L'homme aux colts d'or (Warlock - 1959) de Edward Dmytryk
20TH CENTURY FOX
Avec Henry Fonda, Richard Widmark, Anthony Quinn, Dorothy Malone
Scénario : Robert Alan Aurthur d'après un roman de Oakley Hall
Musique : Leigh Harline
Photographie : Joseph MacDonald (DeLuxe 2.35)
Un film produit par Edward Dmytryk pour la 20th Century Fox
Sortie USA : 01 avril 1959
La petite ville minière de Warlock est terrorisée par les cow-boys d'Abe McQuown (Tom Drake), ce dernier faisant peser son joug sur la cité depuis un certain temps. A chaque venue des cow-boys du ranch San Pablo en ville, la violence éclate. Ce jour-là, ils font fuir le nouveau shérif après l’avoir humilié devant toute la population, terrée derrière ses fenêtres. En effet, la peur que ces hommes font naître aboutit à ce que personne n’intervient jamais, chacun étant trop soucieux de rester en vie. Pour que cela cesse, les habitants décident donc de faire appel à un célèbre as de la gâchette, Clay Blaisdell (Henry Fonda). Ce dernier arrive peu de temps après en compagnie de son ami et associé Tom Morgan (Anthony Quinn). Après que le comité des citoyens se soit réuni, il est décidé que Clay aura les mains libres pour mettre fin aux agissements de McQuown et de ses turbulents cow-boys. Blaisdell remet assez rapidement de l’ordre dans la petite bourgade mais les citoyens qui ont loué ses services commencent à ne plus beaucoup apprécier sa présence, les méthodes employées n’étant guère plus honorables que celles de ses ennemis et aayant peur qu'il prenne à son tour les rênes de leur ville. On espère désormais vite s’en débarrasser d’autant qu’un nouveau shérif a été entre temps recruté dans les règles, le jeune Johnny Gannon (Richard Widmark), ex-membre repenti de la bande du San Pablo. Gannon compte faire respecter la loi coûte que coûte, devant pour se faire s'opposer à la fois à ses anciens acolytes ainsi qu'au nouvel ordre instauré par le 'régulateur' Blaisdell…

Au sein cette description de l’intrigue, n’ont été abordés ni les personnages féminins, ni les seconds rôles, ni même les relations complexes qui existent ou se tissent entre les différents protagonistes. Autant dire la richesse du scénario signé Robert Alan Aurthur, parait-il très fidèle au roman de Oakley Hall, traduit tout récemment pour la France. Doit-on utiliser les même procédés que des assassins pour faire régner le fameux ‘Law and Order’ ? Si une telle réflexion sur la loi, l’ordre et la justice a déjà été mise à l’honneur à de nombreuses reprises durant cette décennie et avec au moins autant d’intelligence (
Wichita de Jacques Tourneur,
The Proud Ones de Robert D. Webb…), le film de Dmytryk s’en démarque par la mise sur le devant de la scène de trois protagonistes principaux d’égal importance et les relations passionnantes qui les unissent. Aux États-Unis, nous ne sommes que le 1er avril le jour de la sortie du film dans les salles ; les passionnés de western devaient alors probablement se dire qu’ils assistaient à un cru 1959 exceptionnel en la matière. Si le nombre de western produit a légèrement baissé, qualitativement, le millésime1959 s’annonce donc brillant, bien plus gouteux en tout cas que le précédent. Jamais plus ensuite les aficionados n’auront la chance de voir autant de bons westerns en une seule année. Jugez plutôt après seulement un trimestre de westerns ! Après
Good Day for a Hanging, le meilleur western de Nathan Juran (qui avait pourtant déjà deux ou trois très belles réussites à son actif), les amateurs allaient encore découvrir la dernière incursion de Delmer Daves dans le genre (l’intrigant
La Colline des potences), un honnête cru Jack Arnold (
Une Balle signée X), le fabuleux chef-d’œuvre de Budd Boetticher (
La Chevauchée de la vengeance), un western d'Howard Hawks allant devenir l’un des plus grands classiques du genre avec
Rio Bravo, et enfin allaient pouvoir constater que Michael Curtiz était encore capable de réaliser un western très attachant avec (
Le Bourreau du Nevada).
L’Homme aux colts d’or allait poursuivre cette excellente série ; il pourrait d’ailleurs s’agir du meilleur film de l’inégal Edward Dmytryk.
Après 20 années derrière la caméra et quelques 25 longs métrages à son actif, Edward Dmytryk réalise avec
Warlock son deuxième western. Voilà un cinéaste dont l’évolution de carrière demeure assez étrange (et je ne parle pas ici - ou très rapidement pour m’en débarrasser - de son adhésion au Parti Communiste, de sa mise à l’index par la Commission des Activités Anti-américaines, de son exil en Angleterre ni de ses dénonciations après avoir fait partie de la ‘liste des dix’ ; comme pour Elia Kazan, il y a désormais prescription et ces ‘frasques’ extra-cinématographiques ne devraient pas nous concerner lorsque l’on parle de leurs œuvres). Artistiquement parlant donc (après une bonne dizaine de films totalement inconnus), révélé en 1944 par
Adieu ma belle (
Murder My Sweet), film noir d’un baroquisme plastique assez délirant, on aurait pu croire que le cinéaste allait devenir l'un des grands formalistes hollywoodiens ; ce qui ne sera en définitive pas du tout le cas, beaucoup de ses films suivants sombrant souvent au contraire dans un académisme un peu pesant et ennuyeux ; et notamment dans la période qui sépare ses deux premiers westerns,
La Lance brisée et celui qui nous concerne ici. Dmytryk s'avèrera la plupart du temps un bon technicien et le faire-valoir de brillants interprètes (ici, non moins que Henry Fonda, Anthony Quinn, Dorothy Malone et Richard Widmark), sa direction d’acteur se révélant parfaite, mais pas un metteur en scène marquant. Ce qui donne pour résultat une filmographie pas forcément désagréable mais dont la plupart des titres ont du mal à nous passionner plus avant. Ses œuvres, souvent ambitieuses au départ, manquent pour une grande majorité d'entre elles d’ampleur, de rythme et plus globalement… de vie et de passion. Si j’ai longtemps fait la moue face également à
L’Homme aux colts d’or, j’estime désormais qu’il fait exception à la règle, l’appréciant de plus en plus au fur et à mesure des visions.

La richesse et la densité psychologique de l’écriture étant néanmoins le point fort du film, concentrons nous avant tout sur le scénario ainsi que sur ses trois protagonistes principaux. Attention donc aux spoilers ! Le film débute par l’arrivée d’une bande de cow-boys en ville, venant pour humilier son homme de loi et le faire fuir. Le patron de la bande, qui n’est autre qu’un rancher, s’est érigé en tyran local et ne supporte pas qu’un autre que lui domine la région ; chaque fois que sa totale liberté (qu’il estime légitime) est entravée par la nomination d’un nouveau shérif, il se charge de le faire déguerpir au plus vite. On devine dès les premiers plans que l’un des cow-boys se met un peu en retrait, ne supportant pas vraiment le comportement du groupe auquel il appartient ; il semble las de la dictature de son patron ainsi que des frasques de ses ‘collègues’ dont son frère cadet fait partie. Ce jeune homme, c’est Johnny Gannon, remarquablement interprété par Richard Widmark et qui, à partir du moment où débute le film (car son passé est extrêmement trouble), représente le seul protagoniste entièrement noble et positif du film, un personnage d’une extrême fragilité mais qui décide de dépasser ses peurs pour vaincre son sentiment de profonde culpabilité dû aux mauvaises actions commises durant ces dernières années. Après avoir assisté au meurtre de sang froid du barbier qui n’avait pourtant rien fait d’autre que d’érafler la joue d’un de ses clients, Gannon décide donc de ne plus rentrer au ranch ; le voilà qui erre dans les rues de la ville, témoin de tout ce qui va désormais s’y dérouler. Il se rend compte tout d’abord du ras-le-bol des citoyens qui, tenant avant tout à leur survie, plutôt que de s’insurger, préféraient jusque là rester cloitrés chez eux lorsque les cow-boys venaient ‘s’amuser’ en ville ; jusqu’au jour où, lassés par cette situation, par cette violence et cette insécurité, ils décident de faire appel à un justicier itinérant, célèbre pour avoir déjà nettoyé de nombreuses autres bourgades.

Cet homme aux méthodes expéditives, il s’agit de Blaisdell, interprété avec une très grande classe par Henry Fonda que l’on regrette de n’avoir pas croisé plus souvent dans le genre. Une espèce de tueur à gages froid et résolu qui ne correspond plus vraiment à son époque et qui en est conscient ; il sent qu’il s’agit d’une des dernières villes qu’il aura à épurer avant que l’avancée de la civilisation vienne faire d’elle-même place nette. Mais il n’a à vrai dire plus vraiment besoin de ‘travailler’, sa fortune étant désormais faite : un vrai prince de l’élégance vivant sans vergogne dans le luxe, prenant ainsi le risque que les simples citoyens en conçoivent une certaine jalousie. Accueilli néanmoins comme un héros, il prévient d’emblée l’ensemble des habitants qu’ils risquent de ne plus le considérer comme tel dans quelques jours : "
d’abord, vous êtes content parce qu’il n’y a plus de bagarres. Ensuite une chose étrange se produit : vous commencez à me trouver trop puissant et à me craindre. Pas moi, mais ce que je représente. Quand cela arrivera, cela voudra dire que nous aurons trouvé satisfaction mutuelle, et il sera alors temps pour moi de partir". En gros, ayant vécu la même évolution partout où il est passé, le personnage nous raconte à l’avance ce qui va se dérouler par la suite dans le courant du film. Son cynisme de façade cache néanmoins une belle sensibilité, capable d’arrêter un lynchage, de concevoir une amitié très forte et d’éprouver des sentiments amoureux (ici pour la splendide Dorothy Michaels dont le rôle est malheureusement un peu trop sacrifié, tout comme celui de Dorothy Malone, les deux personnages féminins s’avérant néanmoins très beaux). Mais, n’obéissant qu’à ses propres règles en marge de la loi, tout comme ceux contre lesquels il lutte, il va se trouver confronté à un nouveau shérif qui lui, n’accomplit sa tâche que dans l’intérêt de ses concitoyens et de la justice, voyant d’un mauvais œil la mainmise de Blaisdell sur la ville après qu’il ait en partie réussi à rétablir l’ordre. Et ce nouvel homme de loi n’est autre que celui qui possède un sens moral plus développé que les autres, Johnny Gannon, le seul à s’être porté volontaire à ce poste dangereux. Se sentant toujours coupable d’une action atroce commise du temps où il suivait son gang (fait qu’il raconte dans la superbe scène du déjeuner avec Dorothy Malone), il décide d’accomplir sa propre rédemption en se donnant corps et âme à sa ville avec un courage quasiment suicidaire, mettant un point d’honneur à servir la ‘véritable’ loi, porté par une inextinguible soif de justice morale.

Partout où il se rend 'faire son nettoyage', l’élégant et charismatique Blaisdell est accompagné par son ami et associé de toujours, un homme réputé (à tort ?) pour sa méchanceté et affaibli par un pied bot, Tom Morgan, fabuleux Anthony Quinn qui aura eu une sacré belle filmographie westernienne. Lui aussi est un homme qui s’est enrichi grâce à l’assainissement des villes polluées par ‘la racaille’ ; il a tellement d’argent qu’il n’hésite d’ailleurs pas à acheter le saloon à chacune de ses venues dans une ville nouvelle ; car si c’est Blaisdell qui prend les décisions quant à ce travail spécifique de nettoyeur, Tom, tout en gérant les établissements de jeu acquis en un tournemain, lui aussi très fine gâchette sans trop de scrupules, se fait un plaisir de l’aider à éradiquer les ‘bandits’, non par altruisme mais pour entretenir la légende de son ‘héros’. La relation entre les deux hommes est d'ailleurs captivante ; si certains (beaucoup même) ont parlé d’homosexualité, j’y vois plutôt une adoration qui ressemblera plus tard à celle des fans de telles ou telles stars du showbiz. Morgan fait tout pour que Blaisdell soit considéré comme un 'dieu' partout où il passe : il ne supporte pas que l’on s’interpose ou que l’on vienne lui prêter main forte si c’est pour que l’importun en sorte grandi au dépens de son idole qu’il considère comme une légende vivante. Il n’accepte pas plus qu’une femme vienne le lui enlever, risquant ainsi de mettre fin à leur association qui semble être la seule chose qui compte désormais pour lui. D’où vient cette idolâtrie ? Du fait, comme il le dit à plusieurs reprises, que Blaisdell est le seul à ne pas voir en lui un infirme ; ni plus ni moins ! Une homosexualité latente, pourquoi pas, sauf que je ne reviendrais pas dessus n’y croyant pour ma part pas une seule seconde. Quoiqu'il en soit, et comme nous le pressentons dès le départ au vu du caractère trop bouillonnant de ce personnage, Tom connaitra un destin tragique lors d’une séquence absolument splendide de tension et d’émotion.

Outre ces trois personnages, on trouve donc deux femmes sous-employées mais loin d’être pour autant inintéressantes ; l’une (Dorothy Malone), ex-saloon gal, est venue en ville dans le but de mettre fin aux jours de Blaisdell pour avoir autrefois tué son fiancée et que l’on devine avoir été la maitresse de Tom Morgan ; l’autre (Dorothy Michaels) tombant amoureuse du régulateur sans pour autant apprécier sa manière illégale de faire régner l’ordre, et qui, contrairement à ce quoi nous aurions pu nous attendre, ne coulera pas ses jours dans les bras de son amant de cœur, ce qui donnera à nouveau naissance à une très belle séquence qui se situe juste après le coup de sang de Blaisdell. Tom Drake tient parfaitement bien le rôle du tyran local, Wallace Ford celui du juge incarnant la bonne conscience citoyenne en étant peu enclin à faire appel à un homme usant de moyens illégaux pour faire régner ‘la loi’, DeForrest Kelley (le docteur McCoy de
Star Trek) celui d’un des cow-boys les plus dangereux (car des plus intelligents) du gang de McQuown… Des personnages tous très bien campés par un casting quatre étoiles parfaitement dirigé par Edward Dmytryk, personne n’en faisant jamais trop, tous aussi justes les uns que les autres.

La mise en scène de Dmytryk, même si elle manque d’une certaine ampleur, n’en est pas moins cette fois assez remarquable, sobre mais parfois ponctuée de belles fulgurances. Le cinéaste maitrise parfaitement bien le cinémascope notamment lorsqu’il filme les majestueux paysages du Grand Canyon qu’il a à disposition, gère parfaitement la topographie de la petite ville qui nous semble rapidement familière, et chorégraphie les duels parmi les plus tendus et les plus beaux jamais filmés jusqu’ici. Il est parfaitement bien secondé par son monteur ainsi que par le chef-opérateur Joseph MacDonald qui signe peut-être l’une des plus belles photographies pour un western urbain ; ses éclairages nocturnes entre autres sont un véritable régal pour les yeux. Le cinéaste arrive également à donner une tonalité assez réaliste à son western par l’intermédiaire du travail sur les costumes et les décors. Dans le même ordre d’idées de recherche d'un certain réalisme, les accès de violence sont rares mais d’une grande brutalité ; on peut s’en rendre compte au travers de la séquence au cours de laquelle Gannon se fait enfoncer un couteau dans la main ou encore au travers de la crudité des scènes de meurtre et de la sécheresse des duels. A côté de ça, le réalisateur n’hésite pas à mettre en scène des séquences au contraire assez baroques comme la fameuse scène hallucinée de l’incendie du saloon par Blaisdell ; le plan nocturne de Henry Fonda devant les restes calcinés de l’établissement est d’une beauté glaçante à la limite du fantastique. D’autres séquences se révèlent moins grandiloquentes mais au contraire d’une grande douceur et d’une belle sensibilité comme les deux longues scènes qui mettent successivement et longuement en scène les deux personnages féminins, celle du diner entre Dorothy Malone et Richard Widmark suivie immédiatement par celle, surplombant le Grand Canyon, de l’entrainement au tir qui réunit Henry Fonda et Dorothy Michaels. Bref, quelque soit le ton et le rythme des scènes, une très belle réalisation de la part d'un cinéaste trop souvent méprisé.

Après le bon mélodrame familial westernien qu'était
La Lance brisée, Dmytryk nous refait un western 'en chambre' (peu d'action, intrigue resserrée dans le temps et dans l'espace, beaucoup de dialogues) au superbe scénario sans manichéisme opposant trois personnages riches et attachants, amenant des réflexions assez poussées sur les différentes conceptions de la justice, de la loi et de l'ordre, et enfin critiquant le comportement timoré, opportuniste et hypocrite de la société qui se met en place, tiraillée entre le besoin d’ordre et la peur de se retrouver sous le joug un nouveau tyran, celui-là même qui les aura débarrassé du précédent.
Warlock s’avère une belle réussite, non dénuée d’intensité dramatique l’amenant parfois proche de la tragédie, sans baisse de rythme, magnifiquement dialogué et superbement interprété. Lui manque une certaine ampleur et un score musical qui aurait pu le faire décoller, mais en l'état il demeure un classique dont la réputation n'est pas usurpée. Son final plein de noblesse achève d’en faire un western fortement recommandé.