Le Retour du Proscrit (The Shepherd of the Hills, 1941) d'Henry Hathaway
PARAMOUNT
Sortie USA : 18 juillet 1941
Le fait d’aborder maintenant ce film va nous amener à rapidement nous poser la question sur ce qu’englobe vraiment le western ; quelles en sont les frontières géographiques et temporelles ? On se rendra d’ailleurs vite compte qu’elles restent encore très floues à définir, différentes selon les personnes. Car si les plus généreux le font s’étaler chronologiquement de la découverte du Nouveau continent (l’histoire de Pocahontas avec entre autres Le Nouveau Monde de Terrence Malick) à notre 20ème siècle (
Seuls sont les indomptés) et étendre son champ d’action de la Lousiane (
Seminole) à la Californie (
The Mark of Zorro), du Canada au Mexique, d’autres, plus stricts, lui imposent des limites au 19ème siècle et à l’Ouest de la première frontière, à savoir celle qui séparait les 13 premiers états du reste d’un territoire encore inexploré. Me basant sur les listings établis par Phil Hardy et Patrick Brion, les deux le référençant dans leurs ouvrages de référence comme faisant partie du genre qui nous préoccupe ici, je vais donc évoquer ce curieux
Shepherd of the Hills sans être pleinement convaincu de son appartenance au western. Car dans ce cas là , pourquoi donc ne pas aussi inclure en son sein des films comme
Autant en Emporte le Vent (qui aborde quand même la Guerre de Sécession, le fait historique et la période les plus souvent traités dans le genre) ou
Jody et le Faon ? Si vous avez quelques idées sur le sujet, n’hésitez pas même si ‘le débat’ avait déjà eu lieu dans un autre topic (mais où et lequel ?). En ce qui concerne
Le Retour du Proscrit, jugez vous-même d’après l’histoire qu’il raconte. Hathaway allant devenir l’un des cinéastes les plus importants et prolifiques du genre, il n’est de toute manière pas inintéressant de traiter un film de plus à l’intérieur de sa passionnante filmographie.

Dans les Ozarks (plateau d’environ 120000 km2 et couvrant pas moins de 4 états, le Missouri, l’Arkansas, l’Oklahoma et le Kansas), la famille Matthews arrive à survivre grâce à la fabrication clandestine d’alcool. Les autorités ne le voient pas de cet œil là et tentent de les coincer, ce qui conduit parfois à des morts. Justement aujourd’hui, la jeune Sammy Lane (Betty Field) voit son père se prendre une balle alors qu’il faisait le guet pour les Matthews ; lorsque le jeune Matt Matthews (John Wayne), dont elle est secrètement éprise, vient à passer, elle passe sa colère sur lui, lui reprochant ainsi qu’à sa famille de 'Moonshiners' de provoquer les violences qui ont lieu dans la région à cause de leurs activités illicites... Depuis de nombreuses années, Matt attend le retour de son père à qui il reproche de l'avoir abandonné bébé ainsi que sa mère alors que cette dernière était mourante ; il n’a qu’un seule idée en tête lorsqu’il se retrouveront face à face, le tuer pour la venger d’autant que cet homme est en plus accusé de tous les maux et rancœurs qui se sont abattus dans la région entre les différentes familles suite à son départ. Très superstitieux, tout le monde croit que tant qu’il ne sera pas mort, une malédiction continuera à s’abattre sur eux, son domaine de Moanin’ Meadow continuera à être damné. Arrive alors Daniel Howitt (Harry Carey), un vieil homme calme, riche et guérisseur à ses heures qui souhaite s’installer en leur sein et pour cela décide d’acheter la terre maudite aux Matthews. « Aucune main ne sauraient salir de l’argent » pense la veille tante acariâtre : les Matthews l’acceptent sans broncher même si par ailleurs ils voient son 'intrusion’ d'un mauvais œil. Le vieux monsieur, non content d’avoir guéri quelques habitants et d’avoir fait revivre une terre abandonnée, tente aussi de faire revenir la paix dans la région. Mais Matt ne supporte pas non plus qu’un étranger (aussi bon soit-il) soit venu s’installer sur la propriété où repose sa mère…

Comme dans
The Trail of Lonesome Pine avec qui il forme une sorte de dytiques sur la vie des montagnards dans les monts Ozarks, Hathaway nous propose à nouveau une tragédie familiale rurale au sein d’une communauté superstitieuse aux rancunes et aux haines tenaces. Mais alors que le premier se déroulait à l’époque du tournage (soit dans les années 30),
Le Retour du Proscrit semble prendre place au 19ème siècle, le seul élément pouvant nous le faire deviner étant la séquence au cours de laquelle un commerçant refuse un billet qu’il s’est rendu compte provenir des confédérés. Sinon, tous deux possèdent de très nombreux points communs, un tournage en décors naturels, un technicolor somptueux, des paysages montagneux superbement mis en valeur, un ton grave et mélodramatique assez accentué… Seulement le scénario de
La Fille du bois Maudit était plus mouvementé et plus riche, moins bavard, moins sentencieux et un peu moins pesant. Il n’en reste pas moins que, même s’il reste relativement peu connu, ce premier film de John Wayne en couleurs et pour un studio de prestige (en l’occurrence la Paramount) est assez réussi notamment grâce à son aspect plastique absolument splendide, Hathaway se révélant à nouveau très grands paysagiste, les directeurs photos W. Howard Greene (
Jesse James,
North West Mounted Police…)et Charles Lang Jr accomplissant quant à eux des miracles aussi bien en studio qu'en extérieurs, ces splendides derniers ayant été tournés en Californie.
Le genre de film qui pourrait peut-être bien plaire à Wagner
Mais si John Wayne nous octroie une performance digne d'intérêt (à postériori on constate à quel point certaines de ses séquences préfigurent d’autres chefs-d’œuvre à venir comme celle où il vient se recueillir sur une tombe et parler à la défunte qui anticipe
La Charge Héroïque ou cette autre où, alors qu’il part bien décidé à tuer son père, il a le même regard déterminé et cruel qu’il aura face à Nathalie Wood à la fin de
The Searchers), ce sont Harry Carey et la jeune Betty Field qui emportent le morceau. Le premier en mystérieux ‘père prodigue’ (dont le spectateur comprendra très vite la véritable identité grâce à de multiples et touchants détails distillés avec parcimonie par Hathaway) interprète son rôle avec une grande sobriété conférant à son personnage une prodigieuse noblesse ; il s’agit du ‘bon berger’ des collines du titre original (titre à résonnance biblique pour un film qui s’apparente d’ailleurs à une parabole, Hathaway filmant souvent en contre plongée pour donner une aura à certains personnages). Mais la comédienne la plus mémorable est la jeune Betty Field dans la peau de Sally, 'une jeune fille aux pieds nus' vive et touchante, pure et intelligente, qui va faire en sorte avec Danny que la communauté des montagnes retrouve la paix et la sérénité. Belle brochette de seconds rôles à leurs côtés avec entre autres Marjorie Main dans le rôle de la tante aveugle qui recouvrira la vue entourée de tous les habitants du village réunis au sommet d’une montagne après qu’une chanson douce et touchante ait été entonné au milieu de l’assemblée, Marc Lawrence (spécialiste par la suite des rôles de gangsters) dans celui d’un demeuré devenu muet et qui est au centre de l’image la plus inoubliable du film, celle où on le voit jouer avec la poussière qui vole à travers les rayons du soleil tombant d’une fenêtre, Beulah Bondi dans la peau du personnage le plus ingrat de l’intrigue (alors qu'on avait plutôt tendance à la voir dans la peau de douces et gentilles grand-mère), celui de la tante devenue acariâtre et méchante, mais encore Ward Bond, John Qualen, Charles Middleton…

Dommage que certaines séquences s’éternisent plus que de coutume, que d’autres s’avèrent trop bavardes, que les dialogues et situations soient parfois trop grandiloquents, que la morale soit pontifiante (l’auteur de l’histoire était un pasteur et il nous dit naïvement que les querelles peuvent prendre fin grâce à la gentillesse et au dévouement) car sinon, nous nous trouvons devant une inhabituelle et intéressante description de la vie quotidienne de familles aux pulsions et idées parfois primaires, aux superstitions bien ancrées, aux haines tenaces, arrivant pourtant in fine à trouver un terrain d’entente après que plusieurs drames se soient déroulés et grâce à la gentillesse d’une adolescente et l’arrivée dans la vallée d’un bienfaiteur voulant réparer ce qu’il a détruit malgré lui. Difficile d’oublier certaines images comme celle de Beulah Bondi traçant un cercle de feu autour de son fils décédé, l'incendie de la maison, Marjorie Main retrouvant la vue et comprenant d’un coup tous les secrets qui polluaient la bonne entente des uns et des autres, le bouleversant visage en larmes de Betty Field sachant qu’elle ne pourra jamais aimer un meurtrier, la partie de pêche réunissant John Wayne et Harry Carey, le long plan fixe voyant John Wayne arriver du fond de l’écran pour accomplir la vengeance qu’il avait en tête depuis environ 20 ans et le ‘duel’ qui s’ensuit au milieu de la prairie. Le roman de Harold Bell Wright avait déjà été adapté par deux fois au temps du muet ; dommage que celle d’Henry Hathaway reste toujours aujourd’hui aussi peu montrée d’autant qu’esthétiquement il s’agit d’une pure merveille. Les amateurs d’action et d’émotions fortes seront certainement déçus mais les amateurs de mélos et de sombres histoires familiales (avec happy-end et quelques touches poético-fantastique) devraient tenter le coup.