Franklin J. Schaffner (1920-1989)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Beule
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Re: Franklin J. Schaffner (1920-1989)

Message par Beule »

Profondo Rosso a écrit : 26 déc. 12, 03:27 Nicolas et Alexandra (1971)

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Evocation de la vie du tsar Nicholas et de sa femme Alexandra, avant que le drame de la Révolution russe ne sonne la fin de la famille royale.

Franklin J. Schaffner signe son film le plus ambitieux et plus grand échec avec ce Nicolas et Alexandra, vision grandiose des dernières heures de la dynastie Romanov et de la Révolution bolchévique qui transformera la Russie. Le rejet d'alors pour ces superproductions à grand spectacle (le malheureux David Lean subit alors un accueil glacial injuste pour le fabuleux La Fille de Ryan) et surtout la profonde noirceur de ce qui est le terrible récit d'une déchéance causera l'échec du film malgré ses 6 nominations (remportés pour les costumes et la direction artistique) à l'Oscar.

Le titre annonce la couleur. Bien que laissant apparaître en filigrane les grandes figures de la Révolution en marche (Lénine, Trotski, Staline), le récit se concentrera sur les destins individuels de Nicolas II (Michael Jayston) et Alexandra (Janet Suzman), la relation et les égarements du tsar et de la tsarine conduisant la Russie au chaos sur une dizaine d'années. Le film s'ouvre sur un évènement qui rendrait heureux n'importe quel couple, une naissance, celle d'Alexis un fils tant désiré. Cette naissance signe pourtant le début du déclin de la monarchie puisque la découverte de la maladie du nouveau-né (qui est hémophile) va phagocyter leurs décisions, les replier sur eux-même et ce qui serait chez un couple normal une préoccupation légitime pour son enfant va au contraire plonger le pays dans le chaos.

Schaffner choisit logiquement un casting prestigieux (Laurence Olivier, Jack Hawkins, Michael Redgrave) pour composer l'entourage du tsar dont la faiblesse de caractère et l'indécision sera renforcée par l'opposition à ses charismatiques interlocuteurs tandis que le souverain est interprété par l'inconnu Michael Jayston. Nicolas II est surtout un homme éperdument amoureux et entièrement soumis à l'influence de sa femme. Cette influence se fera tout au long du récit à mauvais escient et à contretemps. Le drame naît du fait que les intentions toujours bonne d'Alexandra poussent son époux dans la mauvaise direction avec des conséquences de plus en plus graves : qu'elle lui demande de se montrer plus ferme avec ses conseillers et il tiendra bon pour mener une guerre inutile contre le Japon pour la possession de la Corée, qu'elle le supplie à bout de ressources de faire appel au malfaisant Raspoutine (Tom Baxter) seul capable de soigner leur fils et ce dernier sèmera le chaos à la cour. Le montage use d'un décalage de plus en plus grand dans l'alternance entre la misère profonde du peuple et le luxe des palais puis des résidences secondaires dans lesquelles se réfugie le tsar toujours plus éloigné des réalités. Schaffner usera de motif plus subtils pour signifier ce détachement des puissants lors de la séquence triomphale où l'armée russe part en campagne au début de la Première Guerre Mondiale en figeant le visage de Nicolas II en noir et blanc, puis ceux des gouvernant allemand, français et anglais de la même façon tandis que leurs discours patriotiques sonnent étouffés. Vers la fin du film Lénine enfin parvenu au sommet (le film le montrant bien ronger son frein de longues années en exil à l'étranger) sera figé à l'image selon le même principe, plus significatif que tous les discours sur la violence à venir où le pouvoir a juste changé de main.

Michael Jayston délivre une interprétation étonnante de ce monarque innocent et coupable à la fois de son malheur. Soucieux de préserver la grandeur des Romanov, il refuse toute avancée démocratique mais s'avère incapable de se rapprocher de son peuple, brutalement ferme quand il doit faire preuve de clémence et indécis lorsqu'il faut imposer sa volonté. Submergé par l'héritage de ses ancêtres, le pouvoir est un fardeau dont il ne sait que faire. Là encore Schaffner parvient à traduire cela brillamment par la seule force de l'image à travers trois séquences récurrentes à la tonalité différentes. La première se situe en début de film et illustre l'arrivée triomphale du couple royal à sa demeure un lent travelling accompagne leur marche triomphale à travers le corridor menant à leurs appartement tandis que les cuivres de la garde tonnent avec fierté. Quelques instants plus tard en utilisant le même découpage et la même échelle de plan, ce protocole s'avère lourd et fastidieux quand les monarques doivent s'y soumettre jusqu'au bout alors qu'ils préfèreraient courir au chevet de leur fils malade. Enfin en conclusion Nicolas II déchu, le teint hagard et en passe d'être chassé effectuera cette même marche face à deux garde levant à peine les yeux sur lui avec à nouveau une mise en scène similaire qui enfonce cette fois le souverain dans le souvenir de sa gloire passée.

Il faut également signaler un incroyable Tom Baxter en Raspoutine dont l'interprétation outrancière aidée par les accents baroque de la mise en scène de Schaffner (et une photo volontairement terne de Freddie Young s'ornant alors d'une imagerie bariolées surnaturelle) notamment une mémorable scène d'assassinat digne de la légende entourant la fin du personnage. Comme un symbole, les moments les plus apaisés interviendront dans les derniers instants, lorsque tout est perdu et qu'il ne reste à la famille royale qu'à faire corps face à une fin inévitable. C'est le temps des derniers instants complices entre Nicolas et Alexandra toujours aussi épris, celui des regrets pour un jeune fils plus déterminé et imposant que son père et surtout celui d'une fin tragique que Schaffner amène avec émotion et fracas. Un film foisonnant et passionnant dont les trois heures filent à toute vitesse. 5/6
Grosse, très grosse désillusion.
La faute en incombe avant tout au script de James Goldman, que j'ai trouvé effroyable. Il n'est qu'accumulation périphérique de portraits historiques dessinés à gros trait (la palme de la convention à Lénine et Raspoutine), défendus comme ils le peuvent par autant d'acteurs chevronnés, mais qui jamais n'offre prise à une quelconque réflexion, au moindre point de vue un tant soit peu personnel sur l'agitation idéologique et sociétale qui va précipiter la chute des Romanov. C'est triste à dire, mais on est ici proche du name dropping aux fins de caution historique.
Sur ce canevas illustratif, Schaffner et son équipe font ce qu'ils peuvent. Et il faut avouer qu'ils le font même très bien. Ce film-fleuve a une allure folle, il n'a pas volé son Oscar pour la meilleure direction artistique. Il est traversé d'innombrables beautés picturales qui permettent aux 3 heures de projection de filer sans ennui. Mais sans passion aussi tant le propos est ici inconséquent.
Chapichapo
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Re: Franklin J. Schaffner (1920-1989)

Message par Chapichapo »

Injustement mésestimé, à regarder en parallèle avec "Raspoutine , l'agonie" de Elem Klimov.
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Jeremy Fox
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Re: Franklin J. Schaffner (1920-1989)

Message par Jeremy Fox »

Nicolas et Alexandra, le British de ce vendredi proposé par Justin.
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manuma
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Re: Franklin J. Schaffner (1920-1989)

Message par manuma »

WELCOME HOME (1989)

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Quatorzième et dernier long métrage de Franklin J. Schaffner (le cinéaste est décédé quelques semaines avant la sortie du film, qui lui est dédié). Le sujet n'est pas d'une folle originalité - un soldat porté disparu au Vietnam, déclaré mort, rentre au pays, 17 ans plus tard - et son traitement malheureusement des plus classiques, réduisant l'ensemble à un sage et superficiel mélodrame. Certes, rien de honteux dans l'ensemble - ça reste sobre et pas désagréable du tout à suivre - mais tout de même une sortie sans éclat pour Schaffner, notamment comparée à celles opérées par Martin Ritt (Stanley & Iris) et Robert Mulligan (The Man in the moon) à la même époque.
Thaddeus
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Re: Franklin J. Schaffner (1920-1989)

Message par Thaddeus »

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La planète des singes
Les outrages du temps n’ont pas de prise sur le volet inaugural d’une des sagas les plus fameuses de la science-fiction, parabole à vocation philosophique que tout singe cultivé se doit d’avoir vu. Fidèle à l’allégorie du roman originel, Schaffner opère une inversion de valeurs qui tourne à la confrontation de deux civilisations antagonistes, et creuse en fabuliste inspiré le conflit de la vérité scientifique et de l’obscurantisme religieux. Si le film s’inscrit dans une tradition hollywoodienne consistant à relayer la vigueur du récit par l’ingéniosité et l’impact visuel de l’image, sa réussite tient à la sagacité avec laquelle il articule les différents enjeux de la réflexion et tempère son contenu didactique jusqu’à une conclusion qui formalise prodigieusement son idée motrice : l’homme a forgé la destruction de sa propre liberté. 4/6

Patton
Devant un gigantesque drapeau américain, un général aux airs de Mussolini, casqué, botté, décoré, enrubanné, armé, galonné et cravaché expose avec autorité ses conceptions de l’armée, de la nation et de la morale. Prologue célèbre renseignant d’emblée sur l’audace de cette fresque passionnante qui épouse l’ambigüité de son sujet et où les poncifs hagiographiques sont retournés sous l’effet d’une pensée critique appliquée. Servie par un énorme George C. Scott, l’œuvre dresse le portrait d’un war-lover folamourien esthète et brutal, d’un individualiste aveuglé par l’idéologie, en porte-à-faux par rapport à la réalité de son temps, opposant à celle-ci le bloc inébranlable d’une conscience fissurée pour qui toute victoire ou tout échec ne peut que le confirmer dans la certitude de sa destinée exceptionnelle. 5/6

Papillon
Du récit (faussement ?) autobiographique d’Henri Charrière sur son expérience de l’enfer de Cayenne, le réalisateur tire une œuvre spectaculaire mais d’une rigoureuse âpreté, procédant d’un esprit qui tend à mettre en relief une signification primordiale. Le script est serré, tendu, sans digression ni prêche d’aucune sorte, et la mise en scène en respecte la lettre : sèche, précise, préservée de toute malhonnêteté, d’une brièveté incisive qui empêche le film d’être un récit réaliste ou une fiction romanesque, très synthétique au niveau de chaque séquence où priment la clarté, la justesse, la maîtrise des éléments répartis dans le plan. D’où la pérennité de cette belle histoire d’amitié, de cette aventure individuelle à portée générale qui magnifie la soif de liberté, la détermination et la volonté de résistance. 5/6


Mon top :

1. Patton (1970)
2. Papillon (1973)
3. La planète des singes (1968)

Rarement cité parmi les grands cinéastes américains d’une époque-charnière qui accoucha du Nouvel Hollywood, Schaffner fut pourtant un metteur en scène stimulant et inspiré, maître-artisan de réussites incontestables devenues rapidement des classiques à la fois culturels et populaires, et dont l’intelligence allégorique et la vigueur politique ne doivent rien à personne.
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Barry Egan
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Re: Franklin J. Schaffner (1920-1989)

Message par Barry Egan »

Patton

Deuxième fois, et le film bien que très réussi (je n'ai pas vu les quasiment 3 heures passer) ne m'a pas appris quoique ce soit. Tout est basé sur le personnage et au final, on ne sait rien du pourquoi de ses succès. On voit beaucoup l'homme, ses qualités, ses défauts, ses passions, son ascèse même, mais son "artisanat" n'est pas vraiment montré. Que les Américains aient eu besoin d'un fonceur pour contrer le blitzkrieg allemand, ça se conçoit, que la précocité de l'information soit déterminante, c'est une évidence, mais au-delà de ça, le film ne montre rien du talent stratégique qu'il faut pour gagner une guerre. Un excellent divertissement, spectaculaire, qui sait plonger dans l'âme d'un homme mais n'analyse pas du tout comment fonctionne sa cervelle...
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Alexandre Angel
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Re: Franklin J. Schaffner (1920-1989)

Message par Alexandre Angel »

Barry Egan a écrit : 22 déc. 24, 17:03 Patton

Deuxième fois, et le film bien que très réussi (je n'ai pas vu les quasiment 3 heures passer) ne m'a pas appris quoique ce soit. Tout est basé sur le personnage et au final, on ne sait rien du pourquoi de ses succès. On voit beaucoup l'homme, ses qualités, ses défauts, ses passions, son ascèse même, mais son "artisanat" n'est pas vraiment montré. Que les Américains aient eu besoin d'un fonceur pour contrer le blitzkrieg allemand, ça se conçoit, que la précocité de l'information soit déterminante, c'est une évidence, mais au-delà de ça, le film ne montre rien du talent stratégique qu'il faut pour gagner une guerre. Un excellent divertissement, spectaculaire, qui sait plonger dans l'âme d'un homme mais n'analyse pas du tout comment fonctionne sa cervelle...
Tu parles presque d'un autre film. Ici, c'est le portrait d'un "homme d'armes" tourné vers le passé qui mène une guerre avec ses idées archaïques au sein d'un conflit très moderne (la première guerre moderne de l'Histoire).
C'est plus opératique que technique, plus lyrique que tactique.

Bon, personnellement, j'aime assez bien ce film, mais je reste modéré dans mon engouement..
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
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Barry Egan
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Re: Franklin J. Schaffner (1920-1989)

Message par Barry Egan »

Alexandre Angel a écrit : 22 déc. 24, 17:21c'est le portrait d'un "homme d'armes" tourné vers le passé qui mène une guerre à l'ancienne au sein d'un conflit très moderne
Exactement, c'est ça ! Et je crois que c'est pour cette raison que le deuxième visionnage, plus de 10 ans après le premier, n'a pas été aussi passionnant. Le personnage est trop monolithique quelque part, ses contradictions trop simples. Et autour de lui, la galerie n'a pas vraiment de présence...
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