Coup de fouet en retour (Backlash - 1956) de John Struges
UNIVERSAL
Avec Richard Widmard, Donna Reed, John McIntire, William Campbell
Scénario : Borden Chase
Musique : Herman Stein
Photographie : Irving Glassberg (Technicolor 1.37)
Un film produit par Aaron Rosenberg pour la Universal
Sortie USA : 11 avril
Aujourd'hui surtout réputé pour ses westerns, John Sturges avait pourtant déjà plus de 20 films à son compteur lorsqu'il tourna
Backlash qui n'est seulement que sa deuxième incursion dans le genre, si l'on ne prend pas en compte ni le médiocre
The Walking Hills (Les Aventuriers du désert) ni le superbe
Bad Day at Black Rock (Un Homme est passé), l'intrigue des deux films se déroulant à peu près à la date de leur tournage, c'est à dire dans la deuxième moitié du 20ème siècle. On a un peu trop eu tendance à lire à propos de
Coup de fouet en retour qu'il s'agirait d'un des premiers 'sur-western', à savoir un western à tendance psychologique et psychanalytique. A posteriori, c'est tout à fait exagéré : d'une part puisqu'il y eut déjà auparavant bien d'autres titres (et non des moindres) à aborder des thématiques identiques, celles de la recherche du père, du problème de conscience qui se pose lorsque la vérité se fait jour et qu'elle va à l'encontre de ce à quoi l'on s'attendait, etc. (je n'en dirais pas plus afin de ne pas trop spoiler l'histoire) ; de l'autre puisque tout simplement
Backlash est avant tout un film de série B rempli d'action et de retournements de situations mais dont l'axe psychanalytique ne tient quand même à pas grand chose. A vrai dire la vérité cachée qui est à l'origine de la quête de notre héros révèle plus d'un 'whodunit' à la Hitchcock que du départ d'une réflexion psychologique pointue et passionnante. Bref, il ne faudrait juste pas d'emblée s'attendre à un grand western adulte au risque d'être déçu : rien que pour ce début d'année 1956, des films comme
La Prisonnière du désert (The Searchers) de John Ford,
La Loi de la prairie (Tribute to a Bad Man) de Robert Wise ou
L'Homme de nulle part (Jubal) de Delmer Daves pouvaient se targuer d'aller bien plus loin dans cette voie de la maturité. Quoiqu'il en soit,
Backlash (un titre anglais qui claque bien), sorte d'enquête en milieu westernien, est un film qui file à toute vitesse et qui s'avère très agréable à regarder ; seulement pour un western Universal produit par Aaron Rosenberg (on se rappelle surtout de ceux d'Anthony Mann avec James Stewart), on pouvait espérer mieux surtout que, concernant John Sturges, nous en étions restés sur le formidable
Fort Bravo, western MGM d'une toute autre envergure.

1870, Arizona. Jim Slater (Richard Widmark), ancien soldat confédéré, cherche des informations à propos de ce qui s'est passé à Gila-Valley où il a perdu les traces d'un père qu'il n'a d'ailleurs jamais connu. A cet endroit, un groupe de six prospecteurs ayant débusqué un filon de 60,000 dollars s'est retrouvé pris en embuscade par les Apaches, cinq d'entre eux ayant trouvé la mort à cette occasion. Il semblerait que le sixième, au lieu de chercher du renfort comme il avait pour mission de le faire, aurait laissé ses compagnons périr afin de récupérer pour lui seul les dollars. Au moment où débute le film, Slater est en train de déterrer les corps ensevelis afin d'essayer de les identifier et peut-être découvrir la vérité sur ce qui est réellement survenu. Arrive Karyl Orton (Donna Reed) dont l'époux faisait partie du groupe et qui souhaite récupérer sa part du butin. Surgit également un troisième larron qui tente de les abattre mais que Jim réussit à mettre hors d'état de nuire. Il s'agit d'un assistant du shérif de Silver City, le frère d'un des six hommes du groupe de Gila-Valley. Jim et Karyl décident de le ramener en ville où le shérif leur ordonne sans attendre de quitter sa paisible cité non sans leur avoir donné le nom du soldat ayant mis en terre les hommes massacrés. Les voilà partis à sa recherche ; ils le retrouvent dans un relais de diligence assiégés par les Apaches. Avant de mourir d'une flèche indienne, le Sergent Lake (Barton MacLane) aura eu le temps de donner de nouvelles informations à Jim afin qu'il puisse poursuivre sa quête qui le mènera au Texas au milieu d'une guerre fratricide entre gros ranchers. Outre découvrir la vérité, ce que Jim souhaite avant tout c'est se venger du traître qui aurait abandonné son père à une mort certaine. Il n'est pas au bout de ses surprises car l'identité des morts n'est encore pas clairement établie et les 60,000 dollars ont disparu...

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My father was killed at Gila Valley, and I'm going to find the man who murdered him" dira Jim Slater, le personnage inteprété par le toujours aussi talentueux Richard Widmark. Voilà le départ de l'intrigue de
Backlash et son enjeu principal. Au départ, un groupe de six détenteurs de la somme non négligeable de 60,000 dollars : après un raid indien, cinq morts enterrés dans les ruines d'une cabane brûlée et un survivant s'étant échappé avec le butin. Jim Slater n'a plus qu'une idée en tête, retouver et tuer le traitre, celui qui était censé chercher du renfort lors de l'assaut du groupe par les Apaches mais qui a préféré prendre la poudre d'escampette. On connait le nom de trois des cinq hommes morts mais le mystère reste entier concernant les deux autres, trop mutilés et donc impossible à identifier. Cinq morts, trois d'entre eux identifiés ! Qui des trois autres est le survivant entre le fils d'un grand rancher texan, le père de Jim Slater ou le mari de Karyl Orton ? C'est cette quête de la vérité et de l'argent disparu qui va faire voyager nos deux personnages principaux de l'Arizona au Texas. Un western qui débute de la plus belle des manières : le thème musical principal composé par Herman Stein est une pure merveille : intense, dramatique et tourmenté. Dans sa représentation du western, un thème presque aussi définitif que celui écrit par Hans J. Salter pour
Les Affameurs. Il nous met immédiatement dans l'ambiance et la première séquence, nous plongeant directement dans l'action, s'avère remarquable. Pourquoi, alors que Jim et Karyl sont réunis à l'endroit où les cadavres sont enterrés, le frère d'une des victimes cherche à les tuer ? Nous ne le saurons jamais mais qu'importe ; ce personnage aura permis d'emblée de nous offrir une scène magistrale, presque aussi réussie que les meilleures de
Fort Bravo et qui rappelle fortement la dernière séquence de
Winchester 73, l'affrontement dans un duel à mort en un endroit désertique, rocheux et montagneux. Où Sturges nous démontre qu'il n'avait rien perdu de son génie de l'appréhension de l'espace et de la topographie ! Une séquence pleine de suspense, parfaitement découpée et sublimement filmée.
Le film de Sturges partage d'ailleurs d'autres similitudes avec le premier western de l'association Mann/Stewart. La construction du récit par Borden Chase (scénariste des deux films) est assez similaire même si dans
Backlash les personnages principaux resteront les mêmes jusqu'au bout alors que dans
Winchester 73, c'était le fusil du titre qui passait de main en main. Mais, dans l'un comme dans l'autre, le film passe d'un endroit à l'autre d'une manière assez théâtrâle, dans le Sturges au fur et à mesure des indices récoltées par les deux personnages. Alors que ça semblait très fluide dans le film de Mann, la structure du récit parait parfois ici un peu artificielle, sorte de jeu de piste un peu schématique et systématique empêchant le spectateur d'y être totalement immergé et le film de prendre l'ampleur qu'il aurait mérité. Mais le défaut est néanmoins minime et ne nous empêche pas de prendre beaucoup de plaisir à la vision de ce western qui peut ainsi se décliner en plusieurs tableaux, plusieurs actes comme au théâtre. Après le prologue prometteur se déroulant à Gila-Valley et qui voit la rencontre entre Jim et Karyl puis qui se solde par la mort du tireur mystérieux, retour à Silver City où Jim apprend le nom du soldat ayant enterré les cinq cadavres. Le tableau suivant prendra place à nouveau au milieu du désert de l'Arizona avec pour commencer une poursuite de diligence par les indiens qui, de par son efficacité et ses cascadeurs chevronnés, n'a pas à rougir de la comparaison avec les meilleurs séquences d'action d'un Raoul Walsh, d'un John Ford ou d'un Michael Curtiz. Et puis, production Universal oblige, aucune transparence, aucun gros plan sur les acteurs en studio ne viennent nous gâcher le plaisir comme c'était souvent le cas à la Warner par exemple. S'ensuit un petit quart d'heure ayant lieu au sein d'un relais de diligence cerné de toutes parts par les indiens ; pas grand chose à en dire pas plus que de la manière dont le petit groupe s'en sortira. Puis nous arrivons à Tucson où les deux frères de l'homme que Jim a tué au départ l'attendent pour se venger. Tendez bien les oreilles ; à un moment donné, un détail cocasse qui a probablement échappé au monteur et au réalisateur, durant deux petites secondes le rire suraigu et totalement surréaliste de l'acteur Harry Morgan ; assez étonnant !

Ayant réussis à échapper aux inquiétants 'vengeurs' avec une petite blessure à l'épaule pour Jim, nos deux héros se retrouvent à dormir ensemble à la belle étoile ; ce qui donne lieu à une séquence assez émoustillante, celle au cours de laquelle Donna Reed quitte son chemisier pour en faire un bandage à son compagnon de route. Dialogues assez croustillants qui s'ensuit avec pas mal de sous entendus sexuels alors que la charmante actrice n'a pas encore recouvert ses affriolants sous-vêtements. Une scène vraiment réussie que cet interlude romantique en diable à la lueur du feu de camp. Enfin, nos deux voyageurs arrivent au Texas pour l'assez long dernier acte qui se décline en deux tableaux dont la coupure se situe au moment du dévoilement de l'identité de l'homme recherché depuis le début du film. Lors de cette dernière partie, Karyl et Jim se trouvent d'un coup plongés en plein milieu d'une guerre virulente entre gros ranchers dont l'un d'entre eux serait le fugitif de Gila-Valley, puisqu'arrivé récemment dans la région avec 60.000 dollars en poche. Après les deux premiers tiers façon enquête et film noir, le dernier revient à des situations de western bien plus conventionnelles et surtout déjà vues et revues. Après un coup de théâtre qui dévoile sans tarder une quatrième identité, il va de soi désormais que le traitre est soit l'époux de Karyl, soit le père de Jim. Toutes les questions que l'on se posait se trouveront alors résolues, tous les mystère autour de l'affaire Gila-Valleys levés. Et c'est seulement à ce moment là que la fameuse psychanalyse tiendra un petit rôle ; vraiment tout petit car l'un des personnages ne se posera des problèmes de conscience que le temps de quelques minutes très restreintes. La résolution de l'affaire se révèlera on ne peut plus banale surtout que les spectateurs avaient certainement tous plus ou moins devinés où les auteurs allaient les emmener. Mais la présence au bout d'une heure de film du toujours excellent John McIntire (souvenez vous entre autre du 'bad Guy' dans
Je suis un aventurier – The Far Country d'Anthony Mann) arrive à nous faire oublier la relative déception que constitue ce dernier acte qui nous prive également d'une épique bataille pourtant attendue entre deux groupes de ranchers ennemis allant se rencontrer au centre ville.
Dans cette section finale, il nous faut supporter aussi William Campbell, aussi caricatural et pénible en jeune pistolero au sang chaud que dans
L'homme qui n'a pas d'étoiles (The Man without a Star) de King Vidor. Il s'agit d'ailleurs du seul point faible de la distribution, à cette exception parfaite. A commencer par un Richard Widmark égal à lui-même dans la peau de cet homme à la recherche de son père et de sa propre identité, vigoureux, entreprenant et déterminé, qui n'a pas froid aux yeux et qui ne passe pas par quatre chemins y compris avec les femmes ; ces dernières ne se laissent d'ailleurs pas faire et notamment le personnage joué par Donna Reed qui nous venge de bien des protagonistes féminins souvent bien ternes au sein du genre. De plus, dans le film de Sturges, à l'inverse de beaucoup avant elle, Karyl semble plus intéressé par l'argent que par le sort et le souvenir de son défunt mari. La comédienne, somptueusement belle qu'elle soit habillée en pantalon ou en robe, montre également beaucoup de talent dramatique. Le western lui sied décidément à merveille puisqu'elle était déjà très bien dans
Bataille sans merci (Gun Fury) de Raoul Walsh, mais surtout dans l'excellent
Le Relais de l'or maudit (Hangman's Knot) de Roy Huggins. Outre John McIntire (dont nous avons déjà touché deux mots), tous les autres seconds rôles sont parfaitement bien choisis. Tout comme les paysages naturels avec entre autres ces immenses plaines parsemées de cactus ou bien cette colline rocheuse où se déroule le premier affrontement au revolver. Le tout magnifiquement photographié par Irving Glassberg dans un Technicolor chaud, brillant et rutilant. Enfin, même si John Sturges a été et sera plus inspiré dans sa mise en scène, il nous délivre quelques séquences d'action très virtuoses et n'a toujours pas son pareil quant il s'agit de placer ses personnages dans le cadre, de faire prendre à ses comédiens des attitudes et des démarches qui nous resteront longtemps en tête. Un western de série trépidant aux nombreuses péripéties, bien interprété et très correctement mis en scène mais qui pêche un peu par un scénario morcelé, une écriture parfois répétitive et téléphonée. Même si le scénario de Borden Chase est assez malin et souvent palpitant, l'auteur nous a habitué à tellement mieux (avec des enjeux tout autres) que la déception est presque obligatoire. Néanmoins, ne nous y trompons pas, un très bon western.

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Le film se trouven en zone 2 chez Sidonis. VF, VOST et une très belle copie.
A suivre : La Dernière chasse (The Last Hunt) de Richard Brooks avec Robert Taylor et Stewart Granger