1. MULHOLLAND DRIVE (David Lynch, 2001)
La mythologie hollywoodienne, entre rêve éthéré d'ingénue émerveillée et cauchemar d'amante délaissé, évoquée avec un lyrisme romantique digne de la légende d'
Orphée... Ou encore, LE mélodrame contemporain définitif, revu et corrigé à travers la caméra tactile et sensuelle de David Lynch... Ou encore, un démontage vertigineux de la fascination vitale et mortelle exercée par le cinéma sur les consciences... Ou encore, un conte bouleversant sur l'étoffe de nos désirs, de nos ardeurs, de nos espoirs, de nos chagrins... Ou encore, une proposition miraculeuse de fusion entre classicisme et avant-garde, sidérante de beauté plastique et de poésie... Les notes hypnotiques d'Angelo, la présence fragile et envoûtante de deux anges sublimes tombés du ciel, les larmes des deux filles au Silencio qui deviennent les miennes, la plus belle déclaration d'amour jamais captée sur un écran (ce "
I'm in love with you" d'une enivrante suavité qui hante régulièrement mes nuits), le raccourci à travers un sentier perdu sorti d'un conte de fées, le sourire ensoleillé de Betty qui répond à l'indicible détresse de Diane (mes amies, mes soeurs), et puis les visages des héroïnes flottant, bienheureuses, sur les lumières des rêves brisés. Âme marquée au fer rouge, je ne m'en remettrai jamais.
2. LE NOUVEAU MONDE (Terrence Malick, 2005)
Je n’osais en rêver, Terrence Malick l’a fait : retrouver, probablement, les cimes de sa
Ligne rouge, l‘un des plus beaux films que je connaisse. Les mots sont peu de choses face à la puissance, la beauté et la grâce de ce sublime opéra de l’intime, poème mystique et incantatoire conjuguant méditation, histoire d’amour et fresque historico-fantasmagorique, nouvelle œuvre totale où le souffle du vent répond au questionnement existentiel, où les expériences des personnages se gravent dans un cycle cosmique capté en un flux envoûtant qui enchante l’esprit autant qu’il serre le cœur. Qu’elle répète, curieuse et émerveillée, les mots de Smith ("Cheveux…", "Oreille…"), danse dans les hautes herbes ou croise en Angleterre le regard d’un Noir, déraciné comme elle, Q’orianka Kilcher y est la divine médiatrice de l’Univers et de la civilisation, l’héroïne superbe d’une initiation poignante et habitée. Entre une ouverture suffocante de lyrisme et une conclusion proprement extatique (les dernières minutes sont inscrites dans la postérité), Malick, qui devait s’appeler Dieu dans une autre vie, concentre toutes les forces du monde et de la vie en une bouleversante exaltation romantique, dont chaque image, chaque plan, chaque seconde tient du miracle.
3. PARLE AVEC ELLE (Pedro Almodovar, 2002)
Pedro Almodovar a atteint le sommet de son art avec ce magnifique labyrinthe des passions humaines, écheveau subtil qui entremêle quatre destinées et sublime le pouvoir de transmission, le don de soi, la puissance de l’amour fou avec une éloquence et une audace qui neutralisent toute ambiguïté morale. La démesure des sentiments s’y épanche dans une photographie charnelle, le mélo le plus pur s’y mêle à une douceur infinie : à des kilomètres de sa période movida, Almo porte ici le (grand) art de l’émotion à son zénith.
4. IN THE MOOD FOR LOVE (Wong Kar-wai, 2000)
Ruelles pluvieuses où se frôlent Maggie Cheung et Tony Leung, ralentis sensuels, leitmotiv ensorcelant : les images de l’avant-dernier film de Wong Kar-wai sont célèbres, elles sont l’expression ardente d’une langueur amoureuse que le cinéaste explore jusque dans ses variations infinitésimales et ses virtualités rêvées. Drame immémorial dont la splendeur esthétique et la virtuosité formelle renvoient aux tropismes déchirants des protagonistes, le filme culmine lors du secret final chuchoté dans les ruines du temple d’Angkor.
Juste une parenthèse : les quatre films qui dominent ce palmarès sont pour moi les plus belles histoires d’amour offertes par le cinéma ces dernières années. Hasard ou pas, je n’en sais rien, c’est juste une constatation...
5. YI YI (Edward Yang, 2000)
Taipei, magnifiquement filmée, est au centre de cette harmonieuse et foisonnante chronique impressionniste, injustement méconnue aujourd’hui, avec laquelle Edward Yang, en un mouvement aussi ample que délicat, embrasse tous les âges, toutes les émotions, tous les doutes, peines et joies du grand cycle de la vie. Peu de films atteignent l’authenticité et l’émotion de cette quasi-cosmogonie, d’autant plus éblouissante qu’elle vibre, y compris dans ses moments les plus graves, de la plus infinie légèreté.
6. LA CHAMBRE DU FILS (Nanni Moretti, 2001)
La fragile alchimie du film de Moretti tient à un équilibre délicat : il ne s’éloigne à aucun moment de l’analyse feutrée du travail de deuil (ce qui procède d’une démarche intellectuelle) tout en permettant une empathie totale pour le drame vécu par ses personnages. Superbe de pudeur, de tact et de justesse, fuyant le pathos mais restituant au plus près une affliction semblant insurmontable, ce film de peine et de souffrance s’achève pourtant sur une impression de nouveau départ, magnifique de sérénité.
7. LE PIANISTE (Roman Polanski, 2002)
Exemple rare de la rencontre entre un cinéma universel, apportant sa pierre à l’indispensable devoir de mémoire, et les démons d’un artiste qui puise au plus profond de lui-même pour synthétiser toutes les obsessions qui l’habitent depuis ses débuts. Si Polanski souscrit à un classicisme rigoureux et pudique pour évoquer l’horreur de la Shoah, c’est pour mieux révéler les béances d’une angoisse métaphysique que la solitude et le dénuement de Spilzmann (extraordinaire Adrien Brody) expriment avec une poignante intensité.
8. REVELATIONS (Michael Mann, 1999)
Retour du grand cinéma d’investigation sous la houlette de Michael Mann. Résultat : une densité thématique et dramatique qui pourrait alimenter vingt films, l’ampleur d’une fresque exaltante, une réalisation atteignant des sommets d’élégance et de précision et une forme de lyrisme mélancolique dans les parcours de ses héros, sacrifiés par leur combat et leurs convictions morales. A la fin, lorsque la voix de Lisa Gerrard accompagne la victoire amère de Pacino et Crowe (prodigieux acteurs),
Révélations atteint une véritable grandeur. Le chef-d’œuvre du cinéaste.
9. 21 GRAMMES (Alejandro Gonzalez Iñarritu, 2003)
Amour, foi, culpabilité, vengeance, rédemption : le strict est chargé, mais le brio avec lequel Iñarritu évite les écueils du pensum philosophico-plombant est proportionnel à la puissance émotionnelle de son film. C’est main dans la main que l’on accompagne ces personnages aux destins fracassés, portés par trois comédiens au-delà d‘eux-mêmes, qui disent tout de la fragilité des existences. Bouleversant.
10. MILLION DOLLAR BABY (Clint Eastwood, 2004)
S’il devait un jour déboucher sur l’œuvre ultime, le classicisme du cinéma américain, dans ce qu’il a de plus noble et de plus puissant, pourrait donner cette œuvre souveraine : autant que le film définitif sur la filiation et la transmission, un mélo d’une douleur infinie qui stigmatise les revers des rêves accomplis et les insoutenables blessures des êtres. Hilary Swank, Clint Eastwood et Morgan Freeman sont grandioses.
11. PRINCESSE MONONOKE (Hayao Miyazaki, 1997)
Démons et merveilles d’un folklore nippon millénaire, bruit et fureur des fresques à la Kurosawa, préoccupations écologiques, philosophiques, initiatiques d’un auteur au sommet de son génie. Miyazaki offre ici la quintessence de son univers, une œuvre-somme qui émerveille par la splendeur de son graphisme, la densité de ses pistes de réflexion, le souffle de sa mise en scène. Un monument.
12. MYSTIC RIVER (Clint Eastwood, 2003)
Ou l’histoire de l’Amérique enchâssée dans les destins de trois personnages complexes, figures de proue d’une tragédie déguisée en thriller noir comme la nuit. Admirable variation sur la culpabilité, la violence, les racines du mal, peinture sociale qui retrouve les plus grands classiques du genre, le film d’Eastwood est de ceux dont la maîtrise absolue et la puissance dramatique imposent le respect.
13. TOY STORY 2 (John Lasseter, 1999)
Les magiciens de Pixar au sommet de leur art, ou la concrétisation d’un cinéma de divertissement à son apogée, étourdissant d’intelligence et de virtuosité. Personnages fabuleux, clins d’œil en guirlande, rythme époustouflant, réflexions cruciales toujours empruntes de légèreté aérienne, mariage miraculeux d’humour, de tendresse, d’émotion : une heure et demie de jubilation pure, dont on ressort dans un état proche de l‘euphorie. A voir et à revoir.
14. GERRY (Gus Vant Sant, 2002)
L’horizon, le soleil, le désert, et deux potes perdus entre ces trois pôles, lignes de force d’une œuvre scotchante qui envoie aux orties absolument toutes les règles cinématographiques en vigueur. Si Gus Van Sant pousse l’expérience jusqu’à l’ascèse (ou plus exactement la pureté), c’est pour provoquer chez le spectateur la plus stimulante des remises en question. L’hypnose qui en résulte vaut tout l’or du monde.
15. SIGNES (M. Night Shyamalan, 2002)
Shyamalan est un conteur tellement fortiche qu’il se permet de raconter une invasion E.T. en restant confiné dans une ferme de Pennsylvanie. Avec ses images de velours, sa technique impériale et sa sensibilité à nulle autre pareille, le magicien nous livre un très grand film sur la foi, le doute, la destinée, l’importance du choix, au carrefour du suspense hitchcockien et de la réflexion métaphysique.
16. ELEPHANT (Gus Van Sant, 2003)
Le massacre de Columbine à travers le regard d’un auteur qui interroge bien plus qu’il n’explique et qui fait de ses personnages, archanges d’une adolescence sublimée, les victimes d’un désastre abyssal. Rêverie d’abord éthérée puis glaçante, la Palme d’Or 2003 s’impose non seulement comme un manifeste esthétique, mais aussi comme l’expression radicale d’un cinéma qui refuse toute facilité moralisatrice.
17. MAN ON THE MOON (Milos Forman, 1999)
Andy Kaufman était-il fou, génial, incompris, stupide, inconscient, visionnaire, régressif ? Milos Forman illustre le mystère, avec l’appui d’un Jim Carrey phénoménal. Stupéfiante mise en abyme des vertiges de la représentation, du faux-semblant et de la manipulation, ce film, à des kilomètres du biopic hollywoodien, bat des records d’intelligence et de subtilité, véhiculant autant la jubilation que la fascination.
18. LE VOYAGE DE CHIHIRO (Hayao Miyazaki, 2001)
On regarde ça les yeux écarquillés, abasourdi par l’inventivité luxuriante de son auteur. Vieillard aux six bras veillant sur ses boules de suie, train filant sur un océan infini, têtes baladeuses aux borborygmes incompréhensibles : Miyazaki extrait de son imaginaire unique le plus effervescent merveilleux de l’enfance, et parle en poète d’initiation, d’accomplissement, d’épreuves surmontées...
19. L'ESQUIVE (Abdellatif Kechiche, 2003)
Marivaux chez les jeunes de banlieue, ou comment faire jaillir la vérité la plus brute de la collision improbable des contraires. Verve électrique de la peinture sociale, authenticité étonnante des situations et des dialogues, intelligence de la dialectique réel/représentation, humour décapant que ne désamorce jamais la gravité du sujet : Abdellatif Kechiche a frappé très fort.
20. THE YARDS (James Gray, 2000)
Six ans après
Little Odessa, le prodige du ciné américain revient au film noir et en extrait la substance la plus limpide et la plus poignante. Belle et implacable comme une tragédie antique, sertie dans une somptueuse photographie en clair-obscur, portée par des comédiens souverains, une œuvre d’une maîtrise admirable, portant indiscutablement la marque d’un auteur singulier.
Et un peu de rab...
21. Rois et reine (Arnaud Desplechin, 2004)
22. L'homme sans passé (Aki Kaurismäki, 2002)
23. Virgin suicides (Sofia Coppola, 1999)
24. Lost in translation (Sofia Coppola, 2003)
25. Coeurs (Alain Resnais, 2006)
26. Hotel Rwanda (Terry George, 2004)
27. De battre mon cœur s’est arrêté (Jacques Audiard, 2005)
28. Match point (Woody Allen, 2005)
29. Volver (Pedro Almodovar, 2006)
30. Loin du paradis (Todd Haynes, 2002)
31. A history of violence (David Cronenberg, 2005)
32. Harry, un ami qui vous veut du bien (Dominik Moll, 2000)
33. Spider (David Cronenberg, 2002)
34. Le seigneur des anneaux, trilogie (Peter Jackson, 2001, 2002, 2003)
35. Traffic (Steven Soderbergh, 2000)
36. Chicago (Rob Marshall, 2002)
37. The barber (Joel Coen, 2001)
38. Saraband (Ingmar Bergman, 2003)
39. Gangs of New York (Martin Scorsese, 2002)
40. Minority report (Steven Spielberg, 2002)
41. 2046 (Wong Kar-wai, 2004)
42. La guerre des mondes (Steven Spielberg, 2005)
Je m'arrête à 42. Pas 43, non, 42.