Réalisation : Felix Jacoves - Production : Saul Elkins pour Warner Bros - Scénario : Edna Anhalt à partir d'une histoire d'Aleck Block et Dietrich V. Hannekin - Directeur de la photographie : Carl Guthrie - Montage : Thomas Reilly - Musique : William lava (et – non crédité - George Gershwin)
avec Dane Clark (Eddie Novoc), Geraldine Brooks (Marie Willens), S. Z. Sakall (Sammy), Wallace Ford (Le Lt. de police Ferria), Richard Rober (Kelch), Lina Romay (Libby)
A New-York, un soir, Eddie Novoc, chauffeur du joueur Sig Kelch patiente au bas d'un immeuble en attendant la fin de la partie de cartes de son patron. Lorsque Kelch abat son partenaire d'un soir, il quitte précipitamment l'immeuble et demande à son employé de fuir les lieux au plus vite si bien que leur voiture heurte violemment Marie Willens, une jeune femme qui traversait la rue. Dans les jours qui suivent, Eddie, en proie à un sentiment de culpabilité, commence à rendre visite à sa victime hospitalisée, suscitant la curiosité du Lt. de police Ferria qui le suspecte bientôt, le reliant même au meurtre commis ce soir là mais qui, sans témoin et sans aveu, ne peut rien prouver et laisse Eddie en liberté. Ce dernier apprend bientôt du médecin que Marie est atteinte d'un anévrisme au cerveau inopérable causé par l’accident, qu'elle va bientôt mourir et qu'elle ignore la réalité de son état. Alors, à la suite de pressions exercées sur lui par le policier, Eddie accepte de prendre en charge la jeune femme, sans emploi et sans famille à New-York, et de subvenir à ses besoins pour le peu de temps qui lui reste à vivre …


Dane Clark, ép. 4. Sorti entre
Deep Valley de Jean Negulesco et
Moonrise (Le fils du pendu) de Frank Borzage,
Embraceable You est loin d'être aussi connu que ces deux films qui l'entourent et qui constituent sûrement les meilleurs films du genre ayant Dane Clark pour acteur principal mais il faut bien dire que ce sont aussi deux des rares possibilités qui lui furent offertes d'être dirigé par des metteurs en scène prestigieux car bien qu'il fut très actif dans le genre entre le milieu des années 40 et la fin des années 50, il fut le plus souvent cantonné aux petites séries B, aussi bien aux USA qu'en Angleterre (un tiers de sa quinzaine de films criminels y furent tourné) Or,
Embraceable You n'est absolument pas indigne de ces 2 films justement réputés et c’est par ailleurs du film de Borzage dont celui de l'obscur Felix Jacoves se rapproche le plus. Comme metteur en scène, il n'est certes pas Borzage. Du tout. Malgré l'appui du très bon Carl Guthrie à la photographie, esthétiquement, comme du point de vue de la mise en scène,
Embraceable You - même s'il est visuellement réussi - n'est pas
Moonrise. D'autre part, Jacoves eut, aussi bien à Broadway que par la suite au cinéma, une carrière des plus modestes puisqu'il est seulement crédité comme
dialogue director pour une dizaine de films (notamment de quelques bons films noirs), réalisant entre deux de ces modestes collaborations … la bagatelle de 2 films pour le cinéma, le second étant un autre film criminel plutôt réussi
(Homicide, 1949) mais loin de valoir son premier essai.
Embraceable You est centré sur un couple finalement bien plus vibrant que celui de
Moonrise, Jacoves se montrant ici bien plus borzagien que le maître du mélodrame. Pas dans l’absolu - le film de Jacoves n'est pas un chef d’œuvre inconnu – mais comparé au seul film noir qu'aura tourné Borzage, celui de Jacoves le surpasse au moins en ce qui concerne l'histoire d'amour. Ce sont même pour ses qualités en tant que mélodrame et grand film romantique - et pour le couple merveilleux formé par Dane Clark et Geraldine Brooks - que le film doit être vu, plus que pour ses attributs de film noir, j'y reviendrai plus loin. Il ne va pas aussi loin dans le romantisme, les amoureux fous de Borzage s'aimant parfois par delà la mort. Jacoves s'arrête avant. Juste avant ... Une fois que le couple enfin formé nagera finalement en plein bonheur. Mais c'est un bonheur très précaire puisque l'héroïne s'abandonnera à l'amour que lui porte Eddie quand toutes les vérités seront dites : quand lui aura avoué sa culpabilité et quand elle aura eu confirmation de ce qu'elle avait envisagé elle-même suite à ses malaises inexpliqués, c'est à dire sa disparition prochaine.

Il n'est pourtant pas bien brillant ce couple en gestation au temps de leur rencontre. L'un comme l'autre sont assez médiocres. Dane Clark n'a pas grand chose pour lui, pas même un passé familial douloureux (
Moonrise). Même si on ne connaîtra jamais la nature des ses fonctions au sein du gang de Kelch, en dehors de son rôle de chauffeur le soir du crime, dans les prémices de l'histoire, il est tout de même au service d'un patron redoutable. Puis, nerveux et maladroit, il ne paye pas vraiment de mine lors de ses premières visites à Marie. Tout change quand on lui confie la jeune femme ... Passons sur le réalisme de la situation : un médecin chef (interprété par Douglas Kennedy) qui laisse sortir une patiente mourante et la confie à un quidam sans l'ombre d'une connaissance en médecine + un flic roublard qui fait pression sur le coupable pour qu'il assume vraiment ses responsabilités, au moins morales, vis à vis de sa victime ... Oui, mais heureusement, on avait compris d'emblée que nous nous n'allions pas voir un policier pseudo-documentaire …
Quant à la jeune femme, seule, sans ressources (elle venait de perdre un emploi de danseuse dans une boite de nuit), assez paumé (juste avant l'accident elle semblait marcher dans la rue comme un automate ayant besoin d'être remonté), dans un premier temps elle se laisse approcher par un jeune homme dont elle se méfie quelque peu puisqu'elle sait d'emblée qu' Eddie a employé une fausse justification pour expliquer sa présence auprès d'elle à l’hôpital. Elle déclare même par la suite espérer soutirer un peu d'argent à une compagnie d'assurance avant de, sans doute, saisir l’opportunité d'être pour un temps entretenue par un chevalier servant semblant désintéressé …


Ils se révèlent progressivement, surtout à partir du moment où le couple quitte la ville - la campagne comme refuge c'est une situation assez fréquente au sein du cycle noir - une fois de plus à l'initiative du flic qui ne lâche pas l'affaire mais qui est dans une position d'attente, de surveillance … mais aussi de protection car tandis qu' Eddie et Marie apprennent à se connaître, Kelch et ses hommes ne restent pas inactifs. En effet, cette histoire de rédemption d'un mauvais garçon a ceci de paradoxal qu'il n'aura jamais été aussi loin dans le « crime » qu'à partir du moment où il quitte le gang de Kelch. On ne saura jamais qu'elle avait été au juste son rôle dans le gang mais il n'aura probablement jamais été aussi crapuleux que lorsqu'il va tenter de se racheter car une fois vendu ses quelques biens de valeur (une voiture, une montre ….) , pour faire vivre le couple qui n'en est pas encore un – Marie étant dans l'impossibilité de travailler et Eddie ayant décidé de se consacrer exclusivement au bonheur de la jeune femme - il n'aura d'autres choix que de se livrer au chantage sur son ancien patron.
Ainsi, la mort plane sur le film de deux manières, dans les malaises et les chutes successives de Marie qui surviennent dans les moments d'euphorie et de joie intense mais aussi par la présence menaçante de Kelch et de ses hommes. Mais si le film mérite d'être vu, c'est moins pour ces scènes où - par exemple - les gros bras de Kelch cherche à intimider un ami d' Eddie, Sammy (S.Z. Sakall) et saccage son bistro, pour le règlement de comptes 'presque' final ou pour les actions ambiguës du flic très bien campé par le débonnaire Wallace Ford mais bien pour les séquences lumineuses entre les deux personnages principaux.


Malgré ce que d'aucuns pourraient redouter, s'il y a bien un arrière plan de profonde mélancolie car la mort rode, elle est même inéluctable – mais hors champ car "à venir" – cette histoire n'est en rien plombante ou déprimante pour la bonne raison que tout du long, on est surtout frappé par cette rencontre touchante de deux personnages ordinaires, assez médiocres même dans un premier temps mais surtout pas heureux, qui se découvrent, se révèlent à eux même et s’épanouissent en présence l'un de l'autre. Cela commence par l'attitude d' Eddie qui remue ciel et terre pour leur permettre de vivre. Cela se poursuit ensuite dans des situations très ordinaires : une danse, une fleur, un feu de cheminée dans une « vraie » maison de pierre … et cela se termine par une grande libération dans un amour enfin partagé quand bien même – ou parce que – ce bonheur immense est précaire et qu'ils le savent maintenant tout deux. On est touché aussi parce que le jeu sensible des comédiens principaux et leur osmose qui crèvent l'écran le permet. Celui de D. Clark, fiévreux mais plus fin et nuancé que d'ordinaire ; celui de la fine et délicate G. Brooks qui ne tombe jamais dans le pathétique. Bref (enfin, façon de parler), vraiment à voir. Vu « à peu près « en vost

