Deux remarques.
Je prends en considération tous les films
sortis en France après le 1er janvier 2000. Pas la peine donc de me dire que
Révélations,
Princesse Mononoke,
Toy story 2 et
Man on the moon n'ont pas leur place ici : selon cette règle que je m'impose, si.
Et je ne fais pas figurer les films sortis en 2008, parce que j'attends de les voir mûrir. A priori,
No country for old men (surtout) et peut-être
There will be blood pourraient intégrer ce top 20.
1. MULHOLLAND DRIVE (David Lynch, 2001)
La mythologie hollywoodienne, entre rêve éthéré d'ingénue émerveillée et cauchemar d'amante délaissée, évoquée avec un lyrisme romantique digne de la légende d'
Orphée... Ou encore, LE mélodrame contemporain définitif, revu et corrigé à travers la caméra tactile et sensuelle de David Lynch, nourri d'une sentimentalité romanesque et glamour à pleurer... Ou encore, un démontage vertigineux de la fascination vitale et mortelle exercée par le cinéma sur les consciences... Ou encore, un conte bouleversant sur les différents temps de l'amour et l'étoffe de nos désirs, de nos ardeurs, de nos espoirs, de nos chagrins... Ou encore, une proposition miraculeuse de fusion entre classicisme et avant-garde, sidérante de beauté plastique et de poésie... Les notes hypnotiques d'Angelo, la présence fragile et envoûtante de deux anges sublimes tombés du ciel, les larmes des filles au Silencio qui deviennent les miennes, la plus belle déclaration d'amour jamais captée sur un écran (ce "
I'm in love with you" d'une enivrante suavité qui hante régulièrement mes nuits), le raccourci édenique à travers un sentier perdu sorti d'un conte de fées, le sourire ensoleillé de Betty qui répond à l'indicible détresse de Diane (mes amies, mes soeurs), et puis les visages des héroïnes flottant, bienheureuses, sur les lumières des rêves brisés. Âme marquée au fer rouge, je ne m'en remettrai jamais.
2. LE NOUVEAU MONDE (Terrence Malick, 2006)
Je n’osais en rêver, Terrence Malick l’a fait : retrouver, probablement, les cimes de sa
Ligne rouge, l‘un des plus beaux films que je connaisse. Les mots sont peu de choses face à la puissance, la beauté et la grâce de ce sublime opéra de l’intime, poème mystique et incantatoire conjuguant méditation, histoire d’amour et fresque historico-fantasmagorique, nouvelle œuvre totale où le souffle du vent répond au questionnement existentiel, où les expériences des personnages se gravent dans un cycle cosmique capté en un flux envoûtant qui enchante l’esprit autant qu’il serre le cœur. Qu’elle répète, curieuse et émerveillée, les mots de Smith ("Cheveux…", "Oreille…"), danse dans les hautes herbes ou croise en Angleterre le regard d’un Noir, déraciné comme elle, Q’orianka Kilcher y est la divine médiatrice de l’Univers et de la civilisation, l’héroïne superbe d’une initiation poignante et habitée. Entre une ouverture suffocante de lyrisme et une conclusion proprement extatique (les dernières minutes sont inscrites dans la postérité), Malick, qui devait s’appeler Dieu dans une autre vie, concentre toutes les forces du monde et de la vie en une bouleversante exaltation romantique, dont chaque image, chaque plan, chaque seconde tient du miracle.
3. GERRY (Gus Vant Sant, 2004)
L’horizon, le soleil, le désert, et deux potes perdus entre ces trois pôles, lignes de force d’une œuvre scotchante qui envoie aux orties absolument toutes les règles cinématographiques en vigueur. Si Gus Van Sant pousse l’expérience jusqu’à l’ascèse (ou plus exactement la pureté), c’est pour stimuler chez le spectateur les plus profondes des zones sensorielles et existentielles. Poème épique, solaire, à la fois terminal et inaugural, extrêmement physique et éminemment abstrait, qui invente toute une parabole sur la liberté ou, au contraire, la difficulté de sortir de la route, de gérer l’infini des possibles,
Gerry semble se dissoudre petit à petit, à l’instar de ses protagonistes, dans une minéralité qui renvoie à la menace terrible de la disparition et de la perdition – à moins qu’elle ne porte en germe la promesse d’une renaissance. L’hypnose qui résulte de cette élégie à l'amitié, se désagrégeant progressivement dans l’immensité d’un lieu mythique devenu espace mental, vaut tout l’or du monde.
4. PARLE AVEC ELLE (Pedro Almodovar, 2002)
Pedro Almodovar a atteint le sommet de son art avec ce magnifique labyrinthe des passions humaines, écheveau subtil qui entremêle quatre destinées et sublime le pouvoir de transmission, le don de soi, la puissance de l’amour fou avec une éloquence et une audace qui neutralisent toute ambiguïté morale. La démesure des sentiments s’y épanche dans une photographie charnelle, le mélo le plus pur s’y mêle à une douceur infinie : à des kilomètres de sa période movida, Almo porte ici le (grand) art de l’émotion à son zénith.
5. IN THE MOOD FOR LOVE (Wong Kar-wai, 2000)
Ruelles pluvieuses où se frôlent Maggie Cheung et Tony Leung, ralentis sensuels, leitmotiv ensorcelant : les images de l’avant-dernier film de Wong Kar-wai sont célèbres, elles sont l’expression ardente d’une langueur amoureuse que le cinéaste explore jusque dans ses variations infinitésimales et ses virtualités rêvées. Drame immémorial dont la splendeur esthétique et la virtuosité formelle renvoient aux tropismes déchirants des protagonistes, le filme culmine lors du secret final chuchoté dans les ruines du temple d’Angkor.
6. YI YI (Edward Yang, 2000)
Taipei, magnifiquement filmée, est au centre de cette harmonieuse et foisonnante chronique impressionniste, injustement méconnue aujourd’hui, avec laquelle Edward Yang, en un mouvement aussi ample que délicat, embrasse tous les âges, toutes les émotions, tous les doutes, peines et joies du grand cycle de la vie. Peu de films atteignent l’authenticité et l’émotion de cette quasi-cosmogonie, d’autant plus éblouissante qu’elle vibre, y compris dans ses moments les plus graves, de la plus infinie légèreté.
7. LE PIANISTE (Roman Polanski, 2002)
Exemple rare de la rencontre entre un cinéma universel, apportant sa pierre à l’indispensable devoir de mémoire, et les démons d’un artiste qui puise au plus profond de lui-même pour synthétiser toutes les obsessions qui l’habitent depuis ses débuts. Si Polanski souscrit à un classicisme rigoureux et pudique pour évoquer l’horreur de la Shoah, c’est pour mieux révéler les béances d’une angoisse métaphysique que la solitude et le dénuement de Spilzmann (extraordinaire Adrien Brody) expriment avec une poignante intensité.
8. REVELATIONS (Michael Mann, 2000)
Retour du grand cinéma d’investigation sous la houlette de Michael Mann. Résultat : une densité thématique et dramatique qui pourrait alimenter vingt films, l’ampleur d’une fresque exaltante, une réalisation atteignant des sommets d’élégance et de précision et une forme de lyrisme mélancolique dans les parcours de ses héros, sacrifiés par leur combat et leurs convictions morales. A la fin, lorsque la voix de Lisa Gerrard accompagne la victoire amère de Pacino et Crowe (prodigieux acteurs),
Révélations atteint une véritable grandeur. Le chef-d’œuvre du cinéaste.
9. ELEPHANT (Gus Van Sant, 2003)
Le massacre de Columbine à travers le regard d’un auteur qui interroge bien plus qu’il n’explique et qui fait de ses personnages, archanges d’une adolescence sublimée, les victimes d’un désastre abyssal. Rêverie d’abord éthérée puis glaçante, la Palme d’Or 2003 s’impose non seulement comme un manifeste esthétique, mais aussi comme l’expression radicale d’un cinéma qui refuse toute facilité moralisatrice.
10. LA GRAINE ET LE MULET (Abdellatif Kechiche, 2007)
L'esquive m'a laissé stupéfait par la spontanéité et la singularité de son auteur, ce troisième m'a laissé terrassé, absolument exsangue. Kechiche s'impose sans doute comme l'auteur français le plus important de notre époque avec Desplechin, l'héritier inespéré de tout un cinéma fiévreux de la France d'aujourd'hui, du portrait tumultueux des caractères et des relations humaines, appréhendé en longs blocs fiévreux où la vie s'engouffre de façon suffocante. Cette oeuvre laisse bouleversé, avec la certitude que les fantômes de Pialat et de Cassavetes ont trouvé réincarnation. L'incandescente Hafsia Herzi est un miracle.
11. LA CHAMBRE DU FILS (Nanni Moretti, 2001)
La fragile alchimie du film de Moretti tient à un équilibre délicat : il ne s’éloigne à aucun moment de l’analyse feutrée du travail de deuil (ce qui procède d’une démarche intellectuelle) tout en permettant une empathie totale pour le drame vécu par ses personnages. Superbe de pudeur, de tact et de justesse, fuyant le pathos mais restituant au plus près une affliction semblant insurmontable, ce film de peine et de souffrance s’achève pourtant sur une impression de nouveau départ, magnifique de sérénité.
12. 21 GRAMMES (Alejandro Gonzalez Iñarritu, 2004)
Amour, foi, culpabilité, vengeance, rédemption : le strict est chargé, mais le brio avec lequel Iñarritu évite les écueils du pensum philosophico-plombant est proportionnel à la puissance émotionnelle de son film. C’est main dans la main que l’on accompagne ces personnages aux destins fracassés, portés par trois comédiens au-delà d‘eux-mêmes, qui disent tout de la fragilité des existences. Bouleversant.
13. MILLION DOLLAR BABY (Clint Eastwood, 2005)
S’il devait un jour déboucher sur l’œuvre ultime, le classicisme du cinéma américain, dans ce qu’il a de plus noble et de plus puissant, pourrait donner cette œuvre souveraine : autant que le film définitif sur la filiation et la transmission, un mélo d’une douleur infinie qui stigmatise les revers des rêves accomplis et les insoutenables blessures des êtres. Hilary Swank, Clint Eastwood et Morgan Freeman sont grandioses.
14. PRINCESSE MONONOKE (Hayao Miyazaki, 2000)
Démons et merveilles d’un folklore nippon millénaire, bruit et fureur des fresques à la Kurosawa, préoccupations écologiques, philosophiques, initiatiques d’un auteur au sommet de son génie. Miyazaki offre ici la quintessence de son univers, une œuvre-somme qui émerveille par la splendeur de son graphisme, la densité de ses pistes de réflexion, le souffle de sa mise en scène. Un monument.
15. SYNDROMES AND A CENTURY (Apichatpong Weerasethakul, 2007)
La confirmation, si besoin était, de l'importance cruciale du cinéaste thailandais dans le paysage mondial. Ce quatrième film du délicat Joe est une rêverie sensuelle, éthérée, tour à tour sereine et inquiétante, remettant à nouveau en question les enjeux du récit, de l'espace et du temps cinématographiques. Baignades sensorielles baignées de lumière, beuverie burlesque dans les sous-sol d'un hôpital d'hier ou de demain, terreur pure s'évaporant du trou béant d'un conduit d'aération qui ressemble à la Mort : ce cinéma est décidément unique.
16. MYSTIC RIVER (Clint Eastwood, 2003)
Ou l’histoire de l’Amérique enchâssée dans les destins de trois personnages complexes, figures de proue d’une tragédie déguisée en thriller noir comme la nuit. Admirable variation sur la culpabilité, la violence, les racines du mal, peinture sociale qui retrouve les plus grands classiques du genre, le film d’Eastwood est de ceux dont la maîtrise absolue et la puissance dramatique imposent le respect.
17. TOY STORY 2 (John Lasseter, 2000)
Les magiciens de Pixar au sommet de leur art, ou la concrétisation d’un cinéma de divertissement à son apogée, étourdissant d’intelligence et de virtuosité. Personnages fabuleux, clins d’œil en guirlande, rythme époustouflant, réflexions cruciales toujours empruntes de légèreté aérienne, mariage miraculeux d’humour, de tendresse, d’émotion : une heure et demie de jubilation pure, dont on ressort dans un état proche de l‘euphorie. A voir et à revoir.
18. SIGNES (M. Night Shyamalan, 2002)
Shyamalan est un conteur tellement fortiche qu’il se permet de raconter une invasion E.T. en restant confiné dans une ferme de Pennsylvanie. Avec ses images de velours, sa technique impériale et sa sensibilité à nulle autre pareille, le magicien nous livre un très grand film sur la foi, le doute, la destinée, l’importance du choix, au carrefour du suspense hitchcockien et de la réflexion métaphysique.
19. MAN ON THE MOON (Milos Forman, 2000)
Andy Kaufman était-il fou, génial, incompris, stupide, inconscient, visionnaire, régressif ? Milos Forman illustre le mystère, avec l’appui d’un Jim Carrey phénoménal. Stupéfiante mise en abyme des vertiges de la représentation, du faux-semblant et de la manipulation, ce film, à des kilomètres du biopic hollywoodien, bat des records d’intelligence et de subtilité, véhiculant autant la jubilation que la fascination.
20. LE VOYAGE DE CHIHIRO (Hayao Miyazaki, 2002)
On regarde ça les yeux écarquillés, abasourdi par l’inventivité luxuriante de son auteur. Vieillard aux six bras veillant sur ses boules de suie, train filant sur un océan infini, têtes baladeuses aux borborygmes incompréhensibles : Miyazaki extrait de son imaginaire unique le plus effervescent merveilleux de l’enfance, et parle en poète d’initiation, d’accomplissement, d’épreuves surmontées...
Sur le banc (pardon à tous les autres...) :
A history of violence (David Cronenberg, 2005)
Coeurs (Alain Resnais, 2006)
L'esquive (Abdellatif Kechiche, 2004)
La guerre des mondes (Steven Spielberg, 2005)
Match point (Woody Allen, 2005)
Rois et reine (Arnaud Desplechin, 2004)
Le seigneur des anneaux (Peter Jackson, 2001, 2002, 2003)
Virgin suicides (Sofia Coppola, 2000)
Volver (Pedro Almodovar, 2006)
The yards (James Gray, 2000)