Je rapatrie ici un certain nombre de critiques sur des sérials et films de Feuillade.
Parisette (1922, L. Feuillade) en 12 épisodes avec Sandra Milowanoff, Georges Biscot, René Clair et Fernand Hermann

(S. Milowanoff & R. Clair)
(Episodes 1 à 5)
Au Portugal, le vieux Marquis de Costabella (Bernard Derigal) est ruiné. Mais miraculeusement, il met la main sur une fortune en lingots d'or. Sa petite fille Manoëla (S. Milowanoff) le soupçonne de vol et de meurtre. Désespérée, elle part prendre le voile des carmélites. Elle meurt au couvent. Quelques années plus tard à Paris, Parisette (S. Milowanoff) une jeune danseuse du corps de ballet de l'Opéra de Paris ressemble comme deux gouttes d'eau à la défunte Manoëla. Elle vit avec son oncle Cogolin (G. Biscot) en ignorant les manigances de leurs voisins de palier qui dérobent son uniforme de receveur pour s'attaquer à une rentière de Neuilly...
En 1922, Feuillade a perdu certains de ses acteurs favoris comme Marcel Levesque (inoubliale Cocantin et Mazamette) et Musidora. Il délaisse sa veine criminelle commencé avec
Fantômas,
Les Vampires et
Judex pour le roman feuilleton dans le style des mélodrames populaires avec également des éléments criminels et comiques. On est proche de
Roger La Honte ou de
Sans Famille avec ses histoires de banquiers véreux, d'enfants illégitimes cachés et ses innocents accusés injustement. Feuillade a recruté en 1920 une jeune danseuse russe nommé Sandra Milowanoff. Elle est déjà apparu dans deux films de Feuillade et là elle joue un double rôle, la religieuse portugaise et la jeune danseuse parisienne. On peut admirer également son talent de danseuse quand elle interprète 'La Mort du Cygne' lors d'une soirée chez un banquier. Son visage triangulaire expressif en font la parfaite héroine de mélodrame, mais sans excès de sentimentalisme. Levesque est remplacé pour le rôle comique par Georges Biscot. Bien que n'étant pas aussi bon que son prédécesseur, il réussit néanmoins à égayer le film avec ses mimiques et ses faux-pas. Le début du film au Portugal offre une image avec des clairs obscurs qui renforce le mystère du Marquis de Costabella. Le film comporte quelques cascades dangereuses comme lorsqu'un malfrat escalade la façade d'un immeuble pour pénêtrer par la fenêtre. Le plan général ne laisse aucun doute sur le fait que la cascade a réellement été réalisée. Certes, le film a moins de mouvements et d'actions que les sérials précédents de Feuillade. Mais, les épisodes de 30-35 min sont bien remplis et tiennent en haleine. Il me reste encore 7 épisodes à voir. A très bientôt!

[Ce sérial est visible dans la salle des collections du Forum des Images]
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Parisette (1922, L. Feuillade) Episodes 6 à 12 (Fin)
Cogolin (G. Biscot) s'est réfugié à Nice pour échapper à la police qui le soupçonne du meutre de la rentière de Neuilly. Déguisé en clergyman, il fait de son mieux pour passer inaperçu. Parisette (S. Milowanoff) a retrouvé son grand-père en la personne du Marquis de Costabella (Bernard Derigal). Malade, elle part pour Nice avec lui. Leur ancien voisin, le père Lapusse se cache lui aussi à Nice...
Dans cette deuxième partie, l'action se passe entièrement dans le sud de la France (Nice, Beaulieu). Il faut dire que Gaumont a des studios sur place et peut également utiliser la villa de Léon Gaumont. L'action patine quelques peu dans certains épisodes. L'intrigue se recentre sur le comique Georges Biscot qui fait un numéro fort amusant déguisé en faux clergyman ou en vieille femme. Reste quelques séquences de meurtre qui montrent que Feuillade n'a perdu son talent dans ce domaine. Le père Lapusse est expédié dans un monde meilleur par Cogolin d'une manière inattendue. Il le jette par-dessus le parapet au bord d'une corniche qui surplombe la méditerrannée. Il tombe sur les rochers en contrebas. Et, il n'est en aucune façon inquiété pour ce meurtre!

Au contraire, il devient le héros du moment, salué par tous les corps constitués, pour avoir sauvegardé l'honneur d'un dame au mépris de sa propre sécurité. Les autres personnages restent relativement passifs durant ces épisodes. Parisette et son fiancé Jean (un tout jeune René Clair) n'ont pas grand'chose à faire. Pour conclure, il ne s'agit pas d'un Feuillade majeur. Il n'y a pas l'élan et le rythme de
Judex. Il y manque peut-être un peu d'atmosphère. Seul le premier épisode offrait du mystère et du clair-obscur. Quand il filme un pur mélo, Feuillade est moins à l'aise que dans l'intrigue criminelle. Néanmoins, ce sérial avec une bonne musique et une projection sur grand écran pourrait certainement gagner en ampleur.
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Barrabas (1920, L. Feuillade) en 12 épisodes avec Gaston Michel, Fernand Hermann, Edouard Mathé, Georges Biscot et Blanche Montel

(Gaston Michel tenant le révolver)
Jacques Rougier sort de prison. Il est immédiatement pris en charge par une organisation criminelle secrète 'Barrabas'. Alors qu'il tente de quitter cette vie de crime, il se retrouve inculpé de meurtre. Il est condamné à la guillotine bien qu'innocent. Il laisse un testament à son avocat Jacques Varèse (F. Hermann). Celui-ci va tenter de percer le secret de cette organisation dont le chef est le banquier Strélitz (G. Michel)...
Avec ce sérial en 12 épisodes, Feuillade poursuit sur la lancée de
Fantômas. Nous sommes à nouveau face à un grand maître du crime. Gaston Michel prête sa barbe blanche et sa haute stature à Strélitz, un monstre froid qui peut éliminer femme ou enfant d'un trait de crayon. Comme le dit l'une de ses victimes, Noëlle Maupré: "On peut ne pas croire en Dieu, mais quand on connait Strélitz, on est bien obligé de croire en Satan." Chacun des membres de l'organisation porte un tatouage au bras qui fait de lui un membre à vie de Barrabas. Face à cette organisation riche (elle possède hôtel et clinique) et tentaculaire, l'avocat Varèse (F. Hermann) et son ami le journaliste Raoul de Nérac (E. Mathé) vont devoir se battre. Ils peuvent compter sur le renfort de Laugier (Laurent Morlas), un garagiste ami de Nérac et du crémier Biscotin (G. Biscot). Mais, la lutte sera difficile ponctuée d'enlèvement, de chantage et de meurtre. La film contient quelques cascades spectaculaires comme celle dépeinte sur l'affiche ci-dessus où Laurent Morlas saute sur le toit d'un train en marche depuis un pont. Et Blanche Montel s'échappe d'un vieux manoir par les toits avant de traverser les fossés en marchant sur une planche étroite. Le film commence à Paris avant de se déplacer à Marseille et à Nice (où Gaumont possède des studios). Le film contient quelques vues aériennes spectaculaires de Nice où on peut admirer la jetée promenade maintenant disparue. Les héros se déplacent en train, en voiture, en avion biplan ou en hydravion. Les personnages restent des esquisses ; mais la narration est menée de main de maître.
Parisette, qui était un mélodrame, révélait les faiblesses des personnages. Feuillade est plus doué pour tisser une trame à suspense que pour la subtilité psychologique. Dans une histoire criminelle comme
Barrabas, les personnages sont suffisamment typés pour nous faire oublier qu'ils sont des stéréotypes. Et l'intrigue se déroule suffisamment rapidement pour qu'on soit pris par le récit. Gaston Michel, un vétéran du théâtre français, est parfait en maître du crime. Son allure suggère un banquier prospère et inoffensif. Il arrive facilement à tromper son monde. La copie numérisée du Forum des Images est superbe: entièrement teintée et bien contrastée. (Seuls quelques épisodes sont un peu trop sombres.) Un très bon Feuillade.
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Vendémiaire (1918, L. Feuillade) avec René Cresté, Edouard Mathé, Louis Lebas et Gaston Michel

Le Père Larcher (Gaston Michel) avec une de ses filles

Sarah 'la caraque' (Mary Harald)
Sur un bateau qui descend le Rhône, un réformé Pierre Bertin (René Cresté) rencontre Le père Larcher (G. Michel) et sa famille, des réfugiés du nord de la France qui fuient l'occupation allemande. Ils partent tous pour le bas Languedoc pour participer aux vendanges. Deux espions allemands (L. Lebas et M. Caméré) assassinent deux réfugiés belges en route pour la vendange et usurpent leurs identités...
Avec ce film, Feuillade fait oeuvre de propagande alors que la première guerre mondiale est proche de sa fin. Plutôt que de nous offrir une vision du champ de bataille, il nous montre la vie de ceux qui sont restés à l'arrière comme le fait d'ailleurs Abel Gance dans
J'accuse (1919). Mais, contrairement au film de Gance, Feuillade offre un film patriotique avec son lot de propagande anti-allemande. Un des deux espions allemands est d'ailleurs interprété par Louis Lebas qui se faisait une spécialité des personnages de criminels dans les films de Feuillade (
Les Vampires) et de Perret (
L'enfant de Paris). Les bases sont claires : il faut faire un dernier effort pour bouter l'ennemi hors de France en se serrant les coudes face à un envahisseur criminel et vicieux. Mais, le film n'est pas seulement une oeuvre de propagande datée, c'est une ode à la nature avec un souci de réalisme proche d'André Antoine. Le début du film se déroule sur une péniche sur le Rhône que nous descendons nonchalament comme les bateliers de
L'Hirondelle et la Mésange. Puis, nous suivons la vendange dans l'Hérault, la région natale de Feuillade. Une camaraderie s'installe entre les vendangeurs et le propriétaire du domaine, la Capitaine de Castelviel (E. Mathé) qui a perdu la vue dans les tranchées. On embauche même une gitane (ou 'caraque' dans la patois local) car son époux est mort au front. Les deux espions s'infiltrent dans le groupe et Wilfrid (Louis Lebas) va utiliser la suspicion envers la gitane pour lui faire porter le poids de son larcin (le vol de la paie des vendangeurs). Feuillade utilise là un symbolisme puissant en montrant que Wilfrid, sans scrupule ni morale, a utilisé les gaz de combats. Il le fait mourir après avoir inhalé les gaz toxiques produits par la fermentation du raisin. (Il est d'ailleurs frappant que dans
Les Vampires, tourné dans les premières années de la guerre, on observe également ce recours aux gaz toxiques pour endormir les participants d'une fête pour leur dérober argent et bijoux.) Pour contrebalancer ce personnage allemand (que les intertitres appellent 'boche' selon l'expression typique de l'époque), le complice Fritz, lui se contente de suivre et de se taire en se faisant passer pour muet. Il joue néanmoins au violon
Standchen (sérénade) de Franz Schubert lors d'une scène pastorale où les vendangeurs se reposent près d'une rivière en songeant au passé. Dans la deuxième partie du film, on s'intéresse à Louise (la fille aînée du père Larcher, un des vendangeurs) qui vit en zone occupée à Maubeuge, près la frontière Belge. Elle doit accueillir des soldats allemands qui sont cantonnés chez elle. Son mari qui s'est évadé, vient lui rendre visite secrètement. Quant elle accouche plus tard d'un enfant, tous les villageois la croient qu'elle a couché avec l'ennemi. Le film finalement touche à tous les aspects de la guerre: la population occupée, le sort des femmes, les blessés de guerre, et le désir ardent du retour à la paix . Le film se termine d'ailleurs sur une note optimiste où tous trinquent avec le vin nouveau qui annonce des lendemains meilleurs. Un Feuillade vraiment passionnant.
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Le Noël du Poilu (1916, Louis Feuillade)
Le caporal Renaud va encore une fois passer un Noël solitaire dans les tranchées. Sa femme et sa fille habitent dans le nord de la France en zone occupée. Mais la marraine de guerre de Renaud va organiser une rencontre avec sa famille...
Avec ce court-métrage d'environ 35 min, Feuillade réussit à évoquer l'atmosphère du pays en guerre d'une manière remarquable quand Henri Desfontaines ne faisait qu'un film scolaire et ennuyeux. Nous découvrons la vie de Mme Renaud et de sa fille et en une seule image tout est dit. La porte du fond s'ouvre révélant un groupe de soldats allemands cantonnés chez elle qui festoient. Avec une grande profondeur de champ, nous suivons le coucher de la petite fille avec en contrepoint les soldats tapageurs dans le fond de l'image. De même, la région est évoquée par la berceuse que Mme Renaud chante à sa fille: 'Le p'tit Quinquin'. Sur ce sujet très simple, Feuillade nous concocte une délicieuse tranche de vie avec les retrouvailles de la famille chez la marraine de guerre. Et le film se clôt sur la même berceuse du 'P'tit Quinquin'. Charmant.

ce film de Feuillade est un supplément sur le DVD du
Film du Poilu chroniqué plus haut.
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De G à D; Tih Minh (Mary Harald), J. d'Athys (René Cresté) et Sir F. Grey (Edouard Mathé) entourent la cuisinière Sidonie, une espionne.
Tih Minh (1918, L. Feuillade) en 12 épisodes avec René Cresté, Edouard Mathé, Mary Harald, Gaston Michel, Louis Lebas, George Biscot et Jane Rolette
L'explorateur Jacques d'Athys (R. Cresté) revient d'un voyage avec une jeune annamite, Tih Minh (M. Harald). Mais, à son arrivée sur la côte d'azur, il est épié par trois mystérieux criminels, Kistna (L. Lebas), Gilson (G. Michel) et Dolorès (G. Faraboni)...
Ce serial de Louis Feuillade a été tourné à la même époque que
Vendémiaire avec une distribution similaire. Les deux films reflètent leur époque en évoquant les espions allemands infiltrés sur le territoire français. Mais, à part cela, les deux films sont totalement différents.
Tih Minh est un suspense criminel dans la lignée de
Judex et des
Vampires où l'on retrouve un groupe de criminels aguerris qui utilisent tous les moyens pour arriver à leurs fins : séquestrations, enlèvements, empoisonnement, vol et meurtres. L'héroïne du film, Tih Minh, interprétée avec talent par l'anglaise Mary Harald, est une eurasienne qui a suivi Jacques d'Athys en Europe où elle devient la proie des criminels. Elle est enlevée par Kistna et sa bande qui lui font prendre une drogue violente. Elle perd la mémoire et la raison. Le début du film se situe à la Villa Circé qui porte bien son nom. Des femmes en chemise de nuit sont enfermées au sous-sol de la villa et semblent avoir subi le même traitement que Tih Minh. Pour lutter contre l'organisation criminelle, qui veut s'emparer d'un document codé que possède Jacques d'Athys, l'explorateur d'Athys (R. Cresté) et son ami le diplomate Sir Francis Grey (E. Mathé) reçoivent le renfort d'un médecin aliéniste. Nos héros n'utilisent même pas la police pour les aider dans leur lutte. Après tout, c'est la guerre et les citoyens doivent se débrouiller pour lutter contre les espions ennemis. Le film comprend de grands morceaux de bravoure (il faut saluer le courage des acteurs!) avec des escalades de façade et une descente vertigineuse en wagonnet pendu à un câble. Mais, ce qui retient l'attention, comme dans
Les Vampires, ce sont les éléments oniriques tels que cette vision des femmes demi-folles qui errent dans le jardin de la Villa Circé. L'héroïne vient des lointaines colonies d'Indochine et apporte une touche d'exotisme au milieu des aloès géants des villas majestueuses sur la côte d'azur. D'ailleurs, Feuillade utilise au mieux les décors naturels (près de Nice) comme il l'avait fait pour Paris dans
Fantômas. Les à-pic du bord de côte sont le prétexte à des glissades vertigineuses et les petites routes escarpées à des poursuites en automobiles. Comme toujours, Feuillade apporte une touche d'humour avec les domestiques, Placide (G. Biscot) et Rosette (J. Rolette) qui manient revolver et intelligence en aidant leurs patrons dans leur lutte. René Cresté, tout auréolé de son succès dans
Judex, apporte son charme et sa haute silhouette au personnage de d'Athys. Il mourra en 1922 à l'âge de 41 ans, déjà oublié par le public. Mais, les acteurs de Feuillade restent immortels : ils sont naturels, dépourvus de théâtralité et campent leurs personnages avec un engagement sans limite. Encore un merveilleux serial qui mériterait une édition en DVD.