Arizona (1940) de Wesley Ruggles
COLUMBIA
Sortie USA : 25 décembre 1940
Alors que la Columbia était restée jusque là en marge du genre, n’ayant produit que quelques films de série sans importance, elle sort en cette fin d’année 1940 son premier western de prestige avec gros budget à la clé. On pourrait à juste titre se demander pourquoi il reste encore si méconnu de par nos contrées et quelle est la raison pour laquelle il n’a quasiment jamais été cité dans quelque anthologie que ce soit ; ça paraitrait logique au vu de son intrigue assez conventionnelle et de sa mise en scène qui ne propose que peu d’éléments susceptibles de nous faire sauter au plafond mais c’est loin d’être le premier film dans ce cas ; pourtant
Arizona aurait assurément mérité qu’on s’y attarde un peu, se démarquant des autres westerns de l'époque sur un point. En effet, ceux qui n’étaient pas trop client du côté propre des westerns de ce début de décennie allaient enfin avoir de quoi se mettre sous la dent. Car même s’il ne s’avère pas mémorable,
Arizona tranche avec tout ce que nous avions pu voir ces deux dernières années niveau réalisme, Wesley Ruggles ayant porté une très grande attention à l’authenticité ; peu de westerns avaient jusqu’à présent mis un accent aussi fort sur moult détails qu’ils soient vestimentaires, physiques, décoratifs ou autres. On y trouve donc un aspect documentaire qui n’est pas négligeable et qui est pour beaucoup dans le fait de suivre le film sans aucun ennui. Ses cinq premières minutes nous faisant traverser la ville façon caméra subjective comme si nous la découvrions en même temps que les pionniers, ne manquent pas d’allure. Rarement nous n’avions pu voir des pionniers aussi sales, leurs chariots aussi dégingandés, les rues aussi poussiéreuses ; rarement un cinéaste s’était autant attardé sur les visages des figurants (un peu à la manière de ce que fera Sam Peckinpah plus de 20 ans plus tard), sur les scènes de rue ; rarement les personnages principaux d’un western (William Holden et Jean Arthur quand même) n’auront été aussi peu glamour (mal rasés, crasseux…) ; rarement les habitations et les objets (armes, meubles, outils) ne nous avaient parus aussi véridiques. Il faut dire que le décor de la ville a été construit en cours de tournage et que quasiment aucun extérieur n’a été tourné en studio, ce qui donne encore plus de naturalisme à Arizona qui conte l’expansion de Tucson à travers le parcours de la première femme blanche américaine venue s'installer dans cette ville.
Peter Muncie (William Holden) conduit une caravane de 45 chariots en route vers la Californie. Il fait une halte (dont il ne sait pas si elle sera temporaire ou définitive) dans une ville qui commence seulement à sortir de terre du nom de Tucson. Il fait la connaissance de Phoebe Titus (Jean Arthur), "the only American woman in the Arizona territory”, qui gagne sa vie en vendant ses tartes et ses tourtes mais qui a déjà dans l’idée de se lancer dans le transport de marchandises. Ils tombent amoureux l’un de l’autre ; Phoebe compte sur lui pour lui fournir de l’aide dans son entreprise mais celui-ci préfère aller voir la Californie avant d’entreprendre ce travail. Elle se retrouve seule à devoir lutter contre deux féroces concurrents qui font tout pour la faire échouer jusqu’à aller passer un traité avec les Indiens qui devront n’attaquer que ses chargements et laisser les leurs tranquilles, l’inquiétant Jefferson Carteret (Warren William) et le fourbe Lazarus Ward (Porter Hall); la vie à Tucson devient d’autant plus dangereuse que la Guerre de Sécession vient d’être déclarée et que l’armée stationnée à la périphérie doit partir se battre…
Outre une passionnante description documentaire de la vie quotidienne de l’époque (on peut croiser dans les rues grouillantes de la ville champignon un barbier attirant sa clientèle par un air de banjo, des enfants se baignant en pleine rue, un juge statuant en extérieur avec face à lui uniquement l’accusé qu’il vient de rencontrer…) et de la construction presque en direct d’une ville au milieu du désert (décor qui deviendra Old Tucson et qui sera réutilisé par la suite à maintes reprises), nous trouvons aussi d’intéressantes notations historiques. Par exemple, alors que les soldats ont été rappelés pour aller participer à la Guerre de Sécession, on leur donne l’ordre en partant de brûler le fort et toutes les vivres qu’il contient afin qu’elles ne tombent pas entre les mains des rebelles. Les habitants qui en auraient eu bien besoin, outrés et déçus, se sentant abandonné, ressentant cette ‘fuite’ comme une sorte de désertion d’autant que l’armée les laisse ainsi également sans défense face aux Apaches belliqueux de la région, ont décidé sur un coup de tête de se tourner vers la Confédération. Cependant, dès le retour des Tuniques Bleues, ils ne réfléchiront pas longtemps avant de décider de retourner leur veste et se retrouver ainsi heureux et rassuré, de nouveau ‘sous protectorat’.
Bref, nous trouvons dans le film de Wesley Ruggles (qui avait réalisé 10 ans auparavant le très bon
Cimarron) pas mal d’éléments originaux pour l’époque susceptibles d’intéresser le westernophile le plus aguerri. Nous assistons aussi aux débuts prometteurs de William Holden et à une interprétation bien rôdée, quoique manquant un peu de fantaisie, de Jean Arthur dans un rôle dans la droite lignée de sa Calamity Jane de
The Plainsman de Cecil B. DeMille et de son personnage dans
Seuls les Anges ont des Ailes d’Howard Hawks, à savoir une femme de tête qui n’a pas froid aux yeux, seule au sein d’un milieu à très forte proportion masculine, sachant aussi bien manier le revolver que le rouleau à pâtisserie ; quant aux seconds rôles, ce sont eux qui nous apportent le plus de plaisir, que ce soit Edgar Buchanan en juge éméché, Paul Harvey en associé d’une grande gentillesse, Porter Hall qui joue le directeur de la société de transports concurrente et surtout Warren William, homme de l’ombre manipulant son petit monde espérant secrètement un jour devenir le despote de la ville.
Dommage que le film soit un poil trop long et bien trop bavard. En deux heures de temps, les amateurs d’action seront obligatoirement frustrés, n’ayant eu droit qu’à deux attaques indiennes assez efficacement filmées ; même le duel final entre William Holden et Warren William, qui promettait d’être le climax du film, se déroule en hors champ. Malgré une mise en scène manquant singulièrement de personnalité et un scénario de Claude Binyon bien trop conventionnel, le ressenti d’ensemble est pourtant positif d’autant que le film n’ayant pas la réputation d’un classique, l’agréable surprise fut néanmoins de la partie l’intrigue et la romance se suivant avec intérêt si ce n’est avec passion. Les amateurs de films épiques et mouvementés devront pourtant se tourner vers d’autres titres.