurs avec Fernandel, tourné au Maroc vu le sujet.
2. Anne Vernon n'est pas le nom qui revient le plus souvent lorsqu'on évoque les actrices françaises d'après guerre. De son vrai nom Edith Vignaud, elle est née le 9 janvier 1925 à Saint-Denis. Elle fait les Beaux-Arts d'où elle ressort diplômée, devient ensuite mannequin puis apprentie créatrice dans la publicité. Elle débute une carrière d'actrice, d'abord au théâtre en 1946, puis au cinéma en 1947 dans
Le mannequin assassiné de Pierre de Hérain. Elle tournera durant une vingtaine d'années jusqu'en 1968, puis abandonne le cinéma. Entre-temps, elle aura accumulé les rôles durant les années 1950 (25 films en 10 ans, la plupart oubliés il est vrai), dans
Édouard et Caroline et
Rue de l'estrapade (Jacques Becker),
Jeunes mariés (Gilles Grangier),
L'affaire des poisons (Henri Decoin),
Les suspects (Jean Dréville),
Le général de la Rovere (Roberto Rossellini). Les derniers années de sa carrière, on la croisera dans
Arsène Lupin contre Arsène Lupin (Édouard Molinaro),
Les parapluies de Cherbourg (Jacques Demy) et
Roger la Honte (Ricardo Freda). Depuis, elle se consacre à la peinture et a été régulièrement exposée. Elle fut aussi la première épouse de Robert Badinter, l'homme qui a guillotiné la peine de mort en France.
3.
Édouard et Caroline fut sélectionné pour le festival de Cannes de 1951 mais en revint bredouille. De même pour les BAFTA britanniques où le film était nommé au prix du meilleur film.
4. Le film connut un succès honorable, approchant les 1,6 millions de spectateurs. Modeste car si ce nombre d'entrées est aujourd'hui synonyme de réussite, à l'époque, les français se déplaçant en masse dans les salles, c'était un score dans la norme. Pour illustrer cela, il suffit de se pencher sur le box-office français de 1951, année de sortie d’
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