Les Nibelungen
Scénario: Fritz Lang et Thea von Harbou
Année de sortie: 1924
Durée totale: 290 minutes
Première partie: Siegfried
Fort du succès retentissant de
Docteur Mabuse le joueur, Fritz Lang entame tout de suite un nouveau projet d'une envergure encore plus titanesque: une adaptation cinématographique de la Chanson des Nibelungen, épopée médiévale allemande célèbre. Disposant d'un budget à la hauteur de ses ambitions, le réalisateur se lance corps et âme dans ce nouvel opus, si long qu'il dut être divisé en deux parties. La première, intitulée "Siegfried", raconte l'histoire de ce dernier, un héros sans peur et sans reproche qui s'est taillé une réputation béton en assassinant un dragon et en se baignant dans son sang. Or, ce jeune héros se rend à Worms pour y épouser Kriemhild, la soeur du roi et par le fait même la plus belle femme du monde. Mais ce ne sera pas chose facile! Cette première partie relate ses aventures.
Avec une liberté artistique aussi complète et des moyens financiers aussi généreux, Lang est probablement saisi de la folie des grandeurs. Ce film est, en 1924, l'équivalent des méga-productions hollywoodiennes, la comparaison avec le Seigneur des Anneaux étant inévitable. Une tonne de figurants sont mobilisés, des décors couteux sont érigés, un dragon de soixante mètres de long est même fabriqué! Rien n'arrête la vision de Lang. Il n'a qu'à demander et il reçoit. Les acteurs deviennent de plus en plus de simples pantins. Mais c'est sans doute le prix à payer pour réaliser un film de cette ampleur. S'il n'a pas toujours bien vieilli et si certaines scènes traînent parfois en longueur, ce premier morceau des
Nibelungen conserve tout de même un rythme rapide et enchaîne les péripéties avec beaucoup d'énergie.
Le combat avec le dragon fait certes un peu sourire (il ressemble plus à une énorme peluche), mais on ne peut toutefois qu'admirer l'initiative, qui pour l'époque est une réussite totale, et si je ne m'abuse une première dans le genre. La scène où Siegfried s'empare du trésor des Nibelungen est également de toute beauté, ainsi que celle, mémorable, de la traversée du lac de feu. Pour un film qui a plus de 80 ans, les effets spéciaux sont toujours impressionnants. Les talents de conteurs de Lang et von Harbou sont également indéniables. Difficile de garder l'intérêt du spectateur aussi longtemps, mais le pari est remporté. Le texte source est traité avec beaucoup de respect par les deux auteurs qui s'efforcent d'en transposer l'essentiel sans trop verser dans l'excès. Quelques choix de casting un brin douteux (la "plus belle femme du monde" ressemble à un homme...), mais dans l'ensemble, l'histoire de Siegfried est prenante, bien qu'il faille être tolérant au fantastique pour l'apprécier pleinement.
Seconde partie: La vengeance de Kriemhild
Centrée, comme l'indique explicitement le titre, sur la revanche de Kriemhild, cette seconde et dernière partie de la saga des Nibelungen n'est pas aussi constante que la première, mais frappe parfois plus fort. Épousant sans amour Etzel, roi des Huns, la veuve éplorée décide, pour célébrer la naissance de leur enfant, d'inviter son ancien clan au château. Loin d'avoir pardonné le meurtre de son bien-aimé Siegfried, la reine se lance dans une insatiable quête de vengeance qui se terminera en véritable bain de sang. D'ailleurs, la loyauté du clan Nibelungen envers un meurtrier ignoble, infanticide par-dessus le marché, est bien difficile à comprendre. Il y a là un sous-texte patriotique évident mais peu crédible. Les combats sont d'ailleurs d'un pèle-mêle étourdissant, Lang n'y ayant pas été de main morte sur le nombre de figurants.
Ce qui fait la relative faiblesse de cette seconde partie, c'est surtout qu'en comparaison avec la première, elle est bien pauvre en rebondissements. Beaucoup de longueurs, la scène finale du combat étant même parfois victime d'une certaine redondance. Toutefois, l'aspect drame épique de l'oeuvre est très réussi. Kriemhild, bien que n'affichant qu'une seule expression faciale, est convaincante dans le rôle de la névrosée qu'aucune morale ne saurait arrêter. Quant au personnage du roi Gunther, son entêtement stupide à défendre le meurtrier ignoble de son beau-frère et de son neveu agace tellement que le plan de sa tête tranchée est tout simplement jouissif.
Des décors encore une fois grandioses, des costumes remarquables, mais des lacunes notoires au niveau du scénario dont la longueur n'est pas justifiée par le contenu. Il faut donc en quelque sorte prendre son courage à deux mains pour s'attaquer à cette deuxième partie, mais ses qualités artistiques en valent le détour, en plus d'offrir une conclusion pour le moins étoffée à la triste saga des Nibelungen. Déconseillé aux impatients.