GREED(1923/24)
EPISODE II : trouble in Culver City
Les films Goldwyn, en 1923, s’étaient lancés dans deux productions qui allaient poser des problêmes : à part l’inévitable
Greed,
Ben-Hur (Sous la direction de Charles Brabin avant son remplacement par Fred NIblo) faisait monter le thermomètre, depuis Rome où les dollars coulaient à flot, mais sans obtenir de résultat conséquent. Ayant refilé les actifs de sa société à Loew’s Incorporated, propriétaire de la Metro, Samuel Goldwyn autorisait le recours au nom de sa firme et c’est ainsi qu’est née la Metro-Goldwyn, qui ne s’appelait pas encore -Mayer. Et la toute nouvelle société, propriétaire des kilomètres de pellicule impressionnés par Stroheim, n’avait pas de contrat moral avec lui, contrairement à Goldwyn. Ceci explique pourquoi au moment de rendre son film à ses distributeurs, il se soit heurté à un mur; par ailleurs, lorsqu’ils lui demandaient de couper, couper encore, ils se sont eux aussi retrouvés face à un artiste déterminé, sur de son bon droit, et qui avait passé un temps très long à peaufiner ce qu’il considérait à juste titre comme son chef d’œuvre… Tout cela n’encourage pas le dialogue.
Depuis lors, relater cette affaire nous réduit généralement à choisir notre camp. Selon moi c’est impossible. Si j’admets, à la suite de Patrick Brion(Très partial, il ne cache jamais son admiration pour l'organisation de la MGM), que Irving Thalberg n’est pas le diable mais une sorte d’artiste qui a parfois été amener à trancher dans le vif afin de sauvegarder les intérêts de la firme, et un pragmatique qui savait que
Greed serait un désastre commercial sous une forme trop longue, je pense qu’il y avait entre les deux hommes un contentieux particulièrement affirmé, et que Thalberg n’aimait pas Stroheim, ni ses films. Sinon, bien sur, rien ne peut justifier totalement la perte de l’œuvre.
La version montée par Stroheim au début de 1924 totalisait 42 bobines, soit environ 9 heures de projection. C’était la version de travail, et seuls une poignée de personnes l’ont vue. Elle comprenait les épisodes suivants, si l’on en croit les fascicules et ouvrages reprenant le scénario/découpage publiés de façon posthume :
-Big Dipper : la jeunesse de McTeague, l’ambition de sa mère, le décès du père alcoolique.
L’apprentissage : McTeague suit le docteur Potter et devient son assistant. Il affirme sa peur des jeunes femmes lors d’une opération, ou il déclare forfait.
-San Francisco: John McTEague s’installe à Polk St., et fait la connaissance de Marcus Schouler. On nous présente en plus les autres habitants de la résidence : Charles Grannis, le vétérinaire, patron de Marcus ; Miss Baker, sa voisine ; Maria Miranda Macapa, la femme de ménage Mexicaine qui traine sa folie partout en volant tous les objets qui passent à sa portée ; Et enfin Zerkow, le brocanteur obsédé par les histoires de Maria qui prétend avoir servi une famille qui possédait un trésor fabuleux, aujourd’hui enterré. Grannis et Baker, de leur coté, et Maria et Zerkow, de l’autre, vont former des « couples » dont les histoires vont servir de contrepoint au déveleoppement du triangle McTeague/Trina/Marcus
-La rencontre avec Trina : Marcus l’amène pour soigner une dent endommagée (Les circonstances de l’accident auraient été filmées par Stroheim). McTeague surmonte sa peur des jeunes femmes et tombe amoureux de la fiancée de son ami. Il l’embrasse lorsqu’elle est sous anesthésie. C’est lors de la première visite chez le dentiste que Trina achète à Maria un ticket de loterie pour se débarasser d’elle.
-Les discussions entre Schouler et McTeague au sujet de Trina : Marcus laisse son ami devenir le prétendant de la jeune femme: un geste qu’il regrettera toute sa courte vie.
-La cour gauche menée par McTeague à Trina, avec des pique-niques, sorties diverses, soirées.
-Le dilemme de Trina, qui n’arrive pas à se décider si elle aime ou non le docteur.
-La soirée du ticket gagnant ; lorsque Trina revient à Polk St. en compagnie de McTeague et apprend avoir gagné $5000. Elle prend la décision de se marier.
-Le placement des $5000 dans la société de l’oncle de Trina, qui lui assure une rente confortable.
-La tension montante entre Marcus et McTeague qui culmine lorsque Marcus tente de poignarder le dentiste.
-Le mariage, décrit en parallèle à un enterrement dans la rue.
-Les premiers mois du couple, avec l’avarice grandissante de la jeune femme.
-Les escarmouches de Marcus et McTeague, notamment une partie de lutte lors d’un pique-nique qui dégénère.
-La parade de Polk Street, filmée avec le renfort de la population.
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-La trahison de Marcus, qui dénonce le charlatan McTeague aux autorités, avant de partir pour se lancer dans l’élevage de bétail.
-La vente aux enchères de tous leurs biens par les McTeague.
-La mariage de Grannis et Baker.
-La perte par Maria de son nouveau-né, difforme et rejeté par le père. Un passage déjà très odieux chez Norris.
-La sympathie grandissante entre Maria et Trina
-Le meurtre de Maria par Zerkow, et le traumatisme de Trina, qui a découvert le corps.
-La lente déchéance de McTeague dans l’alcoolisme, ses accès de violence, et l’avarice de plus en plus grave de sa femme.
-La destruction du couple suite à la décision de McTeague de partir en emportant les économies de sa femme.
-La décision de Trina de reprendre ses $5000.
-Le meurtre de Trina, devenue femme de ménage, par McTeague.
-La fuite de McTeague, qui retourne à Big Dipper, et rencontre un chercheur d’or.
-La fuite de McTeague dans la vallée de la mort, bientôt rejoint par Marcus.
En plus de cette continuité, un certain nombre d’objets servaient de « petits cailloux » chers à l'auteur de
Foolish Wives:
La grosse dent dorée, enseigne de McTeague qu’il convoite et que Trina lui offre, avant qu’elle devienne un symbole de sa déchéance lorsqu’il la revend à un dentiste pour une bouchée de pain.
La cage de McTeague, qui a trouvé un oiseau au début du film, cet oiseau (Ou d’autres canaris, après tout plusieurs années passent) le suit à Polk St. Au moment du mariage, le canari a un compagnon. Cette cage est convoitée par un chat errant lors de la trahison de Marcus. le seul oiseau survivant suit McTeague dans Death Valley et meurt , laché par le dentiste, sur le sac d’or.
La photo de mariage, qui subit des dégradations au fur et à mesure, avant d’être déchirée par Trina lorsque Mac la quitte. Par ailleurs Grannis l’a récupérée lors de la vente aux enchères, juste avant de commencer sa cour à Miss Baker : l’objet permet le passage de témoin.
Autre passage de témoin basé sur des scènes récurrentes: Les conversations entre Maria et Zerkow, qui mèneront à leur mariage, puisà la violence grandissante entre eux, puis Trina prendra la place de Maria et deviendra à son tour une femme de ménage à demi-folle et délabrée.
Tous ces aspects justifient la forme longue, mais devant l’impossibilité d’exploiter une telle version, Stroheim coupera une version de 5 heures (24 bobines), qui est celle qu’il présentera à la MGM. Là, on lui expliquera qu’il est impossible d’exploiter le film, même en deux parties. Il confiera la tâche de couper le film plus avant à son ami Rex Ingram, qui rendra sa version de 18 bobines à Stroheim en lui disant, selon la légende : « Si tu coupes un pied de plus, je ne te parlerai plus jamais. » . Il est à peu près certain que Rex Ingram, pour faire de laplace, aurait coupé dans la première partie(au nord de la Californie)et aurait éliminé le personnage de Zerkow et son meurtre. Sa version sera refusée : la MGM ne veut pas dépasser les 10 bobines, et après une tentative(14 ou 16 bobines) par June Mathis, qui tentait de rendre un peu plus commerciale la version de Rex Ingram, avec parait-il l’aval de Stroheim, c’est finalement le monteur Joe Farnham qui a rendu la copie définitive du film, à l’automne 1924. Cette version est sortie en décembre, et a été, relativement, un échec, même si l’admiration des Européens pour le metteur en scène a joué en la faveur du film, et même si son prestige n’a absolument pas été atteint.
La consultation des historiens nous permet ici deux notes additionnelles: Jean Mitry prétend avoir vu la version de June Mathis, d’environ 4 heures, au studio des Ursulines(
Avant-Scène Cinéma n°83/84, 1968). Officiellement la version Mathis n’a jamais été distribuée, donc metons ça sur le compte des fantasmes. Maurice Bessy a de son coté prétendu (Dans son ouvrage
Stroheim, chez Pygmalion) que les chutes de l’histoire Baker/Grannis auraient fourni la matière à un court métrage sorti en 1925. Difficilement vérifiable, on ne trouve pas d’autre trace de ce petit film, mais le fait qu’il y ait des séquences en Technicolor rend l’hypothèse logique : la société Technicolor conservant des droits sur les films auxquels elle participait, elle pouvait très certainement imposer la confection d’un tel court métrage afin d’éviter la perte sèche des quelques plans de couleur qui s’y trouvaient. Quiconque mettrait la main sur ce petit film, qui reste une hypothèse, aurait assurément un (petit) fragment du puzzle de Greed entre les mains….
Autres éléments du puzzle, les quatre tentatives de reconstruction qui se sont succédées: en 1968, la revue l’Avant-scène a publié une version du scénario, qui a ensuite été publiée chez Faber & Faber en langue Anglaise. Les deux versions présentent des différences, notamment dues à la plus grande fidélité de la deuxième au script de Stroheim.
Herman Weinberg a publié en 1972 une reconstitution sous la forme d’un album de photos, plein de spéculations personnelles d’un goût douteux. Le reconstructeur (spécialisé en projet pharaoniques) Rick Schmidlin a mélangé une copie Turner de 1924 avec des photos de tournage et des intertitres dans le but de reconstruire le film au plus près de la version voulue par Stroheim, en ayant le plus souvent recours au livre(De Norris) comme fil conducteur. Cette version vidéo a été commanditée par TCM, et fait plus ou moins figure de version officielle aujourd’hui.
Reste maintenant à comparer ce qui est comparable… et à lire quelques bétises sur le film

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A suivre donc.