Sacha Guitry (1885-1957)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Profondo Rosso
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Re: Sacha Guitry (1885-1957)

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Le Roman d'un tricheur (1936)

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Assis à la terrasse d'un café, un homme rédige ses mémoires : il raconte comment son destin fut définitivement scellé lorsque, à l'âge de douze ans, parce qu'il avait volé dans le tiroir-caisse de l'épicerie familiale pour s'acheter des billes, il fut privé de dîner. Le soir même, toute sa famille meurt empoisonnée en mangeant un plat de champignons. Seul dans la vie et ayant ainsi constaté l'inutilité d'être honnête, il n’aura par la suite qu’une seule ambition, devenir riche. Voyant dans sa survie un signe du destin, il choisit de parvenir à ses fins en devenant tricheur et voleur professionnel.

Avec Le Roman d'un tricheur, Guitry définitivement ses marques au cinéma après de précédentes tentatives infructueuses pour ce qui est un de ses films les brillants et à l'influence considérable. Si on devait résumer le film en un seul mot ce serait décalage tant il semble que ce soit le crédo de Guitry dans sa manière constamment surprenante de traiter. Cela se manifeste dès ce générique pas comme les autres où entre fausse fanfaronnade (Ce film je l'ai réalisé et produit moi même...) et vrai respect pour ses collaborateurs Guitry remplace le sacro saint panneau de noms d'équipe pour dévoiler ceux ci en plein travail ainsi que le casting au naturel.

Décalage à nouveau puisque passé cette mise en avant initiale la narration le verra monopoliser la parole en voix off, jouant tout les personnages. Le film est une sorte de duel constant entre la tradition du muet et une percutante modernité où le lien se fait justement par cette voix off entrecoupée de courts moment dialogués lorsque Guitry écrit ses mémoires dans un bar. Guitry narre ainsi de son timbre précieux et bourgeois l'irrésistible cheminement qui va conduire son personnage sur la voie de la tricherie. Les astuces narratives donnent un piquant et une drôlerie irrésistibles au récit où le phrasé de Guitry associés aux trouvailles de montage revient donc à cette idée de décalage. L'ouverture sur l'enfance est la plus jubilatoire avec les jeux de mots rebondissant sur l'image en cours lors de la présentation puis la fatidique disparition de la famille où se manifeste déjà un jeu comique très outré et théâtral dans la gestuelle et les expressions des visages directement issu du muet. L'art de l'ellipse auréolé d'un certain humour noir s'exprime également dans la manière d'éliminer les différents membres de la famille à table lors du fatal repas de champignon empoisonnés, des petits bruitages ludiques et cartoonesque amplifiant la touche burlesque de l'ensemble.

Tout le film fonctionne ainsi, apportant toujours une petite idée supplémentaire qui permet d'éviter la redite. Ainsi lorsque notre héros déboule à Monaco, Guitry a l'audace d'insérer des images documentaire du Rocher qu'il détourne par son commentaire ironique mais aussi carrément les manipulant lorsqu'il raille le défilé journalier de la milice monégasque transformé en curieuse danse. Aucune audace n'est de trop comme cette séquence en forme d'ode à la beauté de sa compagne Jacqueline Delubac dont le visage charmant et le regard séducteur défile sous toutes les tenues et coiffures possibles, appuyées par les envolées de Guitry. Le Scorsese des Affranchis et surtout de Casino s'annonce même lors d'une mémorable leçon de tricherie aux cartes où la mise en scène inspirée (le jeu avec le miroir pour l'apparition/disparition de la carte dans sa manche) se marie à un sens du rythme éblouissant dans la mise en situation notamment ce billet à demi placé sur la table de jeu. Les reproches des détracteurs lui reprochant parfois de faire du théâtre filmé s'avère particulièrement malvenus tant il fait preuve d'aisance et d'inventivité.

Le plus grand décalage c'est cependant la roublardise avec laquelle Guitry se joue du sujet du film. Le héros se trouve placé sur la voie du crime et du vice constamment malgré lui, presque toujours jouet des femmes et ne s'avère guère actif pendant l'essentiel de l'histoire. Une fois décidé à embraser sa nouvelle "carrière" le destin le ramènera paradoxalement dans le droit chemin par malchance quasi mystique (tout le passage avec Jacqueline Delubac) ou par l'illumination d'une rencontre lors du final. Roman d'un tricheur certes, mais d'un tricheur raté d'autant que Guitry met autant en valeur le brio de son héros (la séquence où défilent tout ses déguisements et ce regard vers l'objectif constant dans un même mouvement d'appareil qui se répète grandiose !) qu'il l'humilie en se moquant de son allure vieillissante et de sa couardise. La pirouette finale appuie d'ailleurs brillamment cette idée en dévoilant les nouvelles "fonctions" du tricheur. Un vrai petit bijou qui n'a pas pris une ride. 6/6
Federico
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Re: Sacha Guitry (1885-1957)

Message par Federico »

Profondo Rosso a écrit :Le Roman d'un tricheur (1936)

Avec Le Roman d'un tricheur, Guitry définitivement ses marques au cinéma après de précédentes tentatives infructueuses pour ce qui est un de ses films les brillants et à l'influence considérable. Si on devait résumer le film en un seul mot ce serait décalage tant il semble que ce soit le crédo de Guitry dans sa manière constamment surprenante de traiter. Cela se manifeste dès ce générique pas comme les autres où entre fausse fanfaronnade (Ce film je l'ai réalisé et produit moi même...) et vrai respect pour ses collaborateurs Guitry remplace le sacro saint panneau de noms d'équipe pour dévoiler ceux ci en plein travail ainsi que le casting au naturel.
Initiative géniale que reprendra Orson Welles à la fin du Procès où il cite les noms de ses acteurs puis termine par le fabuleux : "I played the advocate and I wrote and directed this film; my name is Orson Welles" (phrase qui me colle à chaque vision la chair de poule, autant que le "I don't want to die !" de La dame de Shanghaï. :oops:
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Re: Sacha Guitry (1885-1957)

Message par hansolo »

Si Paris nous était conté (1955)
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Sublime œuvre d'art dont Guitry a le secret; l'auteur s'amuse à parcourir les pages de l'histoire de Paris sans se prendre au sérieux mais avec un soin du détail et un humour entrainant!
Quelques moments divins (entre autres): Marais en François 1er; Latude campé par Robert Lamoureux échafaudant un plan d'evasion avec un personnage incarné par De Funés; la reconstitution fascinante :!: du tableau de Winterhalter ...

Simplement délicieux et inouï !
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Re: Sacha Guitry (1885-1957)

Message par Federico »

Je vais lâchement me dissimuler derrière la formule-bateau "Qui aime bien, châtie bien" pour avouer que Si Paris nous était conté est une suite de chromos, de cartes postales, de "bons points" scolaires et de belles images Poulain indignes de l'immense talent de Guitry et de certains des comédiens conviés à ce pensum affligeant. Même ses jeux de bons mots semblent téléphonés comme des SMS avant l'heure et plus d'une séquence sombre dans le ridicule touristico-historico-culturel (comme Paul Fort récitant d'un ton emphatique un poème très oubliable assis à une table de café :roll: :uhuh: ). J'ai juste souri entre deux bâillements quand Gérard Philippe brosse le tableau assez ressemblant du "Français moyen".
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Re: Sacha Guitry (1885-1957)

Message par hansolo »

Je te trouve bien sévère Federico; personnellement dans les quelques Guitry que j'ai découvert; c'est dans Faisons un rêve que certaines scènes m'avaient semblées téléphonées (oui, je sais c'est facile :uhuh:; mais c'est vrai!)

C'est ta première vision de Si Paris ... ; ou tu l'avais déjà vu?
Personnellement cette découverte m'a séduit!

Ne me dis pas que tu es resté insensible devant Marais en François Ier (saisissant!) ou un tableau de Winterhalter qui prend vie!
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Re: Sacha Guitry (1885-1957)

Message par Federico »

hansolo a écrit :Je te trouve bien sévère Federico; personnellement dans les quelques Guitry que j'ai découvert; c'est dans Faisons un rêve que certaines scènes m'avaient semblées téléphonées (oui, je sais c'est facile :uhuh:; mais c'est vrai!)
C'est ta première vision de Si Paris ... ; ou tu l'avais déjà vu?
Personnellement cette découverte m'a séduit!
Je l'avais déjà vu mais comme il ne m'en restait rien, j'ai voulu le revoir hier mais hélas...
hansolo a écrit : Ne me dis pas que tu es resté insensible devant Marais en François Ier (saisissant!) ou un tableau de Winterhalter qui prend vie!
Je reconnais qu'étrangement, j'ai trouvé ici Marais plutôt meilleur comédien qu'ailleurs. Les tableaux animés ne m'ont ni convaincu ni ébloui. En même temps, je ne suis pas expert mais l'art Second Empire, c'est pas trop ma cup of tea. :?
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Re: Sacha Guitry (1885-1957)

Message par hansolo »

Federico a écrit : Je reconnais qu'étrangement, j'ai trouvé ici Marais plutôt meilleur comédien qu'ailleurs. Les tableaux animés ne m'ont ni convaincu ni ébloui. En même temps, je ne suis pas expert mais l'art Second Empire, c'est pas trop ma cup of tea. :?
Quand a moi, je ne suis pas forcement objectif vu que j'adore le jeu de Jean Marais.
Quant à l'art second empire, je ne suis pas nom plus expert et je le connais assez peu mais j'ai visité récemment le Château de Compiègne et j'ai pu combler quelques lacunes dans ce domaine - j'en garde un très bon souvenir! (j'en recommande d'ailleurs la visite!)
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Message par Nestor Almendros »

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Re: Sacha Guitry (1885-1957)

Message par Père Jules »

Découvert pas plus tard qu'avant-hier Les trois font la paire.

Un Guitry malade au générique et à la voix-off, et un film en mode mineur dans la carrière du cinéaste. Moins de bons mots, une histoire un peu poussive et qui finalement a du mal à susciter l'intérêt. La mise en scène est pour le moins plan-plan. Reste la joie de voir Michel Simon (qui ressemble parfois comme deux gouttes d'eau au Orson Welles des dernières années) et ça, ça n'a pas de prix.
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Re: Sacha Guitry (1885-1957)

Message par daniel gregg »

C'est vrai, j'avoue en plus avoir du mal avec l'épileptique Dary Cowl.
je lui préfère nettement Assassins et voleurs réalisé l'année précédente avec des numéros savoureux de SerrauLt et Poiret.
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Re: Sacha Guitry (1885-1957)

Message par Rick Blaine »

Père Jules a écrit :Découvert pas plus tard qu'avant-hier Les trois font la paire.

Un Guitry malade au générique et à la voix-off, et un film en mode mineur dans la carrière du cinéaste. Moins de bons mots, une histoire un peu poussive et qui finalement a du mal à susciter l'intérêt. La mise en scène est pour le moins plan-plan. Reste la joie de voir Michel Simon (qui ressemble parfois comme deux gouttes d'eau au Orson Welles des dernières années) et ça, ça n'a pas de prix.
Tout à fait d'accord, ce film est bien pauvre, certainement le plus mauvais Guitry parmi ceux que j'ai vu. Si Michel Simon n'était pas là, il n'aurait aucun intérêt.
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Cathy
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Re: Sacha Guitry (1885-1957)

Message par Cathy »

Si Paris nous était conté (1955)

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Evocation fantaisiste de Paris à travers les temps vu et corrigé par Sacha Guitry.

Sacha Guitry reprend le thème de Si Versailles m'était conté, mais l'adapte à la ville de Paris, et finalement est beaucoup moins inspiré. Petites scènes se succèdent évoquant quelques épisodes marquants de l'histoire de Paris, mais aussi de l'Histoire de France avec les assassinats d'Henri III, d'Henri IV. La vie artistique est fort présente dans ce film avec les évocations de Voltaire, de Molière, des ballets russes, de Gustave Flaubert, Utrillo. Mais cela ressemble plus à une histoire de France racontée pour les nuls avec talent et humour qu'à une véritable évocation de Paris contrairement à l'évocation de Versailles certes fantaisiste mais beaucoup plus approfondi. On se met donc à chercher à reconnaître qui joue qui dans le film, voir Danielle Darrieux en Agnès Sorel, Michele Morgan en Gabrielle d'Estrée, Odette Joyeux en passementière, Gérard Philipe qui a sans doute le rôle le plus consistant avec ce personnage de Trouvère qui traverse de siècle en siècle Paris, il y a naturellement Guitry en professeur d'histoire et aussi Louis XI, mais finalement le film n'est pas plus intéressant que cela. On admire quelques tableaux, comme le premier qui voit les différents défilés arrivant dans Paris et qui constitue un long plan séquence, l'épisode de Latude, épisode assez long et mené avec humour par Robert Lamoureux, on reconnaît aussi Bernard Dhéran, Denis d'Ines, Robert Manuel... en Voltaire, Fontenelle, Flaubert. On admire aussi quelques traits de Guitry, mais il semble nettement moins inspiré que dans d'autres films. Reste une succession de jolis tableaux, une promenade nostalgique à travers Paris.

PS : pour Federico, le poème de Paul Fort est quand même le fameux "Si tous les gars du monde" !
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Re: Sacha Guitry (1885-1957)

Message par Federico »

Cathy a écrit :PS : pour Federico, le poème de Paul Fort est quand même le fameux "Si tous les gars du monde" !
Je sais bien mais le problème (pour moi, en tout cas), c'est que ce poème au fond bien sympathique - et plus d'actualité que jamais - a une forme littéraire qui me laisse complètement indifférent. Si je voulais être gratuitement méchant, je le verrais bien en exergue sur un calendrier de scouts (je peux le dire d'autant plus facilement que j'ai été scout et même enfant de choeur :lol: ).
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Re: Sacha Guitry (1885-1957)

Message par Tancrède »

daniel gregg a écrit :C'est vrai, j'avoue en plus avoir du mal avec l'épileptique Dary Cowl.
je lui préfère nettement Assassins et voleurs réalisé l'année précédente avec des numéros savoureux de SerrauLt et Poiret.
même si je préfère moi aussi Assassins et voleurs pour Poiret et Serrault, je suis pas trop d'ac pour expédier d'un revers de mains l'ultime opus de Guitry.
Avec un budget que l'on devine minuscule, le vieux maître fait montre d'une malice et d'une inventivité qui a été riche d'enseignements pour les jeunes gandins de la Nouvelle Vague.

Ce genre de série B guitriste est à mon sens nettement plus plaisant qu'un loukoum comme "Si Paris..."
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Re: Sacha Guitry (1885-1957)

Message par 1kult »

Honte à nous : je n'ai pas relayé la très belle critique de Deburau de notre camarade Bruce Randylan :

http://www.1kult.com/2011/04/25/deburau-sacha-guitry/

Désolé à lui et bonne lecture ! :wink:
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