Ed Wood (Tim Burton - 1994)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés à partir de 1980.

Modérateurs : cinephage, Karras, Rockatansky

jacques 2
Régisseur
Messages : 3172
Inscription : 17 mai 10, 17:25
Localisation : Liège (en Wallonie)

Re: Ed Wood (Tim Burton, 1994)

Message par jacques 2 »

Remontée de ce topic pour signaler aux admirateurs de ce qui reste pour beaucoup comme l'un des meilleurs - sinon le meilleur - film de Tim Burton existe désormais en blu ray zone free avec VF et STF ... :)
Avatar de l’utilisateur
Flol
smells like pee spirit
Messages : 54905
Inscription : 14 avr. 03, 11:21
Contact :

Re: Ed Wood (Tim Burton, 1994)

Message par Flol »

Merci pour la confirmation du region free.
Avatar de l’utilisateur
Watkinssien
Etanche
Messages : 17149
Inscription : 6 mai 06, 12:53
Localisation : Xanadu

Re: Ed Wood (Tim Burton, 1994)

Message par Watkinssien »

Le film de Burton est non seulement un bel hommage à son univers culturel, mais il atteint un intimisme rarement vu au cinéma.
Burton se donne tout entier dans cette "biographie" farfelue et loufoque, mêlant sens du macabre, humour irrévérencieux et drame de l'oubli de reconnaissance.

Un beau film, riche et jouissif.

Et les comédiens sont tous hallucinants !
Image

Mother, I miss you :(
Avatar de l’utilisateur
Kevin95
Footix Ier
Messages : 18371
Inscription : 24 oct. 04, 16:51
Localisation : Devine !

Re: Ed Wood (Tim Burton - 1994)

Message par Kevin95 »

ED WOOD (Tim Burton, 1994) révision

Allons y franchement, LE chef d’œuvre de Burton. A travers la vie romancée (mais on s'en cogne) du vendeur de pellicule à la sauvette Edward Davis Wood Junior, le cinéaste trouve la matière à la fois à un hommage au cinéma qu'il vénère (bricolage à tous les étages) mais aussi, en profite-il pour mettre à nu ses obsessions d'artiste, sa vision du septième art, voir préciser sa position politique envers une Amérique où l'argent a le dernier mot et où l'imaginaire s’orthographie non sans difficulté. Ça sonne terriblement naïf sur le papier, mais le résultat ne l'est jamais grâce évidemment à la photo noir et blanc fétichiste de Stefan Czapsky ou au script en béton armé de Scott Alexander et Larry Karaszewski. Mais la réussite totale doit bien son origine à Burton lui-même, celui des premiers temps, celui qui embrassait les marginaux et détournait les commandes des studios. Ed Wood, le vrai ou le faux peu importe, est un personnage porte-parole, bêta mais obstiné, égoïste mais passionné, nul mais bourré d'envie. Si aujourd'hui le film surnage dans la filmo burtonnienne, c'est sans doute parce que son personnage principal est le plus attachant car le plus complexe. Rien ne l'enjolive, au contraire. Le film montre bien combien le bonhomme est capable de passer par les pires bassesses pour arriver à ses fins, combien son entourage importe peu (voir le personnage de Bill Murray dont les problèmes sont jamais pris en compte) et en même temps doté d'un charisme de vendeur de pneus évident, d'une affection profonde entretenue avec le cabot Bela Lugosi (génial Martin Landau), d'un gout pour le cinéma qui dépasse toute la médiocrité dans lequel il évolue. Un rêveur certes, mais au dent longues, qui pense aussi à sa pomme quitte à rejeter en hors champ le reste de l'équipe d'un film comme le montre le plan de la première de Plan 9 from Outer Space où seul son visage et le faisceau lumineux du projecteur existent dans le cadre. Il fallait bien l'apparition presque divine d'Orson Welles pour lui donner gout à cet égoïsme rêveur. Sublime scène au passage, où sans trop s'appesantir, Burton, le temps d'un champs contre-champs, montre combien le meilleur et le pire sont les deux cotés d'une même pièce. Magnifique est cette scène, magnifique est ce film. Oui je signe, le chef d’œuvre de son auteur et tant qu'on y est, le remplacement de Danny Elfman par Howard Shore fait un bien fou. Sinon, il devient quoi Burton ?
Les deux fléaux qui menacent l'humanité sont le désordre et l'ordre. La corruption me dégoûte, la vertu me donne le frisson. (Michel Audiard)
Avatar de l’utilisateur
Alexandre Angel
Une couille cache l'autre
Messages : 14108
Inscription : 18 mars 14, 08:41

Re: Ed Wood (Tim Burton - 1994)

Message par Alexandre Angel »

Kevin95 a écrit :le remplacement de Danny Elfman par Howard Shore fait un bien fou.
Ah oui, je me souviens d'une musique excellente.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
Avatar de l’utilisateur
Supfiction
Charles Foster Kane
Messages : 22285
Inscription : 2 août 06, 15:02
Localisation : Have you seen the bridge?
Contact :

Re: Ed Wood (Tim Burton - 1994)

Message par Supfiction »

Kevin95 a écrit : Sinon, il devient quoi Burton ?
Spoiler (cliquez pour afficher)
Image
Avatar de l’utilisateur
Kevin95
Footix Ier
Messages : 18371
Inscription : 24 oct. 04, 16:51
Localisation : Devine !

Re: Ed Wood (Tim Burton - 1994)

Message par Kevin95 »

Image
Les deux fléaux qui menacent l'humanité sont le désordre et l'ordre. La corruption me dégoûte, la vertu me donne le frisson. (Michel Audiard)
Avatar de l’utilisateur
Flol
smells like pee spirit
Messages : 54905
Inscription : 14 avr. 03, 11:21
Contact :

Re: Ed Wood (Tim Burton - 1994)

Message par Flol »

Supfiction a écrit :
Kevin95 a écrit : Sinon, il devient quoi Burton ?
Spoiler (cliquez pour afficher)
Image
Pour info, il s'agit de fan arts (joliment faits, d'ailleurs) et ce n'est plus très sûr que le film se fasse finalement...
Avatar de l’utilisateur
Jeremy Fox
Shérif adjoint
Messages : 99722
Inscription : 12 avr. 03, 22:22
Localisation : Contrebandier à Moonfleet

Re: Ed Wood (Tim Burton - 1994)

Message par Jeremy Fox »

Avatar de l’utilisateur
Thaddeus
Ewok on the wild side
Messages : 6203
Inscription : 16 févr. 07, 22:49
Localisation : 1612 Havenhurst

Re: Ed Wood (Tim Burton - 1994)

Message par Thaddeus »

Image



Citizen Wood


Dans les années cinquante, il tournait en quelques jours des films fauchés qui lui ont valu le label infamant de "plus mauvais réalisateur de tous les temps". Il aimait les femmes mais, à la première occasion, portait perruque blonde, jupe droite et talons aiguilles. "Pour se calmer", disait-il. Il ne dissimulait pas sa passion pour les pulls angora, les histoires à dormir debout et Béla Lugosi, son idole. Si ce type-là n’avait pas existé, Tim Burton aurait pu l’inventer, lui dont le territoire imaginaire regorge d’asociaux, de parias et de déclassés souffrant de ne pouvoir faire accepter leur différence. De Pee Wee à Beetlejuice, d’Edward à Jack, tous ces gentils fêlés promènent leurs silhouettes étranges d’éternels adolescents dans un univers d’adultes, forcément cruel, forcément injuste. Ed Wood est leur frère. Dans la réalité, il plaidait en faveur du droit à l’existence des travestis et assumait son inclination pour l’érotisme déviant : c’était une personnalité explosivement chargée que l’Amérique d’Eisenhower et McCarthy ne pouvait accepter en son sein vertueux. Éliminant le gênant, le grivois, le sordide, Burton en fait un lunaire hurluberlu, une sorte de Monsieur Smith qui goes to Hollywood. Il se balade dans les studios Universal comme un môme dans un jardin merveilleux. Lorsqu’un copain archiviste lui montre des images de guerre, de poulpes gigantesques ou de bisons furieux, il affirme, les yeux écarquillés, qu’il pourrait réaliser un long-métrage à partir de ces seuls extraits. Ed Wood est ainsi : enthousiaste, exalté, certain de ses facultés, sûr de son talent. Innocent à l’optimisme indéfectible, il refuse obstinément de se laisser affecter par les revers de fortune, les coups du sort et l’incompréhension d’un monde hostile. Dans la phrase neutre d'une critique assassine, il puise la force de croire encore en sa vocation d'artiste. Et quand un producteur le traîne dans la boue au téléphone, son sourire ne se démonte pas et il réplique avec aplomb : "Mon prochain film sera meilleur."


Image


Ed Wood est donc l’histoire d’un fou de cinéma, racontée par un fou de cinéma, pour les fous de cinéma. Une histoire qui laisse transparaître l’affection infinie de Burton pour ce tenace exclu du système hollywoodien, ce saint laïc de la sous-culture, ce croisé de la série Z qui se dépatouillait d’expédients et que Johnny Depp, tout de fraîcheur, de charme et d’emballements étonnés, sait rendre des plus attachants. Pas de sarcasmes ni de dérision superfétatoire, encore moins de cynisme et d’ironie vacharde dans cette fausse biographie enjouée, atypique, qui célèbre la désarmante candeur et les illusionnées ambitions de ce galérien du septième art. Organisé autour d'un groupe en constitution, le film défend la permanence de l'idée de famille au sein du cinéma. Le héros rassemble en effet autour de lui une équipe éclectique qu’il dope de sa conviction inaltérable, de sa naïveté tonique, de sa persévérance conquérante : une vedette déchue, alcoolique et morphinomane, un mage d’opérette aux prédictions continûment farfelues, un extravagant transsexuel "pré-opérationnel", un chiropracteur prestement transformé en doublure du prince des vampires, une actrice néophyte dont le régime exclut tout liquide, un redoutable catcheur suédois devenu improbable comédien, un chef-opérateur daltonien et, last but not least, son épouse Dolores Fuller, qui injecte un peu de normalité à cette bande pittoresque. Vient s’y ajouter un peu plus tard Vampira, mini-célébrité qui s’était fait la tête du fameux personnage de Charles Adams, présentait sur une chaîne de télé locale de vieux films d’horreur qu’elle commentait sardoniquement à renfort de remarques à double sens, et incarnait alors une des premières manifestations de cet esprit camp qui allait faire la gloire tardive d’Ed Wood. L’œuvre dépeint avec tendresse cette faune bizarre attirée par le miroir aux alouettes de l’usine à rêves, qui survit à travers un cinéma de bouts de ficelle bricolé à l’ombre des décors en carton-pâte. Trouvant le point d’équilibre idéal entre le centre de la sociabilité et les bordures de l’idiosyncrasie, Burton cultive les contraires afin, comme un défi, d’élargir le contenu du mot "humanité".

Six années (1953-1959), trois films (Glen or Glenda, Bride of the Monster, Plan 9 from Outer Space) et autant de difficultés. Le cinéaste n'élude rien, endosse toutes les "trouvailles" de son sujet et en relate avec honnêteté les tournages pitoyables et inspirés. De ce point de vue, il prend le contre-pied du premier flash-back des Ensorcelés de Minnelli, lorsque Jonathan Shields choisissait de créer un climat fantastique par le non-dit, l'obscurité, la litote et la suggestion. À l’inverse, Ed Wood accumule les effets superflus, les prises calamiteuses, les comédiens grimés, les peaux de bête râpées. Il se présente comme une chronique mitée, un biopic ébréché par les trous desquels s'engouffrent la naïveté radieuse, les idées ringardes, les erreurs techniques, les faux raccords, les intuitions surréalistes, la perplexité ou les éclats de rire désabusés des executives. Voici l'univers de ce doux énergumène qui filme monstres, revenants, actrices déshabillées et soucoupes volantes en les conduisant toutes et tous au fiasco assuré. Le cadet reprend même à son compte les références de son aîné en les métamorphosant, en les moulant dans son propre style. Le générique, sans cesse relancé par les emblèmes woodiens, de Criswell psalmodiant avec solennité depuis sa tombe aux stèles funéraires où sont inscrits les noms des acteurs, des maquettes grossièrement miniaturisées à la foudre déchirant une nuit de pluie battante, fonctionne ainsi comme une initiation, une clé d'emblée fournie au spectateur. Servi par les clairs-obscurs d’une photographie somptueuse et très contrastée, Burton conserve l’identité de sa griffe visuelle, accrochée aux discrets et virtuoses mouvements de sa caméra, magnifiée par l'élégance dandy seyant à ses figures marginales qui exhalent la mélancolie, la décomposition et la ruine. Le récit s'emplit de béances, de vides, exhibe ses impossibles sutures comme autant de cicatrices non refermées, de coutures visibles sur la peau rapportée d'un film-Frankenstein.


Image


Cœur battant de la fiction, la très belle relation d’amitié et d’estime entre Ed Wood et Béla Lugosi (auquel Martin Landau prête avec superbe sa carcasse éreintée) est d’autant plus touchante qu’elle se place sous le signe de la mort (ils se rencontrent dans un magasin de pompes funèbres où l’acteur essaie un cercueil à des fins domestiques) et réfléchit celle que Burton développa lui-même avec Vincent Price. Le jeune Wood repêche le vieil Hongrois dans le pavillon décati de Baldwin Hills où il végète oublié de tous, y compris des services sociaux. Difficile de ne pas percevoir derrière cet homme n'intéressant plus personne l'incarnation de l'amnésie américaine, le symbole d'une époque révolue, d'une conception archaïque du métier qui n’a plus cours dans les nouvelles règles du jeu imposées par les grands studios. C’est à cette approche "infra-artisanale" que le film rend hommage. Ed est le premier spectateur de ses propres films parce qu’il est emporté dans la projection d’un inconscient qui n’échappe jamais à son contrôle. Il contemple ses acteurs et créatures avec un amour incommensurable, récite silencieusement, en même temps qu’eux, les dialogues qu’il leur écrit. Il n’a aucun sens critique car pour lui la magie opère infailliblement dès qu’il prononce le sésame "Action !" sur un plateau. Lugosi subjugue ainsi un Wood béat d’admiration, qui lui jette des regards éblouis depuis son fauteuil de réalisateur avant d’oser lancer un timide "Coupez !" quand il est sûr que le miracle a bien eu lieu. Le colosse Tor Johnson manque de démolir le décor d’un coup d’épaule ? C’est le genre de problème qui adviendrait dans la réalité, répond Ed en roi du syllogisme. Plus loin, Béla doit plonger en pleine nuit dans une mare à demi gelée pour feindre de combattre une pieuvre en caoutchouc totalement inerte : aussi vaillant que défoncé, il se lance comme on va au turbin, parce qu’il faut y aller, parce que le spectacle doit continuer coûte que coûte. Il patauge dans l’eau, empoigne et agite les tentacules de la bête en poussant des cris rauques. Autant de scènes tantôt cocasses et hilarantes, tantôt graves et sensibles. Le cinéma, bon ou mauvais, se fabrique : telle est la tautologie que le film défend avec panache et sincérité.

Aux yeux de Tim Burton, l’œuvre d’Ed Wood échappe aux critères qualitatifs habituels pour atteindre à une sorte de poésie involontaire : cette approche rimbaldienne est la plus généreuse et probablement la seule défendable pour une entreprise comme la sienne. Les ouvrages de ce créateur maudit sont des rêves, suggère-t-il, parce qu’ils sont élaborés à partir d’images-germes, aussi arbitraires et obscures pour lui que celle de la rose devant laquelle Lugosi improvise soudain la séquence muette que regardera plus tard un Ed éploré. Et puisque le cinéma possède la faculté d’embellir un peu la réalité, le héros se voit offrir une rencontre fictive avec son modèle, Orson Welles, chez Musso & Franck, le Lipp de Los Angeles. La légende de Citizen Kane est là, son gros cigare aux lèvres. Lorsqu’Ed lui fait part de ses difficultés, il lui raconte à son tour les embûches auxquelles il est confronté sur le tournage de La Soif du Mal. L’un comme l’autre, marginalisés à Hollywood, constituent les deux faces complémentaires d’une même figure : celle de l’artiste rejeté dans sa solitude. Collision merveilleuse entre le zénith et le nadir du cinéma américain, à travers laquelle Burton souligne le lien consubstantiel qui unit tous les cinéastes, tâcherons ou génies, modestes ou ambitieux, inconnus ou célèbres. Lui faisant l’insigne honneur de le reconnaître comme l’un des siens, Welles encourage son excentrique confrère à se battre jusqu’au bout afin de rester fidèle à lui-même et d’imposer sa vision. Wood avait la sienne, grotesque et ridicule peut-être, mais il se dépensait pour elle avec une énergie et une persévérance héroïques. Burton récompense sa foi inébranlable par une fin de conte de fée : une première triomphale de Plan 9. Autant qu’un hymne à l’intégrité et à la résistance des auteurs face aux archétypes et à la normalité des images, Ed Wood est une ode vibrante et enchantée, drôle et pathétique, poétique et émouvante, dédiée à l’humble grandeur de tous les rêveurs impénitents.


Image
Répondre