Les Tuniques Ecarlates (North West Mounted Police, 1940) de Cecil B. DeMille
PARAMOUNT
Sortie USA : 22 octobre 1940
«
L’amour fait faire de drôles choses » dit Gary Cooper à Paulette Goddard vers la fin des
Tuniques écarlates. Cette phrase aurait d’ailleurs très bien pu être mise en exergue sur une affiche du film ; étonnant pour un western militaire et par rapport à ce que nous en attendions au vu d’un au titre aussi martial promettant avant tout de la grande aventure ! Et pourtant, si l’on se penche sur les personnages principaux, on constate que la principale motivation dans leurs agissements est justement l’amour, que les conséquences soient d’ailleurs néfastes ou bénéfiques. Mais Cecil B.DeMille est moins romantique que ses protagonistes puisque le seul personnage masculin à trouver chaussure à son pied à la toute dernière minute est celui qui aura pourtant privilégié son devoir à des sentiments plus élevés. D’ailleurs, sans le dévoiler, le final va franchement à l’encontre de tout ce à quoi nous nous attendions. Alors, vraiment «
Ecrasant d’ennui et de convention scénaristique » comme l’affirment Coursodon et Tavernier dans leur 50 ans de cinéma américain ? Rien que cette dernière séquence vient à mon avis le contredire. Tous ces paradoxes mêlés à une approche historique assez intéressante (d’autant que la période et les faits évoqués ont rarement été abordés, par la suite non plus d’ailleurs) font au contraire de ce troisième western parlant de Cecil B.DeMille un film plutôt original, sorte de ‘mélodrame d’aventure humoristique’ parfois balourd mais jamais ennuyeux. Il a pour toile de fond historique en 1885 la ‘North-West Resistance’ , à savoir la révolte des métis canadiens menés par Louis Riel contre le gouvernement du Canada et le symbole de sa domination britannique, la police montée, 15 ans après l’écrasement de la première insurrection déjà menée par le même homme.

Alors qu’il est en train de faire la classe à de jeunes enfants, Louis Riel (personnage ayant réellement existé) est interrompu par deux de ses ex-compagnons de résistance, Dan Duroc et Jacques Corbeau, qui souhaitent le convaincre de reprendre la lutte pour les droits du peuple métis franco-indien. Corbeau, vil trafiquant de whisky à ses heures perdues, le décide à tenter de déloger les ‘blancs’ et à former un nouveau gouvernement à Batoche en lui promettant pour se faire la mobilisation inconditionnelle de la population, l’aide des tribus indiennes de la région et l’apport d’une nouvelle arme d’une efficacité redoutable, une mitrailleuse. A Saskatchewan, les Tuniques Rouges de la reine d’Angleterre reçoivent un ultimatum de la part de Duroc qui les engagent à accepter leurs conditions sous 24 heures. La troupe de soldats est dirigée par Jim Brett (Preston Foster) amoureux d’April (Madeleine Carroll), une infirmière et la sœur d’un de ses officiers, Ronnie Logan (Robert Preston) lui-même amouraché de Louvette (Paulette Goddard), une sauvageonne métis qu’il ignore encore être la fille de l’inquiétant Jacques Corbeau recherché pour meurtre par la police canadienne. Alors qu’au fort d’Hudson Bay, on se prépare à un éventuel combat, arrive Dusty Rivers (Gary Cooper), un Texas Rangers lui aussi à la recherche du même Jacques Corbeau et qui n’est pas insensibles aux charmes de la douce April dont Jim Brett vient de demander la main. Les personnages présentés, les situations bien mises en place, l’action et les différentes romances vont pouvoir s’engager…

Conséquence heureuse de l’immense succès remporté par
Pacific Express (
Union Pacific), la Paramount accorde à nouveau un très gros budget à l’un de ses plus prestigieux réalisateurs, Cecil B. DeMille. Il n’aura pas jusqu’à la possibilité de tourner sur les lieux mêmes de l’action (les rares extérieurs ayant été tournés en Oregon) mais, tout comme John Ford pour
Sur la Piste de Mohawks et King Vidor pour
Le Grand Passage, il pourra se frotter pour la première fois au Technicolor ; et le résultat est comme les deux précédents, plastiquement superbe, les chefs-opérateurs ayant ici privilégiés deux couleurs se complétant à merveille, le rouge éclatant des uniformes et le vert plus doux de la nature environnante et de certains attributs vestimentaires portés par Paulette Goddard et Gary Cooper. Les ¾ du film ayant été filmés en studio, il faut savoir que les décors et toiles peintes sont néanmoins un véritable régal pour les yeux. Sinon, on retrouve bien le style particulier du réalisateur, rarement virtuose mais toujours consistant, l’efficacité de ses cadrages (et notamment de ses gros plans), le classicisme de son montage, l’enchainement des différentes séquences comme si nous tournions les pages d’un livre… En parfait conteur parfaitement conscient de ses effets, il peut se permettre une nouvelle fois une certaine théâtralité dans la construction de son film ; un petit nombre de scènes mais la plupart toutes plus longues que la moyenne et plutôt bavardes. Avec un tel casting et des dialogues ma foi souvent fort drôles, malgré une faible dose d’action on ne s’ennuie pourtant quasiment jamais grâce au solide métier de DeMille et au très bon scénario d’Alan Le May, son premier travail pour le cinéma en tant qu’écrivain et qui marque le début d’une étroite collaboration avec DeMille ; c’est lui qui, au vu des dons comiques de Gary Cooper lui écrira
Along Came Jones, l’une des parodies de western les plus amusantes qui soit (mais n’anticipons pas).
Parlons en de Gary Cooper que DeMille ne fait malicieusement entrer en scène qu’au bout de vingt minutes qui ont du sembler interminables pour les fans de l’acteur ! Habitué à tourner dans les meilleures comédies américaines, les westernophiles avaient néanmoins pu se rendre compte de son talent pour l’humour avec
Le Cavalier du Désert (
The Westerner) quelques mois auparavant. Jubilatoire, il continue ici sur sa lancée, véritable bouffon, clown maladroit à la langue bien pendue et aux répliques qui font mouche ; son Dusty Rivers est plus proche d’un personnage de parodie que d’un véritable héros westernien. Ce n’est pas que ce soit un mal mais à travers cet exemple on se rend vite compte que le mélange des genres souhaité par le scénariste et qui apporte une pointe d’originalité au film est également à l’origine des limites de ce dernier. En effet, pour ne prendre qu’une référence parmi tant d’autres, comment s’inquiéter pour un personnage qui, au beau milieu d’une scène de bataille épique, se plaint avec furie qu’une balle ait troué son couvre-chef alors que d’innombrables soldats tombent comme des mouches autour de lui, d’autant plus qu’il ne s’agit pas d’un pittoresque second rôle mais de Gary Cooper en personne ? Certes tout ceci nous fait bien sourire mais le suspense en prend un coup dans l’aile ; les séquences mouvementées sont ainsi toutes plus ou moins coupées dans leur envol par ce genre de détails qui cassent un peu l’élan vers une réelle ampleur qu’elles auraient pu avoir sans ça. Il en va souvent de même dans de nombreux autres films du cinéaste mais parfois, comme dans
The Plainsman, le mix était beaucoup plus réussi et ne nous mettait jamais en porte à faux. Mais ne boudons pas notre plaisir pour si peu d’autant que Dusty Rivers arrive néanmoins à nous toucher, notamment quand il supprime les preuves risquant de faire accuser Ronnie de trahison ou lui faisant porter son propre héroïsme afin que sa réputation ne soit pas terni ; seulement, si vous vous souvenez que Ronnie est le propre frère de la femme à qui il cherche à plaire, on se demande bien si c’est l’amitié pour ‘le beau frère’ qui le motivait vraiment à ces moments de grandeur !
Aux côtés donc d’un inénarrable Gary Cooper, on trouve une somptueusement belle Paulette Goddard grimée en métis, forçant un peu trop sur la cabotinage, prenant quasiment les mêmes mimiques que dans
Les Temps modernes. Son personnage est pourtant très intéressant puisqu’amoureux d’un membre de la police montée tout en étant la fille de leur pire ennemi. Ne voulant trahir ni l’un ni l’autre, les conséquences de ses actes, quoique d’une réelle grandeur d’âme, n’en seront que fatalement tragiques. Plus conventionnel est celui joué par Madeleine Carroll (l’actrice hitchcokienne de
39 Steps ou
Secret Agent) mais tellement attachant grâce à l’actrice qui le tire vers des sommets d’émotion ! Splendidement filmée et photographiée, c’est vraisemblablement le personnage et le visage qui vous seront les plus entêtants un fois le film terminé. Quant à Preston Foster et Robert Preston, en très bons professionnels, ils se révèlent tous deux parfaits vêtus de leurs tuniques écarlates, le premier un peu guindé mais réussissant à nous faire trouver son personnage sympathique, le second bien rôdé dans son éternel rôle de gentil garçon se trouvant en fâcheuse posture écartelé entre son amour et le respect de sa patrie.
Une oeuvre efficace et solide aux ruptures de ton parfois déstabilisantes (voire le face à face grotesque entre Lynne Overman et Akim Tamiroff juste avant la mort de ce dernier, séquence oh combien pénible que Luc Moullet, dans les bonus du DVD, juge comme la meilleure scène du film

), au paternalisme envers les indiens qui pourrait un peu choquer aujourd’hui alors qu’il était de bon ton à l’époque, pour un plaisant divertissement qui fut à l’origine des plus grosses recettes de la Paramount en cette année 1940. Manquant singulièrement de souffle épique et d’aération en extérieurs, Les Tuniques écarlates n’en constitue pas moins un jalon très intéressant dans l’histoire du western ne serait-ce que pour les faits historiques peu connus abordés et les paysages inhabituels encore à l’époque. Avec sa folklorique galerie de personnages et son scénario mêlant avec habileté intrigues amoureuses et guerrières,
North West Mounted Police se révèle de plus un agréable spectacle familial.