Alexandre Angel a écrit : ↑20 janv. 25, 18:27
Thaddeus a écrit : ↑20 janv. 25, 17:58
Des intérieurs sombres, des mines renfrognées, aucune lumière, aucune humanité, aucune sensibilité (du moins, celle que j'aimais chez le cinéaste) et tous les poncifs lynchiens qui s'enchaînent comme dans une case de bingo. Bref,
Inland Empire bis.
Là, alors que je ne voulais pas insister, je suis obligé d'intervenir.
Sur ce diagnostic préventif (une fois passé le second épisode), j'ai le sentiment te concernant d'un énorme malentendu voire fourvoiement. Il n'est pas possible que tu tires cette conclusion sans être allé plus loin parce je peux te jurer que si ça avait été ce que tu projettes, j'aurais aussi lâché l'affaire très vite et je n'aime pas du tout
INLAND EMPIRE.
Twin Peaks The Return est hugolien (j'utilise, tu l'auras compris, le qualificatif à dessein), épique, poilant , tragique, dur, ludique, ésotérique, expérimental et dingue, par moments. Bref tout est là qui ne correspond pas à ce que tu imagines.
Je vais m'y remettre incessamment (ces discussions vont accélérer le processus) avec une petite appréhension toutefois : celle que ça me plaise moins comme si je m'étais monté la tête il y a 6 ans. C'est toujours possible.
Mais c'est réellement vibrant et étonnant de chaleur humaine, lumineux et surtout, étonnamment non redondant par rapport à ce qu'on connaissait de l'artiste.
Bien d'accord, même si je doute que cela change quoi que ce soit dans le rejet de Thaddeus. Ce serait mentir de dire qu'il n'y a pas
Inland Empire qui soit passé par là par moments, mais il y a aussi et surtout le Lynch qui chérit ses personnages, le moindre de ses personnages, même les plus glauques ou gaguesques (les deux frères mafieux et Candy, par exemple). Je ne trouve pas la frontière entre un
Twin Peaks : The Return et un
A straight story si épaisse de ce point de vue, la galerie vertigineuse de personnages est croquée avec une empathie débordante qui n'exclue pas l'ironie, et le passage du temps donne lieu à des scènes vraiment poignantes dont le souvenir est chez moi aussi vif et cher que les séquences les plus immédiatement sidérantes sur le plan formel. La scène des adieux avec Naomi Watts et le gosse par exemple, ça m'a fait pleurer à chaudes larmes quand j'ai découvert l'épisode, c'est le Lynch déchirant des grandes heures, avec Badalamenti en embuscade. Et je trouve moi aussi impossible de tirer un constat de désinvestissement émotionnel quand tu vois le sort réservé à l'un des personnages emblématiques, auquel on parvient au bout du voyage, comme un sésame que l'on déverrouille - l'une des séquences de décrochage de mâchoire les plus cataclysmiques, sur le plan émotionnel, que j'ai expérimenté dans toute ma vie de spectateur
ever, j'en ai des frissons rien qu'en y repensant. Un véritable acte de foi, une preuve d'amour absolu dont il est bien difficile de parler sans rentrer dans des spoilers bien cash.
Twin Peaks : The Return est pour moi une œuvre totale (et accessoirement la plus belle sortie,
a posteriori, que je connaisse d'un cinéaste avec
Eyes wide shut) parce qu'elle synthétise toutes les facettes de Lynch en tant qu'auteur et artiste. L'humaniste, le sentimental, le rigolard, l'anxieux, le tourmenté, l'expérimental, tout. C'est un legs somme, mais pas de quelqu'un qui regarde dans le rétroviseur et se prend de nostalgie pour ce qu'il a fait et en rejoue les gammes pour un dernier tour de piste - le legs de quelqu'un qui accomplit une sorte d'odyssée intérieure (c'est pas pour rien que Gordon Cole y a un rôle beaucoup plus central et que le ton y est parfois crépusculaire - même en 2017, il y avait pour moi quelque chose d'assez bouleversant de voir ce Lynch âgé enquêter une dernière fois et dont on pouvait craindre symboliquement qu'il arrive quelque chose de violent à son personnage) pour convoquer toutes les forces ayant irrigué ses précédents films en vue d'aboutir sur une transfiguration de son art. Lynch y a mis toutes ses tripes, il ne fait aucun compromis, et il y en a pour tous les goûts, c'est ça qui est génial. Cela en fait un espèce de rollercoaster (le parallèle peut être rude, je reconnais) de fulgurances absolument sidérantes, de moments de flottement voire d'égarement, puis de reprise de volant de mains fermes, avec des accélérations de rythme, des échappées, des virages sans cesse stimulants et créatifs. Les deux derniers épisodes, c'est au-delà des mots dans le courage artistique que cela requiert - et comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, ça m'a terrassé pour des années, moi qui pensais avoir à peu près tout vu et être revenu de tout. Mais encore une fois, ce qui sous-tend tout ça, ce qui soude et solidifie l'ensemble, ce qui transcende les visions surréalistes et rend captif même quand la langueur engourdit certains épisodes ou que le sens immédiat de certaines séquences nous échappe, c'est - pardon pour la formule à la con - le cœur qui est à l'ouvrage, l'amour presque naïf (ou idéaliste, si vous préférez) pour ces pauvres hères qui se dépatouillent dans leurs vies du mieux qu'ils peuvent. Beaucoup de gens diront probablement que leur moment favori de la saison est l'épisode complètement dingue en noir et blanc ("
Got a light?"), antichambre secrète "éraserheadienne" que l'on entrouvre comme on capterait une fréquence interdite de Vidéodrome. Des moments inoubliables, il y en a légion, c'est certain. Mais dans le fond, y a-t-il quelque chose de plus pénétrant, de plus obsédant, de plus réconfortant, que les retrouvailles tant attendues entre certains personnages à la toute fin ?