Le Mariage est pour Demain (Tennessee’s Partner - 1955) de Allan Dwan
RKO
Avec John Payne, Rhonda Fleming, Ronald Reagan, Coleen Gray, Anthony Caruso, Morris Ankrum, Leo Gordon
Scénario : D.D. Beauchamps, Milton Krims, C. Graham Baker & Teddi Sherman
Musique : Louis Forbes
Photographie : John Alton (Technicolor 2.00)
Un film produit par Benedict Bogeaus pour la Benedict Bogeaus Production
Sortie USA : 21 septembre 1955
Juste après que se soit bouclée la sublime collaboration westernienne entre Anthony Mann et James Stewart avec
L’Homme de la Plaine (The Man from Laramie), voici qu’à son tour prenait fin non pas le corpus de westerns d’Allan Dwan dans son intégralité (puisqu’il en réalisera encore un en 1957,
The Restless Breed) mais la très bonne série de westerns qu’il signa sous l’égide du producteur Benedict Bogeaus. Ce que le prolifique cinéaste avait jusqu’à présent réalisé dans le genre depuis le début des années 50 se sera révélé aussi discret que dispensateur de bonheur et de réjouissance. Aujourd’hui, tous ces films restent pour la plupart encore assez méconnus à l’exception de
Silver Lode ; probablement à cause de leur trop grand classicisme et à leur absence totale d'ironie qui ne cadre plus bien avec l'époque actuelle. Il y eut tout d’abord sa série RKO/Républic qui ne manquait pas de charmes avec les plaisants
La Belle du Montana (Belle Le grand),
Montana Belle et, pour point d’orgue, l’excellent
La Femme qui faillit être lynchée (Woman they almost Lynched) ; puis ce fut le début de sa collaboration avec le producteur sus-cité et le superbe et puissant
Quatre Etranges Cavaliers (Silver Lode) suivi par
Tornade (Passion), curieux mais pas totalement abouti, et enfin le séduisant et naïf
La Reine de la Prairie (Cattle Queen of Montana). Rien ne nous préparait cependant à ce qui allait être son chef-d’œuvre, ce doux et splendide
Tennessee’s Partner, d’autant plus qu’il faisait suite à deux films exotiques guère enthousiasmants :
Les Rubis du Prince Birman (Escape to Burma) et
La Perle du Pacifique (Pearl of the South Pacific). Un western unique dans son ton et d'autant plus précieux qu'il peut sembler anecdotique à la première vision tellement il se fait discret y compris dans sa mise en scène !

A l’époque de la ruée vers l’or dans une petite ville californienne, on fréquente assidument l’accueillant saloon tenu par la sculpturale ‘Duchesse’ (Rhonda Fleming), elle-même entourée d’une kyrielle d’autres belles jeunes filles à marier. La maîtresse de maison est amoureuse de l’élégant Tennessee (John Payne), un joueur professionnel cynique qui ne veut pour l’instant pas entendre parler de mariage. Arrive Cowpoke (Ronald Reagan), un honnête cow-boy de passage venu attendre sa promise, qui sauve la vie de Tennessee en abattant un tueur à gage payé par un joueur rival pour l’assassiner. Une belle amitié se noue entre les deux hommes. Tennessee, en apprenant l’identité de la fiancée de son nouvel ami, Goldie (Coleen Gray), une aventurière cupide de sa connaissance, se doutant qu’elle n’en veut en fait qu’à son argent, fait tout son possible pour la faire repartir. Goldie s'étant exécutée, grassement payée pour le faire, les habitants de la ville ne se gênent plus pour accueillir Cowpoke avec moqueries et sarcasme. Ce dernier, se sentant ridiculisé, frappe violemment Tennessee avant de comprendre qu’il n’a agi que dans son intérêt. Mais leur amitié ainsi renforcée va buter contre la folie furieuse des mineurs quand ils apprennent que l'un d'entre eux, le vieux Grubstake (Chubby Johnson), a trouvé un filon dont il ne tient pas à révéler l'emplacement ; les conséquences seront dramatiques…

Après deux incursions dans l'exostisme, avec
Tennessee’s Partner Allan Dwan fait son retour dans l’Ouest américain du 19ème siècle réalisant du même coup peut-être son plus beau film, en tout cas également le préféré du cinéaste, un western tendre et mélancolique, plus préoccupé de s’appesantir sur les personnages et les relations qu’ils entretiennent entre eux que par l’intrigue, même si cette dernière est loin d’être inintéressante. En tout cas, le scénario est remarquablement bien construit et mené de main de maître. Nous sommes à l’époque de la ruée vers l’or dans une petite ville californienne dans laquelle l’établissement le plus assidument fréquenté est l’accueillant ‘Marriage Market’ tenu par ‘The Duchess’ (Rhonda Fleming), une rousse sculpturale entourée d’une kyrielle d’autres belles jeunes filles à marier. La maîtresse de maison est amoureuse de l’élégant Tennessee (John Payne), un joueur professionnel cynique possédant une bien piètre opinion de l’âme humaine. The Duchess et Tennessee, partenaires en amour mais aussi professionnellement, puisque non seulement le charme des filles aide à remplir les caisses mais en plus les gains récoltés grâce aux cartes viennent s’y ajouter. Une telle manne financière vient à faire naître des jalousies et beaucoup de joueurs cherchent ainsi à provoquer l’inébranlable Tennessee, le traitant de tricheur pour pouvoir s’en débarrasser en état de ‘légitime défense’. Mais intelligemment, ce dernier ne préfère pas faire attention aux provocations, au grand dam de ses adversaires qui repartent bredouilles. Certains notables détestant le joueur tentent alors d’employer les grands moyens en embauchant des tueurs à gage. Pas de chance pour ces derniers ; justement le jour où Tennessee est sur le point d’être abattu par l’un d’entre eux, entre en jeu Cowpoke (Ronald Reagan), un cow-boy de passage qui lui sauve la vie en abattant le tueur. C’est le début d’une grande amitié entre deux hommes de caractères, de moralités et de tempéraments totalement différents.

Cowpoke est un homme foncièrement honnête, d’une naïveté confondante, ne disant jamais le moindre mal de quiconque et prêt à défendre le premier venu. Pour l’interpréter, nous trouvons un Ronald Reagan inattendu, certainement dans l’un des ses plus beaux rôles, celui d’un homme très attachant par sa candeur et sa gentillesse, un personnage qui tranche avec les héros habituels du western. Cowpoke est venu en ville attendre sa promise qui doit arriver par le River Boat. Tennessee, en apprenant l’identité de la fiancée de son nouvel ami, une aventurière cupide de sa connaissance (l'une de ses nombreuses anciennes amantes), se doutant qu’elle n’en veut en fait qu’à son argent (son prénom, Goldie, est loin d’être innocemment choisi), fait tout son possible pour la faire repartir. Il y réussit mais Cowpoke, se sentant ridiculisé, le maltraite violemment avant de se rendre compte que Tennessee n’a agit de la sorte que pour lui venir en aide. Le final sera tragique mais nous n’en dévoilerons pas ici la teneur ; il est là pour nous rappeler que, contrairement à ce que son titre français avait pu nous le faire croire, il ne s’agit pas d’un western humoristique même si le film possède beaucoup de caractéristiques de la comédie américaine au travers surtout de savoureux dialogues et de certaines situations. D'ailleurs le début du film aurait pu aussi nous induire en erreur : le générique se déroulait sur une chanson entraînante, la première séquence voyant Chubby Johnson tenter de faire se lever sa mule couchée au milieu de la rue se révélait cocasse tout comme la suivante montrant Rhonda Fleming donner des conseils de bienséance à ses filles (dont l’une d’elle, si vous faites très attention, n’est autre qu'Angie Dickinson), toutes légèrement vêtues de tenues affriolantes.

Ce qui a immédiatement plu au réalisateur à la lecture de l’histoire originale de Bret Harte (auteur dont il collectionnait les livres) étaient les relations entre les deux hommes et l’atmosphère de mélancolie qui s’en dégageait, le tout au milieu d’un tableau brossant les effets de la fièvre de l’or en Californie. Ayant collaboré pour la première fois de très près à l’écriture, avec les nombreux scénaristes qui ont participé à son élaboration, Dwan a remarquablement bien retranscrit ces éléments et l’on peut dire qu’il a réussi un western au ton unique, à la fois doux et grave, léger et tragique. C’est aussi à partir de ce film qu’on a pu admirer la perfection plastique du travail de John Alton et de Van Nest Polglase ; si leur travail était déjà superbe au travers de quelques séquences dans les films précédents, il est ici constamment splendide et il aboutira à une sorte de perfection esthétique dans le suivant,
Slightly Scarlet (Deux Rouquines dans la Bagarre). Le placement de bouquets de fleurs colorés au milieu des plans, l’harmonie des couleurs primaires et (ou) pastels dans les intérieurs, la profondeur des noirs, la douceur des travellings, la magnificence de la contre-plongée sur la table de jeu enfumé à côté de laquelle tranche la robe rose de Rhonda Fleming, la beauté des ombres et des clairs obscurs… tout cela donne une patine et une splendeur visuelle unique à cet intimiste
Tennessee’s Partner qui culmine, esthétiquement parlant, dans ce plan final de sépulture crépusculaire en haut d’une colline.
Attention cependant, cette beauté (toujours discrète) ne vient jamais perturber le spectateur qui continue à suivre l’intrigue et à s’attacher aux personnages avec la plus grande passion. Car outre Ronald Reagan (comédien pas si mauvais qu’on a voulu le faire croire), Rhonda Fleming et John Payne forment un duo absolument inoubliable. La rousse pulpeuse tient son rôle de femme de tête avec une belle détermination sans jamais pour autant nous la rendre froide ; son apparition de dos dans la baignoire est à l’origine de l'une des séquences les plus puissamment érotiques que l’on ait pu trouver dans un western de l’époque (si ce n’est celle équivalente avec Jeanne Crain dans la même situation dans
L’homme qui n’a pas d’Etoiles de King Vidor). Son partenaire est interprété par un John Payne au sommet de son talent. Après avoir été le sympathique héros d’innombrables comédies musicales de la Fox dans les années 40 aux côtés de Betty Grable ou d'Alice Faye, il entre ici dans la peau de Tennessee avec une classe, un flegme et une élégance que rehausse sa fine moustache. Tout en finesse, sans jamais en faire de trop (de l’underplaying avant l’heure) Payne nous donne une interprétation de tout premier ordre. Par un simple regard, sa prise de conscience finale qu’une réelle amitié pouvait bel et bien exister dans un monde qu’il jugeait trop sévèrement est tout simplement déchirante : "
Et dire que je ne connaissais même pas son nom !". Encore un comédien bien sous-estimée ! On peut regretter en revanche que les personnages secondaires soient un peu laissés de côté surtout quand ils sont interprétés par des habitués du genre comme Coleen Gray, Morris Ankrum, Leo Gordon ou Anthony Caruso. En voilà un western dont on aurait aimé que sa durée soit double afin de pallier à ces manques.
Tennessee’s Partner est un western d’une poignante simplicité (à l’exemple des patronymes des protagonistes, tous appelés par leurs surnoms), d’une formidable élégance dans sa mise en scène, d’une belle originalité dans la description des rapports entre les personnages ;
"une tragédie optimiste" comme l’a décrit Jacques Lourcelles. Peut-être aviez-vous découvert ce western à la télévision dans les années 70 puisqu’il a été diffusé sous le titre
Le Mariage est pour demain mais aussi sous celui du
Bagarreur du Tennessee, des titres qui n’entretiennent pas plus de rapport l’un que l’autre avec le film, et qui le font même passer pour ce qu’il n’est pas par leur total contresens. Laissons conclure Patrick Brion qui, dans son ouvrage sur le western, en écrivait une véritable déclaration d’amour : "
Dire que Tennessee’s Partner est le plus chatoyant et le plus séduisant des westerns hollywoodiens est une évidence. La beauté des couleurs de la photographie de John Alton, le soin apporté aux décors et aux costumes et la présence de la voluptueuse Rhonda Fleming, dont les épaules sont déjà un enchantement, suffisent à rendre le film incomparable…" Un Far West qui aura rarement été aussi séduisant !