Un nvité a écrit : ↑23 oct. 23, 19:57
Pour moi c'est aussi sur le scénario que le bât blesse. Je pense qu'il aurait pas dû travailler avec Eric Roth qui n'est pas un type très intéressant. Quand c'est avec Nicholas Pileggi par exemple, on voit tout de suite la différence. C'est beaucoup mieux écrit au niveau des dialogues et c'est pleins de petites trouvailles scénaristiques. Là c'est quand même assez plat dans l'ensemble. Par exemple, ça aurait été plus intéressant à mon avis qu'il y ait un réglement de compte entre Di Caprio et De Niro. Un conflit, qui aurait un peu relancé la dramaturgie plutôt que ce procès barbant
C'est très intéressant ce que tu dis.
Mais je crois que ça dit beaucoup non seulement sur ce que les détracteurs (plus ou moins désobligeants) avancent mais aussi sur une certaine rupture, dans l'œuvre de Scorsese et de ce que l'on perçoit d'elle, que je qualifierais de "post-Casino".
On est nombreux à l'avoir ressentie. Je croisais quelqu'un, en 2006 quand sortait
The Departed, qui me dit :
"J'aime pas l'évolution de l'esthétique Scorsese". Il n'eut aucun besoin d'ajouter quoique ce soit : je pigeais ce qu'il voulait dire.
Certes
Les Nerfs à vif avait foutu les jetons, au mauvais sens du terme, en 1992 mais on savait qu'il s'agissait là d'une passade commerciale. On l'oublie aussi maintenant (et cet oubli est significatif) mais à sa sortie,
Le Temps de l'innocence n'avait pas emballé grand monde, moi le premier (j'ai appris à l'aimer depuis). Mais on se disait, à juste titre, qu'il s'essayait à autre chose, qu'il "cherchait". Le sentiment positif du
work in progress était là, malgré tout.
Puis, trois ans plus tard (mars 1996) sortait le très très attendu
Casino. En ce qui me concerne : pas l'once d'une déception. Le film dépassait mes attentes, je criais grâce.
Pourquoi? Parce que j'y trouvais tout ce que j'aimais chez le cinéaste mais en plus grand, plus fou, plus dur. Une œuvre sur laquelle j'avais peu de prise tellement je la trouvais puissante, tellement l'effondrement de cette cathédrale du crime emmenait avec lui celui d'un couple et que l'on en ressentait l'exaltation que provoquent les grands et beaux sujets. C'était à la fois sublime et désespérant d'assister à la déchéance de Sharon Stone, dans son plus grand rôle.
Oui, ce scénario fascinait. Et presque inconsciemment, on se disait que Scorsese ne ferait plus jamais aussi fort. Pour ma part, je suis obligé de dire "inconsciemment" car à chaque nouvelle sortie, et fort candidement, je n'ai jamais cessé d'attendre l'équivalent, en vain.
Scorsese était passé de l'autre côté de sa puissance créative. Il allait juste continuer d'être un cinéaste passionnant mais moins libre (
Casino fut un échec), toujours prestigieux mais tributaire d'un autre organigramme.
Dans mon souvenir de sortie,
Casino déboulait de la même manière qu'avait déboulé
Raging Bull, comme un ouragan. Et ce fut fini. Chaque Scorsese nouveau, aussi inventif, aussi excitant qu'il put être, ne réitérait plus la fraicheur convulsive que parachevait
Casino : celle de
Taxi Driver, d
'After Hours, de
King of Comedy, de
Color of Money. On était passé à autre chose, aux grosses productions iconoclastes, avec leurs décors dantesques et leurs effets spéciaux.
Fort bien, j'an ai pris acte et y ai trouvé ma pitance. Mais c'est pour dire..
Là où je veux en venir, c'est que je subodore que d'aucuns n'ont jamais digéré cette rupture. Entre nous, ça avait peut-être déjà commencé avec
Goodfellas chez certains mais pas du côté de la critique et personne ne songeait à nier qu'il s'agissait là du film de gangsters le plus génial de l'Histoire. Au pire, ça ne rentrait pas dans la grille de lecture.
Scorsese, qui n'est pas le dernier des imbéciles et qui doit pertinemment savoir, malgré son goût du luxe, sa ou ses vanités, que son cinéma, qui n'a jamais été étanche aux impuretés, est sujet ici ou là, aux boursouflures de toutes sortes, et conscient que les collaborations avec des scénaristes tels que Paul Schrader ou Nicholas Pileggi sont révolues, a opté, en confectionnant sa superproduction Apple, pour une stylistique aussi foisonnante que d'habitude mais camouflée dans les plis et replis de la narration, à l'instar des loups sournois qui peuplent son film.
La forme s'accorde au sujet. Peu importe dès lors que cela soit un accommodement plus ou moins repéré.
Que l'on permette d'estimer que dans la nouvelle manière qui est celle de Scorsese depuis 1995,
Killers of the Flower Moon constitue ce qu'il y a de meilleur.
Et Scorsese a lui aussi le droit d'être un vieux loup tapi dans le paysage audiovisuel contemporain.