Depuis ton départ (1944)
Impression très mitigée pour cette fresque selznickienne.
Le fait de l'avoir vu en VO sans sous-titres a dû peser. Il faudra une révision mais je ne suis pas sûr que ça change grand-chose.
En l'état, j'ai trouvé qu'on avait affaire à un film frustrant. Frustrant car passionnant en tant que document instantané, et faiblard en tant que film.
Depuis ton départ sort aux États-Unis alors que vient d'être engagée la plus massive contre-offensive militaire de l'Histoire, et je n'ose imaginer quelle a dû être la réaction des spectateurs US de l'époque qui devaient avoir chacun un proche au combat. Pour la plupart d'entre eux, le film a dû rejouer sous leurs yeux ce qu'ils vivaient au quotidien.
Depuis ton départ participe en effet à l'effort de guerre mais par l'autre bout de la lorgnette : en s'intéressant à la vie des familles des soldats mobilisés, en leur absence. Démarche finalement rare au cinéma et qui motivait mon désir de voir le film.
Avec sa superproduction, Selznick adresse un message de soutien moral aux épouses et aux enfants de militaires, bien obligés de continuer à vivre, la boule au ventre, dans le confort protecteur de leur petite vie
middle-class. Montrer la Seconde Guerre mondiale au travers des familles séparées, sur le sol américain, conduit à mettre le doigt sur l'état d'esprit de la société de l'époque, qui cherche à camoufler du mieux qu'elle peut son angoisse viscérale de la perte de l'être aimée derrière une affectivité exacerbée et une quête de l'insouciance éphémère. Bal, bowling, messe, flirts, sont autant de moments précaires au gré desquels la société américaine et tout particulièrement les femmes, conjurant l'absence d'un père, d'un mari ou d'un compagnon, se rassemble, se serre les coudes et tente de mettre momentanément sous clé leur peur. Le film tente de parler de la difficulté psychologique pour la famille d'avoir à dépasser l'angoisse de l'incertitude et de l'impuissance (l'attente de lettres, etc), et à continuer tranquillement leur petite vie alors même que cette situation est culpabilisante. D'un côté l'étouffement du foyer familial (la mère courage Claudette Colbert, qui ne vit que dans l'attente des lettres de son mari), de l'autre la volonté d'y échapper en participant à l'effort de guerre (sa fille Jennifer Jones qui devient infirmière auprès des amputés de guerre en rééducation).
C'est ce qui rend pour moi le film intéressant, parce qu'il fixe un envers du décor souvent passé sous silence dont il est l'immédiat spectateur. Je ne sais pas ce que valent les autres "homefront movies" produits durant la Seconde Guerre mondiale, mais
Depuis ton départ a une valeur de document à recommander quand bien même l’œuvre en elle-même soit inaboutie. On sent une sincérité dans la démarche de Selznick qui, sous les oripeaux de la grosse fresque hollywoodienne, recherche l'authenticité des caractères en donnant la parole aux habituels laissés pour compte.
Insatisfaisant et très bancal, le film le reste. Malheureusement. Trop long (environ 3 heures), le film souffre du côté mégalo de son producteur qui se ressent dans l'éparpillement du scénario. Une meilleure structure et un montage plus serré n'auraient pas fait de mal car on fait parfois du surplace à cause de tous ces différents personnages. La sauce a du mal à prendre. Par ailleurs, pour un film qui se veut être un mélo digne et lucide, que toute la première partie soit autant parasitée par un humour lourdaud relève du non-sens pour moi. En tant que fils de militaire (parti au combat), je sais ce que c'est que de vivre une telle absence et je sais à quel point rire et s'évader est impératif pour conjurer son impuissance et son inquiétude, mais le film en fait trop dans ce registre (les gags avec le bouledogue, la chique de Jennifer Jones, etc) et du coup ça amoindrit la tension émotionnelle : avec tant de légèreté, les femmes Hilton finissent parfois par paraître peu concernées. Le drame reprend heureusement peu à peu ses droits, n'en signant plus que le superflu de ces touches d'humour.
J'aurais également à redire sur le jeu des comédiens. Jennifer Jones ne fait que minauder, Shirley Temple fait sa crise d'adolescence et Robert Walker manque de charisme, lui qui en dégageait pourtant un max dans
L'Inconnu du Nord-Express. Quant à Joseph Cotten, il a l'air un peu déphasé.
Surtout, carton rouge à la musique de Max Steiner, ou à côté de la plaque avec ses airs guillerets, ou faisant pleurer le violon sans vergogne pour arracher la larmichette. Gonflant.
C'est finalement ce qui m'a déçu, cette lourdeur-loukoum de mélo pénible, le côté grosse machine mielleuse. Ça ne m'a pas du tout convaincu. Le thème est beau, mais il est mal traité et on aboutit à une pâtisserie limite bienheureuse. Tout le monde est gentil, la mère gère en permanence, ses filles sont dociles pour ne pas lui compliquer la tâche, tout le monde prend les nouvelles tragiques relativement bien (!)... le film reste tributaire du fait qu'il participe d'un effort de guerre et ne peut donc y aller trop fort dans le désespoir psychologique même s'il aborde un sujet sensible. C'est difficile de le lui reprocher si on se replace dans le contexte, mais le film donne du coup l'impression d'édulcorer la réalité en la recouvrant d'un vernis acceptable pour le public de 1944, une forme de philosophie de vie sur laquelle les spectateurs pourraient méditer pour faire face à leurs propres tragédies familiales (cf. comment Jennifer Jones gère émotionnellement ses heures sombres... pas crédible une seule seconde). Si les choses étaient si simples que ça !...
A côté de ça, le film possède de réelles qualités cinématographiques : la photo de Stanley Cortez avec un travail intéressant sur le clair-obscur, le spectaculaire formel à la Selznick qui surgit souvent comme un cheveu dans la soupe, l'esprit général étant quand même largement dominé par les scènes d'intérieur. Ce qui donne l'impression, comme avec
Duel au soleil, que plusieurs réalisateurs ont réalisé différents bouts. On compte pas mal de plans démesurés avec des matte-painting de premier ordre signés Jack Crosgrove. Je pense notamment à la séquence de bal militaire sous un hangar de bombardier ou la séquence de la gare qui sera parodiée dans
Y a-t-il un pilote dans l'avion.