
Quelques heures avant de se battre en duel, et en réalité de fuir par lâcheté, un pianiste reçoit la lettre d'une inconnue sur le point de mourir et qui lui raconte sa vie.
Max Ophuls réalise ici un chef d'oeuvre, tout simplement. Il adapte avec ce film, une nouvelle de Zweig, changeant les personnages, l'écrivain devient pianiste, Innsbruck se transforme en Vienne. L'intrigue est un sombre mélodrame, très lourd, très kitsch quelque part : une jeune fille tombe follement amoureuse d'un pianiste prodige, elle finit par avoir une aventure d'un soir avec lui dont nait un enfant qui va naturellement mourir et tout cela sans que l'homme ne se souvienne de cette femme qui n'a été pour lui qu'une simple amourette. Quel argument sirupeux, lourd qui pourrait donner dans le mélo larmoyant, et pourtant Ophuls en réalise un mélodrame subtil illuminé par la beauté de Joan Fontaine. Elle illumine le rôle de sa pureté, de sa simplicité, mais aussi de sa sophistication. Elle est aussi crédible en gamine de 15 ans qu'en jeune femme de 30 ans !
Et puis Louis Jourdan est parfait dans son rôle d'espèce de débauché, noceur qui ne vit que pour les plaisirs de la vie. On comprend en le voyant comment cette jeune fille peut en tomber si follement amoureuse et ne pas se rendre compte de son réel caractère. Bien que tourné aux USA, on croit à cette Vienne typiquement Zweigienne, avec cet éclairage systématiquement nocturne, cette vision d'une VIenne heureuse avec son Prater enneigé, sa musique légère, son Opéra (seule faute de goût, faire écouter Die Zauberflöte en italien à un public autrichien), mais qu'importe.
Il y a aussi cette maestria du réalisateur qui joue de ces clairs-obscurs, de cette blondeur angélique de l'actrice souligné par des vêtements toujours sombres. Il y a aussi une forte symbolique des costumes, la blancheur et la lumière symptomatique du bonheur que l'héroïne refuse, quand elle vit à Linz, ou quand elle est avec son mari où elle porte une superbe robe blanche, et la noirceur quand elle croit enfin toucher au grand amour, le tout relevé de roses naturellement blanches et éphèmères.
Il y a aussi les habitudes d'Ophuls avec ces escaliers si importants dans tous ses films et qui sont de nombreux plans Toute la grande scène entre les deux héros est superbe, avec cette succession de sorties "clichés", la pomme d'amour, le bal musette où ils sont naturellement les derniers danseurs, la calèche, bref cette Vienne d'Opérette avec aussi cette discussion dans ce "train" qui le fait voyager. Ce film annonce cet autre chef d'oeuvre absolu qu'est Madame de, avec cette légèreté mêlée à cette noirceur de la vie et la futilité des sentiments humains !
Lettre d'une inconnue est un véritable chef d'oeuvre romantique, porté par ses deux interprètes et notamment Joan Fontaine, éblouissante dans le rôle de cette femme finalement si sotte dans son amour irraisonné.
A noter que le master du Wild Side est de toute beauté et rend parfaitement honneur à ce travail sur l'obscurité, la nuit et les clairs-obscurs.