L’Odyssée des Mormons (Brigham Young, 1940) d’Henry Hathaway
20TH CENTURY FOX
Sortie USA : 27 septembre 1940
Ne considérant pas le très beau
The Trail of Lonesome Pine comme faisant partie du genre,
Brigham Young est le premier western d'envergure d'Henry Hathaway, n'ayant réalisé avant celui-ci que de petites bandes de série que peu de monde semble avoir vu. C'est donc le début d'une belle filmographie du cinéaste dans le genre qui nous intéresse ici.
A la question de Bertrand Tavernier dans son «
Amis Américains » qui voulait savoir si Hathaway avait fait ce film en tant que supporter des Mormons, ce dernier lui répondit : «
Absolument pas. J’ai simplement lu leur histoire et cela m’a fasciné. » Sur quoi il enchaînait un peu parlant de ce qu’il pensait de son long métrage : «
C’était un film drôlement bon. Vous savez, le genre de film difficile à faire, c’est un film avec une caravane de chariots. On n’arrive pas à faire rejaillir l’intérêt : on est obligé de commencer toutes les séquences par les chariots qui avancent, et la scène suivante, les chariots continuent à avancer ou ils s’arrêtent et ensuite repartent. C’est dur de varier la construction plastique. Ensuite, le second genre le plus difficile : c’est le film religieux. Dans Brigham Young, j’avais les deux. On passait des chariots qui roulent à la religion pour revenir aux chariots qui roulent. C’est un miracle qu’on s’en soit sortis. »
Et il avait raison ; sans atteindre des sommets, son film se révèle franchement bon ne tombant à aucun moment dans le prêchi-prêcha ni dans la mièvrerie, travers dans lesquels il aurait effectivement pu être tenté de se vautrer avec un tel sujet de départ, l’histoire d’un des ‘prophètes’ de la religion des Mormons conduisant son peuple vers leur terre promise. Au final, une aventure humaine plus qu’un laborieux sermon.
En 1844, après avoir été évincé quelques années auparavant de l’Ohio puis du Missouri, les Mormons sont à nouveau victimes de persécutions dans l’Illinois en raison de leurs croyances religieuses. Les habitants font tout pour les chasser allant jusqu’aux expéditions punitives se terminant par des meurtres de sang froid. A la suite d’un procès truqué, Joseph Smith (Vincent Price), le fondateur de leur Église, est violemment abattu par une foule déchaînée. Il trouve cependant en Brigham Young (Dean Jagger) un digne successeur ; malgré l’avis de certains voulant rester pour se défendre, il décide de ne pas tenter le diable et de conduire l’exode de sa communauté hors de cet État où on les malmène. C’est le début d’ un long et pénible voyage en chariots vers les plaines d’Amérique du Nord ; en 1947, tombé en arrêt devant une vallée située en Utah, Brigham et ses centaines de suiveurs y fondront la future Salt Lake City après avoir passé un rude premier hiver au cours duquel beaucoup faillirent mourir de faim.

Alors que la vie de Brigham Young avait été déjà pas mal mouvementée, Henry Hathaway et son scénariste Lamar Trotti (dont je ne me lasserais jamais de dire tout le bien que j’en pense) décident de débuter sa biographie au moment où, à Carthage (Illinois), il prend la succession du fondateur de l’église des Mormons après que ce dernier se soit fait purement et simplement massacré par une foule haineuse lui déchargeant des coups de fusil à bout portant. Un seul flash back lors du procès de Joseph Smith nous fera revivre la première rencontre entre les deux hommes. Dean Jagger, l’un des très grands seconds rôles des années 40 et 50, semble véritablement habité par son personnage, un homme décrit comme profondément humain et rarement sentencieux. Charismatique sans trop en faire, l’acteur est excellent jusque lors de ce final où, harassés par les épreuves qu’ils ont enduré et l’hiver rigoureux qu’ils ont eu à subir, ses fidèles se retournent contre lui le taxant de menteur et de faux prophète incapable d’enrayer le dernier fléau qui leur tombe dessus, une invasion de crickets ; Lamar Trotti, avec sa tendresse habituelle, finit d’en faire un homme fragile et encore plus attachant.

Et, malgré aussi un Tyrone Power assez effacé et des seconds rôles prestigieux tels John Carradine ou Brian Donlevy (encore eux, de quasiment tous les westerns de ces années !), ce sont surtout les personnages féminins qui nous restent en tête après la fin du film. Mary Astor (inoubliable l’année suivante face à Bogart dans
Le Faucon Maltais) et la sublime Linda Darnell (future Chihuahua de John Ford dans
My Darling Clementine) dans l’un de ses premiers grands rôles nous livrent de magnifiques compositions et offrent ainsi deux très beaux portraits féminins. La première interprète l’épouse aimante et compréhensive de Brigham Young, la seconde une jeune femme qui, après la mort de son père persécuté pour ses croyances, suit la communauté sans pour autant vouloir adhérer elle-même à leur religion et qui tombe amoureuse d’un des membres du groupe. Toutes deux filmées avec grâce et sensibilité sont certainement les protagonistes les plus attachants de cette fresque ne manquant pas de souffle, narrant les persécutions (50 premières minutes) puis l'exode (30 minutes suivantes) et enfin l'arrivée de la communauté religieuse dans la vallée du Lac Salé sous les Montagnes Rocheuses avec les difficultés qu’elle eut à s’y installer au cours d’un premier hiver glacial (30 dernières minutes). Une sorte de "remake" des 10 commandements façon western plutôt bien mené par un Hathaway en pleine possession de ses moyens surtout quand il s'agit de filmer d'immenses paysages et des scènes mouvementées (les séquences initiales montrant les cruelles exactions commises par les habitants de l’Illinois à l’encontre des Mormons possèdent une réelle puissance, celle que Zanuck souhaitait avoir dans ses films à caractères sociaux de l’époque comme Les Raisins de la colère). Parfois bavard, quelquefois frisant l'académisme par son sérieux imperturbable (quoique la discussion sur la polygamie entre Tyrone Power et John Carradine fasse preuve d’humour) mais retombant toujours sur ses pattes grâce à la conviction du réalisateur, du scénariste et des interprètes.

Même si sa communauté manque un peu de vie (Hathaway est plus un cinéaste de l’individualité que du groupe), même si la caravane de La piste des Géants avait plus d’ampleur, même si la communauté fordienne de Sur la piste des Mohawks était bien plus chaleureuse, il n’en reste pas moins qu’Henry Hathaway nous offre, avec une figuration importante, une belle photographie et de splendides paysages naturels (le panoramique à 180° qui ouvre la séquence de l’arrivée au dessus de Salt Lake City est superbe), une épopée spectaculaire et intimiste tout ce qu’il y a d’honorable, une vraie réussite dans son genre qui prône de plus un respectueux message de tolérance. On y voit, à Council Bluffs, les Indiens être les seuls à accueillir avec chaleur les Mormons, se découvrant à l’occasion des frères de persécutions dans ce pays qui leur en a fait voir de toutes les couleurs. Et puis la touchante romance entre Tyrone Power et Linda Darnell achève de faire de ce
Brigham Young un western qui mérite d’être redécouvert.