Enregistré sur ARTE :
Le village du pêché d'Olga Preobrazhenskaya et Ivan Pravov (
Babi Ryazanskie, 1927) :
Avec Raisa Puzhnaya, Emma Tsesarskaya, Kuzma Yastrebitsky, Olga Narbekova, Georgi Bobynin, Yelena Maksimova, Gulya Korolyova... Scénario d'Olga Vishnevskaya et Boris Altshuler – Production russe – Genre : drame – Sortie connue : 13/12/1927 en Russie
Mon avis :
En 1914, dans le village de Ryazan, Anna et Ivan sont amoureux. Ce dernier part faire la guerre, laissant le champ libre à son père qui viole la jeune femme. Ivan revient quelques années plus tard et retrouve sa femme avec un enfant, rongée par la honte.
Une belle découverte que ce film. Loin de la propagande habituelle du cinéma soviétique de l'époque, la réalisatrice signe un drame rural ancré dans les traditions de son pays. Elle mêle habilement la fiction, très mélodramatique mais pas aberrante, et documentaire, l'un et l'autre rythmant le récit comme une chronique paysanne mélangeant la vie ordinaire et les drames de l'existence.
Mieux, ce film, co-écrit et co-réalisé par des femmes, apporte un regard féminin inhabituel dans un art majoritairement représenté par des hommes. Ainsi le récit se lit depuis le regard des femmes et de leur condition.
Tout d'abord, URSS ou pas, on retrouve un thème commun à beaucoup de drames ruraux internationaux : les mariages de paysans (mais ça arrive dans d'autres milieux aussi), jusqu'il y a un siècle (encore qu'on pourrait trouver des exemples actuels) sont partout les mêmes : régulièrement, l'intérêt des familles primait avant les sentiments, même si, éventuellement, ceux-ci n'étaient pas forcément incompatibles. La réalisatrice oppose deux portraits de femmes, l'une, volontaire et créatrice, choisissant de vivre avec l'homme qu'elle aime, même non mariée, assumant le rejet de son père, brutal et despotique, l'autre, la belle-sœur de la première, passive et soumise, subissant son sort et taisant sa douleur et sa honte sous les assauts de ce beau-père. Elle jongle habilement entre les contraintes du régime et les tabous, évoquant des situations peu reluisantes tout en caressant les doctrines établies en matière d'art cinématographique. Ainsi l'histoire se déroule en 1914 jusqu'en 1920, mais pourtant la révolution bolchévique n'est jamais évoquée. Le gouvernement révolutionnaire est peu présent, même si la création d'un orphelinat se fait par son approbation : une légère concession à la censure gouvernementale.
Si le récit, malgré son sujet, évite le pathos, c'est parce que le montage, très habile lui aussi, alterne la fiction à de véritables tranches de vies réelles, ainsi on assiste à la vie d'un village au gré des saisons et au quotidien de ses habitants : un mélange de naturalisme, accentué par la minutie des costumes et des habitats, et de cinéma qui marque l'identité d'un film donnant envie de découvrir le reste de la filmographie d'Olga Preobrazhenskaya qui démontre aussi que la photo noir et blanc maitrisée donne de magnifiques plans ruraux qui confinent à une véritable poésie visuelle.
Le tire du film traduit mot à mot donne en français à peu près "Les femmes de Ryazan", ce qui ajoute à l'aspect documentaire du film. Le village de Ryazan, ville de nos jours, existe vraiment, et était réputé pour ses chants interprétés par les femmes de la localité. D'ailleurs la bande-son du film restauré reprend ceux-ci, enregistrés entre les années 1950 et le début des années 2000.
Étoiles : * * * . Note : 14/20.
La co-réalisatrice, Olga Preobrazhenskayan, née en 1881 a débuté comme actrice au cinéma en 1912 après 7 ans de théâtre. Ceci dit elle joue peu devant la caméra, devenant vite scénariste puis réalisatrice. Elle réalisera ou co-réalisera un peu moins d'une quinzaine de films jusqu'en 1941. Elle est décédée en 1971.