Les Moissons du ciel (Days of Heaven, 1978)
1916, Suite à une rixe qui l’oppose à son contremaître, Bill (Richard Gere) est renvoyé de l’usine dans laquelle il travaillait. En compagnie de Linda, sa sœur de 12 ans et Abby (Brooke Adams), sa petite amie, il part pour le Texas. Ils trouvent tous trois à être employé pour la durée des moissons dans une immense ferme dirigée par le jeune et riche Chuck (Sam Shepard). Ce dernier, atteint d’une maladie incurable, sait ses jours comptés. Il n’en tombe pas moins amoureux d’Abby. Bill ayant appris la vérité à propos de la mort prochaine du propriétaire et souhaitant améliorer son sort autrement qu’en ayant à trimer du lever au coucher du soleil, pousse Abby à l’épouser sachant qu’ils pourraient récupérer l’héritage peu de temps après…
A la lecture du sujet, on pourrait facilement se méprendre sur le ton du film ; noir, glauque, misérabiliste ? Ceux qui connaissent le cinéma de Terrence Malick imaginent en revanche très bien que ça ne devrait pas être le cas ; ce en quoi ils ont évidemment raison. En poète élégiaque de l’image, avec sa mise en scène d’un magnifique lyrisme contemplatif, il nous offre au contraire une symphonie visuelle et sonore stupéfiante de beauté. C’est à travers le regard de Linda, à l’aide de sa voix off rocailleuse si spéciale qu’il nous est donné de suivre cette tragique histoire d’amour sur fond de conditions de travail harassante et d’évolution du machinisme avec l’arrivée de la révolution industrielle. Son jeune âge lui faisant dédramatiser les faits par sa saine philosophie de vivre pleinement l’instant présent, Linda est encore empreinte d’innocence mais possède dans le même temps un sacré culot par son étonnante franchise. C’est ce décalage entre ce qu’il se passe à l’écran et comment tout ceci est retranscrit par Linda qui donne aussi à cette œuvre ce ton si particulier et qui permet à Malick ne pas juger le comportement de ses protagonistes, Richard Gere et Brooke Adams interprétant pourtant des ‘prolétaires’ ayant besoin d’améliorer leurs conditions de vie par tous les moyens, même les moins glorieux ; ils n’en demeurent pas moins à nos yeux un couple très touchant, tout autant que celui que forme Brooke Adams avec Sam Shepard, les trois comédiens s’avérant exceptionnels.
En même temps que l’évolution de ce triangle amoureux, nous assistons à un admirable tableau documentaire sur le travail dans les grandes fermes de l’Ouest américain au début du 20ème siècle avec ses moments de dur labeur, ses instants de bonheur festifs, ses fléaux (insectes, incendie…), son rythme journalier… Aucun ennui ni didactisme dans cet aspect anti narratif puisque Malick possède un souffle lyrique qui balaie le tout. De plus, dans son constant souci de perfection (son tournage a duré plus d’une année pour un film d’une durée ne dépassant pas l’heure et demie), il a pleinement réussi à rythmer son film à la perfection avec l’aide d’un montage jamais redondant, de thèmes discrets et néanmoins sublimes d’Ennio Morricone et d’une somptueuse photographie (justement oscarisée) aux teintes chaudes et mordorées signée Nestor Almendros. Un régal que ces images de champs de blé à perte de vue bercés par le vent, de couchers de soleil, de reflets et scintillements sur la rivière, de sublimes gros plans sur les visages aussi, tout simplement.
Après
La Ballade sauvage (
Badlands) en 1973, odyssée sanglante d’un couple en cavale, cet ancien professeur de philosophie ne déçoit pas ses fans de la première heure en signant cinq ans après avec
Days of Heaven une deuxième brillante réussite. Il est dès lors considéré comme l’un des réalisateurs les plus doués de sa génération ; il a d’ailleurs confirmé cette réputation de la plus éclatante des manières en 1998 (
La Ligne Rouge) puis en 2005 (
Le Nouveau Monde). Quatre films, quatre chefs-d'oeuvre.
