Bon, l'année 2014 se terminant, j'ai dressé un top 11 de mes meilleures découvertes cinématographiques :
11.
On connait la chanson - Alain Resnais - 1997
Je ne pouvais me morfondre dans l'affreuse douche froide du minable posthume de Resnais, il fallait que je voie quelque chose d'autre qui, heureusement, s'est avéré bien meilleur. Fantaisiste, drôle, léger, cette comédie musicale assez particulière portée par une troupe bien sympathique - Bacri, Jaoui, Arditi (je l'adore), Azéma, Dussolier (loin de la fadeur de son rôle dans le testament du réalisateur...) prouve bel et bien que Resnais est l'ancien le plus moderne du cinéma. Des chansons populaires, on adhère ou on n'adhère pas (moi ça me plait, mais je dois être un peu ringard), viennent ponctuer avec audace et justesse ces récits de chassés-croisés amicaux et amoureux, où les pleurs laissent place aux rires, où les dépressions auto-diagnostiquées précèdent à l’allégresse la plus totale. Traitement des rapports sociaux intéressant et juste, loin de ceux, véritablement hypocrites et méchants, que nous proposent à l'heure actuelle des "réalisateurs" comme Canet. Vaudevilliste mais pas lourd et très peu théâtral, avec mise en scène soignée donc, quiproquos assez savoureux, Resnais est alors le grand cinéaste remarquable qui ne s'est pas encore enfoncé dans le piètre théâtre filmé.
10.
Les Chasses du comte Zaroff - Ernest B. Schoedsack et Merian Cooper - 1932
Le film d'aventure par excellence, celui dont je raffole, bien plus efficace à mon sens que King Kong du même cinéaste, celui-là étant toujours moderne contrairement à ce dernier, malgré une prouesse technique exemplaire pour l'époque. Survival par excellence, avec le méchant psychopathe cabotin, le héros aventurier expérimenté, la belle à sauver, décor hostile, crocodiles, requins mangeurs d'hommes... Tout ce qu'il faut pour séduire les fans old-school du genre, avec une Fay Wray torride, une trame rapidement exécutée (et c'est parfait comme ça...), et en somme un film jouissif qui n'a rien perdu de sa modernité et qui peut toujours impressionner par sa violence assez étonnante pour l'époque.
09.
Pulsions - Brian de Palma - 1981
Plus qu'un hommage ou une simple relecture, Pulsions est un fantasme, le Psychose que voulait voir Brian de Palma. Thriller sensuel, au parfum érotique, exagérant à travers - dans un premier temps - les caresses d'Angie Dickinson l'intimité qu'Hitchcock voulait que l'on ressente lors de la douche de Janet Leigh dans son film, et puis lors de la scène de douche finale (ou presque), la terreur, à travers Nancy Allen.
Ce qui intéressait De Palma dans Psychose, c'est sa forme, car Pulsions est une analyse des plans du film du maître du suspense, les déstructurant et les mettant à la sauce du cinéaste virtuose. Et jamais sa mise en scène n'a été aussi cohérente, le kitsch (utilisé maintes fois dans son oeuvre totale) n'est plus que jamais à sa place dans cette enquête sulfureuse -où la femme n'a rarement été aussi désirable -, angoissante, à l'atmosphère qui peut être qualifiée tout simplement de nymphomane.
L'intrigue, bien qu'intéressante et non dénuée de surprises (remarquable Michael Caine), passe au second plan, car ce qui intéresse le réalisateur et le spectateur, se prenant au jeu voyeur du cinéaste, c'est la chaleur des corps, la passion féminine (passionnelle Nancy Allen), les craintes des femmes, c'est une partie de chasse assez perverse, avec une ambiance érotique tellement fantasmée qu'elle devient fantasmagorique, c'est une plongée dans un univers qu'on connait bien mais qui n'est pas le nôtre, comme Hitchcock l'a fait avec son Vertigo, même si c'est dans des mesures plus grandioses encore.
Mais je pense que, contrairement à son idole Sir Alfred, De Palma aime passionnément ses acteurs/actrices, leurs personnages, et c'est de cela que naît le caractère vénéneux de ses protagonistes féminins, que l'on retrouve beaucoup plus légèrement dans le cinéma du Sir.
08. Conversation Secrète - Francis Ford Coppola - 1974
Tout le monde a déjà disserté sur ce chef d'oeuvre, donc je serai bref. C'est absolument brillant, fascinant, Gene Hackman est prodigieux dans ce rôle qui lui va comme un gant, Cazale m'inspire toujours autant de sympathie et mérite de figurer au panthéon des acteurs, dommage qu'il n'ait pas pu avoir une carrière plus conséquente - et il s'agit peut-être, avec Taxi Driver, du film le plus représentatif du cinéma américain - d'essence paranoïaque - des seventies, tant sa réflexion vertigineuse est magistrale. Et ça me ronge de voir Blow Up, maintenant. Ah, et puis il y a du jazz, qui correspond parfaitement à son atmosphère...
07. Le Roman d'un tricheur - Sacha Guitry - 1936
Pas étonnant que ce roman cinématographique plaise à la Nouvelle Vague, et pas étonnant qu'il me plaise tant, donc ! Monologue fier de la voix traînante et plaisante de Sacha Guitry, nous contant son rapport avec la malhonnêteté, rapport qui serait encouragé par le destin. Le cinéaste puise dans l'impertinence une certaine pertinence, parfumée d'une douce ironie, et nous raconte sur un ton immoral son parcours vers la richesse dû à la tricherie, et sa descente aux enfers engendrée par l'honnêteté et la conscience. Car le personnage de Guitry est désabusé depuis sa "tendre" enfance, il ne comprend pas les rapports humains, le véritable amour, l'honneur, et a bâti sa vie comme un petit malin, de manière à rouler les autres pour se sentir supérieur et pour devenir riche. Et même si la fin nous indique qu'il commence à résister à la tentation, combien de temps cela durera-t-il ?
Au delà de beaucoup aimer, j'admire le film, le réalisateur, la fraîcheur de sa mise en scène et de son propos, son humour discret qui se ressent dès la présentation orale de l'équipe du film (drôle d'idée...), son apparence de gentleman d'époque, la légère amertume qui émane de l'expérience de son personnage (ou de lui-même ??)...
Film raffiné, savoureux, charmant, l'archétype du français d'époque. Cela aurait pu être mégalomane ou suffisant, c'est en fait juste génialement narquois et affable. J'adore.
06. In the Mood for Love - Wong Kar-Wai - 2000
In the Mood for Love, c'est comme le jazz de fin de soirée, comme l'album posthume de Lester Young, c'est doux, mélancolique, mélodique, nostalgique, sensuellement essoufflé. La nuit envoûte, la spirale de la coupe de Maggie Cheung rappelle la sensualité tortueuse de Kim Novak dans Vertigo, les corps se frôlent, et la caméra fige le mouvement. Et ce n'est jamais poseur. Les acteurs s'arrêtent, mais ne posent jamais. C'est aussi ça, la pure magie du cinéma : contrôler le temps, les émotions. Le cinéaste fige le temps, les personnages réfléchissent dans la tourmente, la vie continue, les personnages ont fait le point de la situation. Ils se cherchent, ils se perdent, ils se retrouvent inlassablement. On pense à Resnais et à ses amants d'Hiroshima, à Marker et à sa passion pour le pays du soleil levant, à Godard et ses amoureux mythiques qui ne se comprennent pas. Nous sommes en 2000, une nouvelle ère cinématographique commence, Wong Kar Wai en revient aux fondamentaux : la Nouvelle Vague. Tout le film est empreint de la fraîcheur éternelle de ce mouvement, la musicalité des mouvements, le mythe inaltérable du désir, les conséquences du renoncement. La Nouvelle Vague a trouvé son représentant à l'extrême-Orient, qui immortalise son souffle, le met au goût du jour. Le réalisateur a trouvé son Georges Delerue, Trofanov, et sa nymphe, pour nous livrer un des plus beaux poèmes, nocturne en plus, doucereusement douloureux, et peut-être bien le plus beau film de la décennie qu'il inaugure magistralement.
05. Encounters at the end of the World - Werner Herzog - 2007
Véritable trip (dans tous les sens du terme) cosmique et naturel, quasi-organique, sur le vivant. Werner Herzog, avec son ton grave, son humour acide, filme le mouvement, la progression, contrairement à la plupart des documentaires sur le sujet.
C'est presque psychédélique. Chaque séquence, chaque scène est un moment de grâce absolue, mystique même. A mes yeux, il s'agit certainement du plus beau documentaire du monde. L'Antarctique, paysage cinématographique par excellence, ses habitants déconnectés de notre civilisation, ces formes de vie détachées d'une intelligence voisine à l'homme, de tout esprit de survie et de logique.
C'est une véritable oeuvre de cinéma, loin du documentaire où, comme le disait Godard, on est émerveillé par la beauté des paysages, puis, une fois que le programme est fini, on oublie tout. Herzog filme à merveille ce continent du Pole Sud au calme inquiétant, y instaure une atmosphère presque horrifique. On se souvient de ces bruits organiques, inexplicables, rappelant Pink Floyd, de ces phoques qui servent de moyens de communication entre eux. On se souvient de la cruauté du monde microscopique des glaces. De ces peuples primaires qui, à la suite d'un procès présidé par un gamin de 12 ans, taillent à coups de machette les touristes qui ont eu le malheur de prendre leurs enfants en photos.
"Science sans conscience n'est que ruine de l'âme" dit Rabelais. Le cinéaste fait probablement parti de ces derniers humanistes à établir un lien entre plein de domaines différents, la Science, Dieu, la philosophie, et c'est pour cela que le film tient un propos écologique bien plus élaboré que la plupart des autres documentaires.
Si, par quelques moments, le cinéaste semble s'écouter philosopher avec ses interlocuteurs, il a aussi une bonne dose de dérision, en insistant sur le délice des crèmes glacées que propose la base McMurdo et l'anecdote absurde d'un mécanicien qui se vante d'avoir des origines incas car ses mains sont formées étrangement.
Je le dis sans modestie, sans prétention : c'est un fabuleux film sur la Création et le Vivant. Il faut le voir pour le comprendre.
04. La Chevauchée fantastique - John Ford - 1939
Ringo Kid, Dallas, Mallory, Boone, Peacok, Gatewood, Buck... Des noms qui sont devenus synonymes de classe légendaire dans les westerns, ici magnifiés dans un endroit encore plus légendaire, Monument Valley, où naîtra une légende encore plus importante, John Wayne.
A quoi se résume Stagecoach ? A de la franche camaraderie qui ne devient jamais balourde, à l'alcoolique peut-être le plus attachant du genre (non, non ce n'est pas Dude...) porté par le très sympathique Thomas Mitchell, à d'autres personnages tout aussi intéressants, à des plans magnifiques qui feront rêver les amoureux du Colorado et n'importe qui d'autre, à un rythme parfaitement maîtrisé, à une chasse géniale entre indiens et voyageurs, à un humour fin...
La romance n'est pas des plus belles en effet, mais elle est simple et elle ne plombe pas le rythme très animé du film, et elle est introduite par une certaine lutte des classe qui n'est pas inintéressante du tout.
En gros, c'est le Western, classe, élégant, pas trop fabriqué qui ne tombe jamais dans ses gros clichés et qui confirme la pureté du cinéma de John Ford.
03. Le Loup de Wall Street - Martin Scorsese - 2014
Les premières images annoncent la couleur, le lion est lâché, après avoir fait des films "gentils" dans sa cage, il revient en grande forme, rappelant sa décennie glorieuse des nineties, avec cette orgie féroce de trois heures sur les excès plus immoraux les uns que les autres de ces courtiers de Wall Street. Le schéma narratif est absolument le même que celui des Affranchis, mais on s'en fiche : Scorsese n'a pas besoin de réinventer son cinéma pour sortir un grand film (le terme est un peu fort pour son dernier mais bon, c'est quand même du haut calibre), il doit faire et refaire des films identiques à Casino et Les Affranchis, en changeant juste le cadre et le contexte, c'est la voie cinématographique où il est le plus à l'aise, quitte à faire des films mal-aimables.
Car oui, Le Loup de Wall Street est mal-aimable. Du point de vue de ses personnages, pour lequel le cinéaste éprouve une fascination extrême, l'histoire évolue dans un décor misogyne, orgiaque, méprisant la classe moyenne, les personnages ne sont plus que des pantins sans lois ni foi désarticulés par la coke et l'alcool, se sentant surpuissants et supérieurs à toute personne n'ayant pas l'intention de produire le maximum d'argent possible.
Mal-aimable mais indispensable, car le film n'aurait pas sa force si ses personnage n'étaient pas aussi profondément antipathiques. Jouissif, se dégustant avec la formidable bande-originale sous un bain de soleil auquel les personnages se baignent dans une idylle jusqu'alors sans autorité, le film est aussi choquant, entres scènes sexuelles très crues (des films -16 sont plus soft), et propos d'un mépris absolument indépassable d'un DiCaprio au meilleur de sa forme dans le plus grand rôle de sa carrière, absolument brillantissime et qui ne se ridiculise pas dans des chutes du quatrième mur couillues mais particulièrement habiles. A côté de ces scènes de débauche, j'ai également trouvé de belles scènes, particulièrement l'avant-dernière, avec cet agent du FBI qui observe, mélancoliquement, la classe moyenne dans le métro dont il aurait pu s'échapper si il avait cédé aux corruptions de Jordan Belfort. Car au fond, c'est ça le propos majeur du film : la tentation de l'argent, source majeure et désormais unique du pouvoir, de la reconnaissance de l'autrui naïf et envieux, Di Caprio est, avec sa bande qui joue tout aussi bien que lui, le Tony Montana financier des années 90 qui est né dans une période qui ne lui correspondait pas, exactement comme le protagoniste du film de De Palma. Un qui veut construire un véritable Empire Romain, l'autre qui veut reproduire les avantages de la richesse des sixties avec un côté chic vintage, mais avec en plus une immonde perversité qui casse toute la classe dont il a cherché à s'emparer.
Cependant, et cela est sûrement dû aux conditions de production, le film aurait gagné à être un grand film si il s'attaquait davantage au système capitaliste en dépit de quelques scènes crues. Assez regrettable, mais un regret que l'on oublie presque en voyant cette grandiose chute (avec un formidable Jonah Hill effaçant, le regard vide de tout sentiment, les informations qui ont constitué sa richesse, sa réussite et sa raison de vivre, ne s'intéressant à peine à la destruction de son empire) dont seul Scorsese a le secret.
Une fresque bling-bling et déglinguée, des acteurs endiablés, un propos extrêmement pertinent sur notre époque et un montage qui mérite bien des superlatifs : pas de doute, c'est la résurrection du cinéaste.
02. Pat Garrett et Billy le Kid - Sam Peckinpah - 1973
Il y a tout un tas de scènes magnifiques dans Pat Garrett et Billy le Kid, mais il y en a une vraiment mémorable et tellement belle qui résume à merveille l’intensité tragique et dramatique du film : le mutique adieu entre un vieux shérif, le regard vide, mortellement touché et sa femme, pleurant, qui le méprisait quelques heures auparavant - tous deux étendus devant un lac, attendant l’événement funeste. Cela résume parfaitement l'ambiance du film, car les relations entre les personnages ne sont que ça : on s'aime, on se respecte, on se méprise, et on retrouve l'amitié/l'amour devant la mort. Je n'aurai jamais cru dire ça un jour à propos de Peckinpah, mais c'est bel et bien là un humaniste que l'on retrouve derrière la caméra, attendri par les notes mélancoliques de Bob Dylan, qui a une réelle sympathie pour ses personnages. Au crépuscule de l'Ouest sauvage, où le sacre de Stoddard face à Liberty Valance n'est pas encore arrivé, les cow-boys profitent de leurs manières définitives une derrière fois, acceptent la mort de manière loyale et sage, même quand ils se prennent une balle dans le dos (encore une autre très belle scène, l'adieu "amical" entre le bandit shérif adjoint de Garrett et Le Kid, alors que ce dernier ne l'a pas eu à la régulière dans un duel), cela relève de la pure tragédie, où l'honneur est le premier code des héros, où d'une sanglante odyssée les vainqueurs ressortent meurtris mais d'une certaine manière, assez pessimiste, grandis. Inutile de préciser que le cinéaste traite le sujet avec merveille, mais c'est assez étonnant tout de même car le nihilisme d'Alfredo Garcia ne laissait point présager un tel point de vue de la part du réalisateur - encore une fois, ça m'apprendra à ne pas entamer la filmographie d'un cinéaste dans l'ordre chronologique.
Sinon, concrètement, James Coburn en impose, la présence de Bob Dylan devant la caméra n'est pas désagréable, Kristofferson n'est pas en reste, et là où certains auraient fait un film sale et nihiliste, Peckinpah en fait un requiem tragique, mélancolique et magnifique.
01. Et vogue le navire – Federico Fellini – 1984
1984. Certains disent que Fellini n'est plus le cinéaste grandiose et terrassant qu'il était auparavant. Si le film parait moins forain et grandiloquent que ses œuvres précédentes, il n'en reste pas moins une superbe symphonie, opéra de vie et de mort, ode à un humanisme immortel et invincible. Point de caricature grotesque et manichéenne de la bourgeoisie, les personnages sont plus beaux et fascinants les uns que les autres. Jamais l'Agnus Dei n'a été aussi bouleversant que dans cette tragédie dépassant les sphères du commun des mortels, d'une richesse inouïe, d'une sagesse politique dont peu de cinéastes peuvent se vanter. Jamais le classique n'a été aussi bien exploité dans nos salles. Il prend ici tout son sens. Il s'agit aussi d'un poème d'amour destiné au Cinéma, digne testament précoce rempli d'espoir d'un artiste bien trop sage pour se larmoyer devant la mort. C'est l'évolution même du 7ème Art que l'on suit : le noir et blanc, le sépia, le muet, la parole... Le générique, les caméras apparaissent. Et le cinéaste reste fidèle à lui-même, jusqu'au bout, avec une scène finale absurde et bouffonne qui nous rappelle que la flamme du cinéaste n'est pas encore éteinte, et ne s'éteindra probablement jamais.
Bonnes fêtes de fin d'année et qu'un chouette nouveau périple cinématographique annuel commence !
Nouveau sur ce site.