Stanley Kubrick (1928-1999)
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De Bava à LOLITA
Pendant que notre ami Stéphane Derdérian repère l'oeuvre de Bava au plus concret (l'histoire du matériel par exemple) ou au plus abstrait (les critiques) à sa manière savoureuse et sans ambage, très directe...
eh bien pendant ce temps, nous continuons !
Il est vrai que notre professeur d'anglais nous déconseillait l'usage du "editorial we" mais enfin il a un charme auquel on a bien du mal à résister. Et il est vrai qu'il n'y a aucun rapport entre Mario Bava et ce cher Stanley mis à part le fait d'être deux cinéastes incontournables et importants de l'histoire du cinéma occidental mondial de la seconde moitié du XXe siècle. Bref... Comme j'aime Bava - davantage que Kubrick ou à égalité sur THE KILLING mais pas sur THE SHINING - je voulais signaler aux égarés ce charmant et nouveau chemin italien qui fleurit discrètement avec sa fleur LA FILLE QUI EN SAVAIT TROP un peu plus bas dans le même "directory".
Je (pour lui faire plaisir) continue donc et je réponds à Memento - avec un clin d'oeil à Ronan dont le message m'a fait plaisir, à Kurz dont le bon sens fait plaisir à lire, etc. -
LOLITA - que j'ai vu plusieurs fois - est une adaptation littéraire.
1) Donc première remarque : il ne faut pas lire le livre pour donner sa chance au film, car sinon il n'en a pas l'ombre d'une et sa vulgarité en est redoublée. Mais ce n'est pas parce que c'est Kubrick ou LOLITA, c'est parce que c'est le cas de n'importe quelle adaptation cinématographique d'une oeuvre littéraire. On n'y peut rien : une oeuvre littéraire est inadaptable au cinéma. Ce qu'on adapte ce quelques moments, quelques fragments de l'oeuvre mais jamais l'oeuvre littéraire totale et son style. On en parle depuis les articles d'André Bazin de ce problème : "vaste problème !" pour paraphraser le "vaste programme !" du général de Gaulle !
2) Second palier de décompression : si on a lu le livre dans la bonne traduction de la N.R.F. (mon cas), l'oublier totalement avant de voir le film. Ou ne le lire, dans le cas contraire qu'après. Le film en lui-même ? Bien joué dans l'ensemble (je souligne ce terme car il fera passer la pilule amère), bien filmé, mélange de comédie dramatique, de fable philosophique, de film érotique, de satire, de critique sociale et réaliste. C'est entendu. Mais est-ce un chef-d'oeuvre ? Nullement. Pourquoi ?
3) Parce que ce film ne permet pas aux personnages d'exister. On n'y croit pas une minute. C'est d'ailleurs l'un des rares exemples de cette époque où James Mason joue certes toujours aussi bien mais surjoue un peu tout de même. Que dire des personnages secondaires sortis tout droit d'une caricature de bande dessinée plutôt que du roman de Nabokov (qu'on l'ait lu on non). Le couple "pervers" qui "vole" Lolita au héros dans l'hôtel est proche de la psychologie des personnages de Dr. Folamour : des figures de la comédie la plus satirique sans aucune épaisseur. Des baudruches. Sue Lyon est devenue emblématique, elle et ses lunettes, de la vacuité totale : un objet du désir sans personnalité autre que celle projetée par son amant : une possibilité d'assouvissement d'un idéal fatalement contrariée par la réalité et le temps. D'ailleurs ce n'est pas un hasard si elle s'est confondue pour la mode avec son propre signe extérieur érotique : les lunettes noires de Lolita. D'une personne à un signe : c'est le film de Kubrick qui a opéré cette réduction promise à une si grande fortune mais dont la contrepartie a été l'appauvrissement de la vraie Lolita, celle qui vivait dans le roman. Le sujet du film au fond, ce n'est pas tant LOLITA que le signe-lunettes emblématique. Signe repris d'ailleurs dans ECHANGE DE PARTENAIRE (Fr. 1977) par Frédéric Lansac qui avait demandé à Pierre B. Reinhard, alors son assistant, de lui trouver des lunettes "LOLITA" pour les poser sur l'actrice Moanie Munier. Ce passage de l'érotisme à la pornographie n'est pas une décadence, c'est un aboutissement de ce qu'a initié Kubrick, précisément. Et cet élément est à mettre en relation avec les autres éléments évoqués dans ce forum pour avoir une idée de l'ambition de Kubrick : un cinéma signifiant où le signifié est absorbé, réduit, tué par le signe. Fascinante mais thanatophore réflexion cinématographique sur le pouvoir du cinéma, en somme. C'est justement ce qui séduisait les intellectuels structuralistes des années 1960-1970 dans le cinéma de Kubrick et c'est justement ce qui nous fait tiquer parce que le structuralisme (de Lévi-Strauss et consorts) est une aberration théorique séduisante mais finalement navrante. C'est un autre débat, il est vrai...
4) Le film est trop long : certaines séquences sont trop longues. Il aurait pu durer une demi-heure de moins. Je pense à la discussion avec Lolita devenue mère de famille, au bal, etc. La rançon de cette longueur aurait pu être un surcroit d'humanité : il n'en est rien. le sujet du film est le temps, c'est vrai. Mais ce n'était pas une raison pour faire un aussi long film.
5) La perte de substance se traduit par une vision ironique globale : c'est une nouvelle version de LA FEMME ET LE PANTIN d'après un argument (le roman de Nabokov) mais pas une adaptation littéraire réussie du roman. C'était d'ailleurs impossible comme on l'a dit plus haut. Reconnaissons que, s'attachant à tenter l'impossible, Kubrick aboutit à un résultat qui se laisse regarder, qui n'est pas déshonorant mais qui n'est pas un chef-d'oeuvre.
Vous voulez l'exemple d'une LOLITA réussie ? BOB LE FLAMBEUR de Melville et toutes les séquences avec l'actrice principale dont le nom m'échappe au mauvais moment. Ou bien encore, ET DIEU CREA LA FEMME de Vadim. Ces films-là exaltent le désir : celui de Kubrick est conçu pour le nier.
eh bien pendant ce temps, nous continuons !
Il est vrai que notre professeur d'anglais nous déconseillait l'usage du "editorial we" mais enfin il a un charme auquel on a bien du mal à résister. Et il est vrai qu'il n'y a aucun rapport entre Mario Bava et ce cher Stanley mis à part le fait d'être deux cinéastes incontournables et importants de l'histoire du cinéma occidental mondial de la seconde moitié du XXe siècle. Bref... Comme j'aime Bava - davantage que Kubrick ou à égalité sur THE KILLING mais pas sur THE SHINING - je voulais signaler aux égarés ce charmant et nouveau chemin italien qui fleurit discrètement avec sa fleur LA FILLE QUI EN SAVAIT TROP un peu plus bas dans le même "directory".
Je (pour lui faire plaisir) continue donc et je réponds à Memento - avec un clin d'oeil à Ronan dont le message m'a fait plaisir, à Kurz dont le bon sens fait plaisir à lire, etc. -
LOLITA - que j'ai vu plusieurs fois - est une adaptation littéraire.
1) Donc première remarque : il ne faut pas lire le livre pour donner sa chance au film, car sinon il n'en a pas l'ombre d'une et sa vulgarité en est redoublée. Mais ce n'est pas parce que c'est Kubrick ou LOLITA, c'est parce que c'est le cas de n'importe quelle adaptation cinématographique d'une oeuvre littéraire. On n'y peut rien : une oeuvre littéraire est inadaptable au cinéma. Ce qu'on adapte ce quelques moments, quelques fragments de l'oeuvre mais jamais l'oeuvre littéraire totale et son style. On en parle depuis les articles d'André Bazin de ce problème : "vaste problème !" pour paraphraser le "vaste programme !" du général de Gaulle !
2) Second palier de décompression : si on a lu le livre dans la bonne traduction de la N.R.F. (mon cas), l'oublier totalement avant de voir le film. Ou ne le lire, dans le cas contraire qu'après. Le film en lui-même ? Bien joué dans l'ensemble (je souligne ce terme car il fera passer la pilule amère), bien filmé, mélange de comédie dramatique, de fable philosophique, de film érotique, de satire, de critique sociale et réaliste. C'est entendu. Mais est-ce un chef-d'oeuvre ? Nullement. Pourquoi ?
3) Parce que ce film ne permet pas aux personnages d'exister. On n'y croit pas une minute. C'est d'ailleurs l'un des rares exemples de cette époque où James Mason joue certes toujours aussi bien mais surjoue un peu tout de même. Que dire des personnages secondaires sortis tout droit d'une caricature de bande dessinée plutôt que du roman de Nabokov (qu'on l'ait lu on non). Le couple "pervers" qui "vole" Lolita au héros dans l'hôtel est proche de la psychologie des personnages de Dr. Folamour : des figures de la comédie la plus satirique sans aucune épaisseur. Des baudruches. Sue Lyon est devenue emblématique, elle et ses lunettes, de la vacuité totale : un objet du désir sans personnalité autre que celle projetée par son amant : une possibilité d'assouvissement d'un idéal fatalement contrariée par la réalité et le temps. D'ailleurs ce n'est pas un hasard si elle s'est confondue pour la mode avec son propre signe extérieur érotique : les lunettes noires de Lolita. D'une personne à un signe : c'est le film de Kubrick qui a opéré cette réduction promise à une si grande fortune mais dont la contrepartie a été l'appauvrissement de la vraie Lolita, celle qui vivait dans le roman. Le sujet du film au fond, ce n'est pas tant LOLITA que le signe-lunettes emblématique. Signe repris d'ailleurs dans ECHANGE DE PARTENAIRE (Fr. 1977) par Frédéric Lansac qui avait demandé à Pierre B. Reinhard, alors son assistant, de lui trouver des lunettes "LOLITA" pour les poser sur l'actrice Moanie Munier. Ce passage de l'érotisme à la pornographie n'est pas une décadence, c'est un aboutissement de ce qu'a initié Kubrick, précisément. Et cet élément est à mettre en relation avec les autres éléments évoqués dans ce forum pour avoir une idée de l'ambition de Kubrick : un cinéma signifiant où le signifié est absorbé, réduit, tué par le signe. Fascinante mais thanatophore réflexion cinématographique sur le pouvoir du cinéma, en somme. C'est justement ce qui séduisait les intellectuels structuralistes des années 1960-1970 dans le cinéma de Kubrick et c'est justement ce qui nous fait tiquer parce que le structuralisme (de Lévi-Strauss et consorts) est une aberration théorique séduisante mais finalement navrante. C'est un autre débat, il est vrai...
4) Le film est trop long : certaines séquences sont trop longues. Il aurait pu durer une demi-heure de moins. Je pense à la discussion avec Lolita devenue mère de famille, au bal, etc. La rançon de cette longueur aurait pu être un surcroit d'humanité : il n'en est rien. le sujet du film est le temps, c'est vrai. Mais ce n'était pas une raison pour faire un aussi long film.
5) La perte de substance se traduit par une vision ironique globale : c'est une nouvelle version de LA FEMME ET LE PANTIN d'après un argument (le roman de Nabokov) mais pas une adaptation littéraire réussie du roman. C'était d'ailleurs impossible comme on l'a dit plus haut. Reconnaissons que, s'attachant à tenter l'impossible, Kubrick aboutit à un résultat qui se laisse regarder, qui n'est pas déshonorant mais qui n'est pas un chef-d'oeuvre.
Vous voulez l'exemple d'une LOLITA réussie ? BOB LE FLAMBEUR de Melville et toutes les séquences avec l'actrice principale dont le nom m'échappe au mauvais moment. Ou bien encore, ET DIEU CREA LA FEMME de Vadim. Ces films-là exaltent le désir : celui de Kubrick est conçu pour le nier.
"Felix qui potuit rerum causas cognoscere "
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- Lanternarius Asensioniste
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coquilles rectifiées + bon sens
Deux coquilles dans le texte précédent
- 1) ligne 4 : lire "... ce qu'on adapte ce SONT quelques moments..."
- 3) ...ÉchangeS de partenaires (Fr 1976 et non pas 1977)
ah j'avais oublié de note, en sus de celui de Kurz, le tout aussi sympathique bon sens de Nutella : oubli réparé
- 1) ligne 4 : lire "... ce qu'on adapte ce SONT quelques moments..."
- 3) ...ÉchangeS de partenaires (Fr 1976 et non pas 1977)
ah j'avais oublié de note, en sus de celui de Kurz, le tout aussi sympathique bon sens de Nutella : oubli réparé

"Felix qui potuit rerum causas cognoscere "
- Jeremy Fox
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J'aime autant le livre (l'un des plus beaux de la littérature mondiale) que le film, que je considère comme un chef d'oeuvre.
Je n'ai pas les arguments pour le développer (et je n'en ai absolument plus envie ici) mais c'est pour dire que les avis peuvent
diverger !
Quand je lis : ce film est-il un chef d'oeuvre : Nullement ! j'ai l'impression qu'on nous impose un point de vue innataquable.
Et encore oser dire que le film de Vadim est plus réussi : pauvre Kubrick, à l'aube du 21ème siècle, penser qu'on peut trouver plus de qualités à Vadim, Lee Thompson, La Pattelière ou Wilcox me rend vraiment triste.
Je n'ai pas les arguments pour le développer (et je n'en ai absolument plus envie ici) mais c'est pour dire que les avis peuvent
diverger !
Quand je lis : ce film est-il un chef d'oeuvre : Nullement ! j'ai l'impression qu'on nous impose un point de vue innataquable.

Et encore oser dire que le film de Vadim est plus réussi : pauvre Kubrick, à l'aube du 21ème siècle, penser qu'on peut trouver plus de qualités à Vadim, Lee Thompson, La Pattelière ou Wilcox me rend vraiment triste.
- Jeremy Fox
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Re: De Bava à LOLITA
si, je vais argumenter tiens
NON

1) Donc première remarque : il ne faut pas lire le livre pour donner sa chance au film, car sinon il n'en a pas l'ombre d'une et sa vulgarité en est redoublée.Mais ce n'est pas parce que c'est Kubrick ou LOLITA, c'est parce que c'est le cas de n'importe quelle adaptation cinématographique d'une oeuvre littéraire. On n'y peut rien : une oeuvre littéraire est inadaptable au cinéma.
NON
SI2) Mais est-ce un chef-d'oeuvre ? Nullement.
SI3) Parce que ce film ne permet pas aux personnages d'exister.
NON4) Le film est trop long
SI5) La perte de substance se traduit par une vision ironique globale : c'est une nouvelle version de LA FEMME ET LE PANTIN d'après un argument (le roman de Nabokov) mais pas une adaptation littéraire réussie du roman. C'était d'ailleurs impossible comme on l'a dit plus haut.
NooooooooooooooooonVous voulez l'exemple d'une LOLITA réussie ? . Ou bien encore, ET DIEU CREA LA FEMME de Vadim.

- Jeremy Fox
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Re: De Bava à LOLITA
Isabelle Corey... mais si cette actrice fait effectivement passer enormément de sensualité (tout comme sue Lyon) celle ci ne se heurte pas à la morale or c'est bien ça qui tourmente Humbert humbert. A partir de là je pense que la perception des personnages est changéfrancis moury a écrit : Vous voulez l'exemple d'une LOLITA réussie ? BOB LE FLAMBEUR de Melville et toutes les séquences avec l'actrice principale dont le nom m'échappe au mauvais moment. .
- Zelda Zonk
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Merci Francis d'avoir pris le temps de répondre à ma question.
Mes remarques ci-dessous :
). Autant le dire tout de suite, je préfère donc l'adaptation de S.K que le roman original. Ce dernier est, il est vrai, plus axé sur l'aspect onirique, obsessionnel, fantasmagorique, quand Kubrick préfère quant à lui rester dans une veine plus réaliste, plus narrative (plus cinématographique pour tout dire ?).
Il faut noter que Nabokov lui-même avait écrit un scénario mais que la production du film et Kubrick lui-même n'en étaient pas satisfaits (trop long, selon eux). Les scénaristes se sont alors enfermés dans une pièce pendant un mois et l'ont réécrit en l'étudiant scène par scène. Bien sûr, quand Stanley a commencé à tourner, il a donné une dimension nouvelle à ces scènes, en improvisant par exemple certaines rencontres entre Sellers et Mason.
Concernant la deuxième partie de ton argumentation ("une oeuvre littéraire est de toute façon inadaptable au cinéma"), je le réfute en bloc. Nous avons souvent abordé cette question dans le cadre de ce forum de discussion et je ne vais donc pas entrer dans les détails. Disons pour résumer que je pense que toute oeuvre littéraire est adaptable (à de très rares exceptions). J'insiste sur le terme adaptable, car tout est là : qui l'adapte ? comment ? avec quelles intentions ? Si c'est pour reproduire page par page la structure du roman, cela est en effet impossible d'un point de vue purement pratique et ne présente d'ailleurs aucun intérêt. Si c'est pour revisiter l'oeuvre, se la réapproprier avec les moyens mis à sa disposition (ceux du 7ème art), je trouve au contraire cette démarche non seulement réaliste mais également très intéressante.
Or sur ce point, Kubrick me semble particulièrement doué. Là où les fans de Nabokov ou de Stephen King crient "trahison", moi je dis "talent". Il ne faut pas confondre Roman et Scénario qui sont deux choses complètement différentes et qui exigent des approches distinctes, voire antagonistes (coupes, remaniement des dialogues, nouvelles scènes, etc.).
Vadim restitue le climat d'une époque, Bardot est une fille de son temps, qui s'est affranchie de tout sentiment de culpabilité, de tout tabou imposé par la société, et dont la sexualité est entièrement libre.
Le film de Kubrick va pour moi au-delà de ce contexte social. Il est intemporel.
Cordialement.

Mes remarques ci-dessous :
Je n'ai personnellement jamais "adulé" Nabokov. Je lui reconnais beaucoup de talent, certes, mais il me laisse froid (un peu comme toi avec Kubrick !francis moury a écrit : 1) Donc première remarque : il ne faut pas lire le livre pour donner sa chance au film, car sinon il n'en a pas l'ombre d'une et sa vulgarité en est redoublée. Mais ce n'est pas parce que c'est Kubrick ou LOLITA, c'est parce que c'est le cas de n'importe quelle adaptation cinématographique d'une oeuvre littéraire. On n'y peut rien : une oeuvre littéraire est inadaptable au cinéma. Ce qu'on adapte ce quelques moments, quelques fragments de l'oeuvre mais jamais l'oeuvre littéraire totale et son style.

Il faut noter que Nabokov lui-même avait écrit un scénario mais que la production du film et Kubrick lui-même n'en étaient pas satisfaits (trop long, selon eux). Les scénaristes se sont alors enfermés dans une pièce pendant un mois et l'ont réécrit en l'étudiant scène par scène. Bien sûr, quand Stanley a commencé à tourner, il a donné une dimension nouvelle à ces scènes, en improvisant par exemple certaines rencontres entre Sellers et Mason.
Concernant la deuxième partie de ton argumentation ("une oeuvre littéraire est de toute façon inadaptable au cinéma"), je le réfute en bloc. Nous avons souvent abordé cette question dans le cadre de ce forum de discussion et je ne vais donc pas entrer dans les détails. Disons pour résumer que je pense que toute oeuvre littéraire est adaptable (à de très rares exceptions). J'insiste sur le terme adaptable, car tout est là : qui l'adapte ? comment ? avec quelles intentions ? Si c'est pour reproduire page par page la structure du roman, cela est en effet impossible d'un point de vue purement pratique et ne présente d'ailleurs aucun intérêt. Si c'est pour revisiter l'oeuvre, se la réapproprier avec les moyens mis à sa disposition (ceux du 7ème art), je trouve au contraire cette démarche non seulement réaliste mais également très intéressante.
Or sur ce point, Kubrick me semble particulièrement doué. Là où les fans de Nabokov ou de Stephen King crient "trahison", moi je dis "talent". Il ne faut pas confondre Roman et Scénario qui sont deux choses complètement différentes et qui exigent des approches distinctes, voire antagonistes (coupes, remaniement des dialogues, nouvelles scènes, etc.).
Je trouve l'interprétation remarquable, des premiers rôles aux rôles secondaires, et je conteste notamment la qualification de "vacuité totale", "objet de désir sans personnalité" de Sue Lyon. A mon sens, son interprétation est extraordinaire. Je marche complètement dans la caractérisation psychologique des personnages. Je suis gagné par la tentation de succomber à Lolita et la répulsion de voir James Mason parvenir à ses fins. Je trouve Lolita fraîche et innocente mais aussi espiègle et charmante. Bref, tout sauf un objet vide du désir.francis moury a écrit : 2) Mais est-ce un chef-d'oeuvre ? Nullement. Pourquoi ?
Parce que ce film ne permet pas aux personnages d'exister. On n'y croit pas une minute. C'est d'ailleurs l'un des rares exemples de cette époque où James Mason joue certes toujours aussi bien mais surjoue un peu tout de même. Que dire des personnages secondaires sortis tout droit d'une caricature de bande dessinée plutôt que du roman de Nabokov (qu'on l'ait lu on non). Le couple "pervers" qui "vole" Lolita au héros dans l'hôtel est proche de la psychologie des personnages de Dr. Folamour : des figures de la comédie la plus satirique sans aucune épaisseur. Des baudruches. Sue Lyon est devenue emblématique, elle et ses lunettes, de la vacuité totale : un objet du désir sans personnalité autre que celle projetée par son amant : une possibilité d'assouvissement d'un idéal fatalement contrariée par la réalité et le temps. D'ailleurs ce n'est pas un hasard si elle s'est confondue pour la mode avec son propre signe extérieur érotique : les lunettes noires de Lolita.
Je n'irais pas jusque là, même si je trouve que Kubrick a mieux réussit la première partie du film, ajoutant quelques situations drolatiques dans le fil de l'histoire. Je n'ai cependant ressenti aucune longueur.francis moury a écrit : 4) Le film est trop long : certaines séquences sont trop longues. Il aurait pu durer une demi-heure de moins. Je pense à la discussion avec Lolita devenue mère de famille, au bal, etc. La rançon de cette longueur aurait pu être un surcroit d'humanité : il n'en est rien. le sujet du film est le temps, c'est vrai. Mais ce n'était pas une raison pour faire un aussi long film.
Comme Jeremy, je trouve assez osé de comparer les deux films (je parle du Vadim, je n'ai pas vu le Melville). Pour moi, ils ne concourrent pas dans la même catégorie.francis moury a écrit : 5) Vous voulez l'exemple d'une LOLITA réussie ? BOB LE FLAMBEUR de Melville et toutes les séquences avec l'actrice principale dont le nom m'échappe au mauvais moment. Ou bien encore, ET DIEU CREA LA FEMME de Vadim. Ces films-là exaltent le désir : celui de Kubrick est conçu pour le nier.
Vadim restitue le climat d'une époque, Bardot est une fille de son temps, qui s'est affranchie de tout sentiment de culpabilité, de tout tabou imposé par la société, et dont la sexualité est entièrement libre.
Le film de Kubrick va pour moi au-delà de ce contexte social. Il est intemporel.
Cordialement.

- Billy Budd
- Bordeaux Chesnel
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Re: De Bava à LOLITA
Que penses tu des Liaisons dangereuses de Frears ?francis moury a écrit : LOLITA - que j'ai vu plusieurs fois - est une adaptation littéraire.
1) Donc première remarque : il ne faut pas lire le livre pour donner sa chance au film, car sinon il n'en a pas l'ombre d'une et sa vulgarité en est redoublée. Mais ce n'est pas parce que c'est Kubrick ou LOLITA, c'est parce que c'est le cas de n'importe quelle adaptation cinématographique d'une oeuvre littéraire. On n'y peut rien : une oeuvre littéraire est inadaptable au cinéma. Ce qu'on adapte ce quelques moments, quelques fragments de l'oeuvre mais jamais l'oeuvre littéraire totale et son style. On en parle depuis les articles d'André Bazin de ce problème : "vaste problème !" pour paraphraser le "vaste programme !" du général de Gaulle !
Pour moi, le seul bémol de Lolita, le film, c'est l'âge de celle-ci : beaucoup trop par rapport au livre ce qui enlève une grande partie du scandale
Everybody's clever nowadays
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Francis Moury a une belle plume, mais lire par deux fois que le film n'est pas un chef d'oeuvre de façon aussi péremptoire, c'est assez étonnant. "Kubrick aboutit à un résultat [...] qui n'est pas un chef d'oeuvre."
On croirait que le terme chef d'oeuvre est une catégorisation objective de l'art. Hormis ceux des compagnons, bien concrets, les chefs d'oeuvre sont hautement subjectifs. Il n'appartient pas à un critique de démontrer en quoi un film l'est, ni de dénoncer pourquoi un film ne l'est pas. Il peut certes le faire mais l'exercice est nul et non avenu. L'appréciation n'a pas d'importance et il ne sert à rien de la remettre en cause. Discuter le film, poser un jugement est certes intéressant, lui contester un statut n'a pas d'intérêt.
D'autre part, je continue de m'étonner (après des années de lecture des Cahiers ou de Positif), de trouver des critiques, qui non seulement intellectualisent, voire surintellectualisent certains films ou des détails infimes, mais qui plus est les emballent dans un taffetas de verbiage incompréhensible du commun des mortels surtout quand il n'a pas de goût pour l'apnée. Cosmo Vitelli nous a souvent alerté sur la pipeaulogie, il serait bon que certains, aussi talentueux soient-ils, passent par un stage de "dépipeaulogisation" (assez proche de celui d'Alex dans "Orange Mécanique"), afin d'éviter de nous servir, par exemple : "un cinéma signifiant où le signifié est absorbé, réduit, tué par le signe. Fascinante mais thanatophore réflexion cinématographique sur le pouvoir du cinéma, en somme. C'est justement ce qui séduisait les intellectuels structuralistes des années 1960-1970 dans le cinéma de Kubrick et c'est justement ce qui nous fait tiquer parce que le structuralisme (de Lévi-Strauss et consorts) est une aberration théorique séduisante mais finalement navrante"
Ceci dit, Francis, c'est toujours un plaisir de vous lire, tant dans les chroniques de DVD que sur les forums. Mais qui aime bien châtie bien (je revendique ce poncif), et internet c'est aussi cette possibilité d'échanger directement avec ses interlocuteurs.
On croirait que le terme chef d'oeuvre est une catégorisation objective de l'art. Hormis ceux des compagnons, bien concrets, les chefs d'oeuvre sont hautement subjectifs. Il n'appartient pas à un critique de démontrer en quoi un film l'est, ni de dénoncer pourquoi un film ne l'est pas. Il peut certes le faire mais l'exercice est nul et non avenu. L'appréciation n'a pas d'importance et il ne sert à rien de la remettre en cause. Discuter le film, poser un jugement est certes intéressant, lui contester un statut n'a pas d'intérêt.
D'autre part, je continue de m'étonner (après des années de lecture des Cahiers ou de Positif), de trouver des critiques, qui non seulement intellectualisent, voire surintellectualisent certains films ou des détails infimes, mais qui plus est les emballent dans un taffetas de verbiage incompréhensible du commun des mortels surtout quand il n'a pas de goût pour l'apnée. Cosmo Vitelli nous a souvent alerté sur la pipeaulogie, il serait bon que certains, aussi talentueux soient-ils, passent par un stage de "dépipeaulogisation" (assez proche de celui d'Alex dans "Orange Mécanique"), afin d'éviter de nous servir, par exemple : "un cinéma signifiant où le signifié est absorbé, réduit, tué par le signe. Fascinante mais thanatophore réflexion cinématographique sur le pouvoir du cinéma, en somme. C'est justement ce qui séduisait les intellectuels structuralistes des années 1960-1970 dans le cinéma de Kubrick et c'est justement ce qui nous fait tiquer parce que le structuralisme (de Lévi-Strauss et consorts) est une aberration théorique séduisante mais finalement navrante"
Ceci dit, Francis, c'est toujours un plaisir de vous lire, tant dans les chroniques de DVD que sur les forums. Mais qui aime bien châtie bien (je revendique ce poncif), et internet c'est aussi cette possibilité d'échanger directement avec ses interlocuteurs.
- Zelda Zonk
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Re: De Bava à LOLITA
C'est vrai, mais là on se heurte à deux problème majeurs (surtout à l'époque) :Nikita a écrit : Pour moi, le seul bémol de Lolita, le film, c'est l'âge de celle-ci : beaucoup trop par rapport au livre ce qui enlève une grande partie du scandale
- la censure
- le talent de la comédienne, qui a quand même pas mal de lignes de script.
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Je n'apporte strictement rien à ce débat, qui est parfois interessant, parfois exaspérant... un vrai débat quoi.
Je voulais juste dire que j'adhère totalement (ça lui fait une belle jambe tiens !) à toutes les déclarations de Memento. De plus, après la lecture de ces nombreuses pages, je continue à m'associer à mes deux maîtres à penser : Michel Ciment et Jeremy Fox.
Il est parfois sain de déboulonner les idoles, mais je trouve que certaies interventions sont particulièrement gratuites et péremptoires.
Pour prendre un exemple, il a été souvent mis en avant l'attitude glacée de Kubrick envers ses personnages, le manque d'émotion de ses films. Or je suis souvent ému aus larmes par ses films, de Barry Lindon à la mort d'Hal dans 2001, en passant par Baleine et Humbert Humbert, le final des sentiers de la gloire, la détresse des protagonistes de Eyes Wide Shut...
Je ne trouve vraiment pas que Kubrick juge ses personnages de haut. Au contraire sa sensibilité, sa compréhension, éclate dans ses films.
Son cinéma est pour moi profondément humaniste et humain.
Je voulais juste dire que j'adhère totalement (ça lui fait une belle jambe tiens !) à toutes les déclarations de Memento. De plus, après la lecture de ces nombreuses pages, je continue à m'associer à mes deux maîtres à penser : Michel Ciment et Jeremy Fox.
Il est parfois sain de déboulonner les idoles, mais je trouve que certaies interventions sont particulièrement gratuites et péremptoires.
Pour prendre un exemple, il a été souvent mis en avant l'attitude glacée de Kubrick envers ses personnages, le manque d'émotion de ses films. Or je suis souvent ému aus larmes par ses films, de Barry Lindon à la mort d'Hal dans 2001, en passant par Baleine et Humbert Humbert, le final des sentiers de la gloire, la détresse des protagonistes de Eyes Wide Shut...
Je ne trouve vraiment pas que Kubrick juge ses personnages de haut. Au contraire sa sensibilité, sa compréhension, éclate dans ses films.
Son cinéma est pour moi profondément humaniste et humain.
Les films sont à notre civilisation ce que les rêves sont à nos vies individuelles : ils en expriment le mystère et aident à définir la nature de ce que nous sommes et de ce que nous devenons. (Frank Pierson)
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Re: De Bava à LOLITA
Je ne le nie pas mais je ne puis m'empêcher d'y penser lorsque je vois, enfin lorsque j'ai vu, le filmMemento a écrit :C'est vrai, mais là on se heurte à deux problème majeurs (surtout à l'époque) :Nikita a écrit : Pour moi, le seul bémol de Lolita, le film, c'est l'âge de celle-ci : beaucoup trop par rapport au livre ce qui enlève une grande partie du scandale
- la censure
- le talent de la comédienne, qui a quand même pas mal de lignes de script.
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Re: De Bava à LOLITA
L'âge réel de Sue lyon ne pose pas véritablement de problème puisque Kubrick pouvait la faire passer pour une gamine de 12 ans...Le film de Adrian Lyne rectifie t il la chose?Memento a écrit :C'est vrai, mais là on se heurte à deux problème majeurs (surtout à l'époque) :Nikita a écrit : Pour moi, le seul bémol de Lolita, le film, c'est l'âge de celle-ci : beaucoup trop par rapport au livre ce qui enlève une grande partie du scandale
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- le talent de la comédienne, qui a quand même pas mal de lignes de script.
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Rien à rajouter. Idem de la première à la dernière phrase. Ca ne fait pas avancer le débat mais moi aussi Kubrick m'émeut au plus haut point donc la froideur est toute relative.phylute a écrit : Pour prendre un exemple, il a été souvent mis en avant l'attitude glacée de Kubrick envers ses personnages, le manque d'émotion de ses films. Or je suis souvent ému aus larmes par ses films, de Barry Lindon à la mort d'Hal dans 2001, en passant par Baleine et Humbert Humbert, le final des sentiers de la gloire, la détresse des protagonistes de Eyes Wide Shut...
Je ne trouve vraiment pas que Kubrick juge ses personnages de haut. Au contraire sa sensibilité, sa compréhension, éclate dans ses films.