Le Trésor de la Sierra Madre (John Huston - 1947)

Rubrique consacrée au cinéma et aux films tournés avant 1980.

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Watkinssien
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Message par Watkinssien »

Ah l'échec, ce cauchemar américain, si terrible qui galvanise et terrorise les troupes. Mais si Huston a travaillé si souvent sur la thématique de l'échec, c'est pour montrer toutes les facettes du sujet.
The treasure of Sierra Madre est un de ses plus beaux films, haletant, fascinant, aux dialogues et à l'interprétation brillants.

L'échec se termine par la mort ou l'éclat de rire libérateur, faisant ainsi libérer toute frustration enfouie.
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k-chan
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Message par k-chan »

C'est aussi un de mes Huston préféré :D . Bogart simule la folie avec brio, et le père du cinéaste, le grand Walter Huston offre ici une compostion magnifique et inoubliable, justement récompensée par un oscar.
someone1600
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Message par someone1600 »

Faudra que je m'y mette, fais 6 mois que j'ai le dvd, et je ne l'ai toujours pas regarder. :oops:
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Sybille
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Re: Notez les films naphtalinés de septembre 2008

Message par Sybille »

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Le trésor de la Sierra Madre
John Huston (1948) :

Aventure, mais plus encore découverte de sa propre identité sont à l'honneur dans ce film de John Huston. Réunissant Humphrey Bogart, Tim Holt et Walter Huston dans les exotiques contrées mexicaines, le film est un plaidoyer en faveur de la camaraderie, des plaisirs simples procurées par la nature et une simplicité généreuse. La soif de l'or sur laquelle s'appuie le postulat de départ est montrée avec un évident dédain par Huston, pour qui l'essentiel se trouve évidemment ailleurs. Des anicroches, un soupçon de violence viennent enrayer l'entente fragile qui réunit les trois hommes, les circonstances plus qu'une amitié réelle présidant à leur association. Les caractères se révèlent ou plutôt s'affirment tout au long du film, prenant parfois des directions inattendues, mais au fond jamais surprenantes. Un film qui se termine sur un éclat de rire, en une scène où se rejoignent toute la vivacité et la dérision du réalisateur. 7/10
Jihl
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Re: Le Trésor de la Sierra Madre (John Huston - 1948)

Message par Jihl »

Je viens de le découvrir dans le cadre d'un petit cycle Huston que je suis en train de me faire (une dizaine de dvd du maître). J'ai beaucoup aimé le début du film, ses personnages d'Américains paumés au Mexique. Comme souvent chez Huston, le rôle des natives American (ici les Mexicains comme dans la Nuit de l'iguane, ou des Indiens comme dans Key Largo ou Le vent de la plaine) est tout sauf caricatural. Il y a une forme de respect de la nature (place des animaux, la montagne que le vieux prospecteur veut réparer après en avoir extrait de l'or) et de ces "natives", qui anticipe une partie du cinéma de Mallick. Comme souvent chez Huston, il y a aussi je trouve quelques moments fordiens (ce n'est pas un mince compliment dans ma bouche) : ici le personnage joué par Walter Huston par exemple, mais aussi la très belle idée de la lettre de la femme de Cody.
J'avoue avoir juste quelques réserves sur la performance "paranoiaque" de Bogart vers la fin du film (mais après tout, c'est aussi ce qui donne une dimension de conte au film, comme la scène de Mitchum, sorte de grand méchant loup, descendant à la cave dans la Nuit du chasseur) ; mais tout ceci est balayé par le vent d'une fin magnifique.
Au final un très grand film.8.5/10
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someone1600
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Re: Le Trésor de la Sierra Madre (John Huston - 1948)

Message par someone1600 »

Je viens de m'apercevoir que je n'avais jamais posté mon appréciation de ce film ici. J'ai encore une fois avec un film de Huston adoré. Les personnages sont vraiment intéressant et le scénario vraiment excellent. :D
Alcatel
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Re: Le Trésor de la Sierra Madre (John Huston - 1948)

Message par Alcatel »

Ce film is a hell of a chef-d'oeuvre. :shock:
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Cadichon
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Re: Le Trésor de la Sierra Madre (John Huston - 1948)

Message par Cadichon »

La prestation de Bogart est exceptionnelle et a du apparaître probablement terriblement dérangeante à l'époque. Et je pense que son côté novateur n'a pas pris une ride. En revanche, je n'ai jamais trouvé Walter Huston vraiment bon là dedans.
Nestor Almendros
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Re: Le Trésor de la Sierra Madre (John Huston - 1948)

Message par Nestor Almendros »

SPOILERS

J’avais pourtant vu le film à plusieurs reprises mais il ne m’était jamais apparu aussi clair et passionnant. On retrouve ici une histoire d’échec, thématique que Huston explorera à plusieurs reprises (QUAND LA VILLE DORT ou L’HOMME QUI VOULUT ÊTRE ROI : deux exemples évidents parmi tant d’autres). Pendant la projection j’ai souvent pensé à L’AFFAIRE CICERON de Mankiewicz (qui sortira quatre ans plus tard), qui ont pour point commun la description de l’effort qui n’aboutit à rien. La similitude va même jusqu’à la conclusion : un éclat de rire salvateur devant l’ironie de la situation. Dans ces deux films les personnages se laissent porter par leurs rêves au point de le laisser devenir une obsession qui rend la situation incontrôlable et fatale. Mais à l’instar du film de Mankiewicz, les relations entre les personnages ne sont pas biaisées par le mensonge. Ici le jeu est ouvert et laisse observer les changements de comportement, la suspicion ou la méfiance. Huston s’amuse à montrer une qualité potentielle de l’Humanité (camaraderie, cohésion, travail en équipe) qui implose dans la seule perspective de l’appât du gain et du bonheur individuel. C’est Dobbs (Humphrey Bogart) qui incarne cette faiblesse de l’homme : c’est un personnage qui passe d’une situation extrême (sans argent, à la rue) à une autre (fortune grâce à l’or) et qui n’encaisse pas le choc, qui laisse sa personnalité s’abandonner à des pulsions primaires. Après avoir erré au jour le jour sans autre but qu’une survie précaire, il saisira un occasion (qui s’avèrera bénéfique) mais succombera face au rêve devenu accessible. C’est l’un des thèmes qui rend le film si passionnant : la faiblesse de l’Homme face aux rêves imposés par la société et la capacité de l’Homme à agir contre ses intérêts.

Huston aborde également un rapport parfois quasi mystique avec le destin. La première partie est révélatrice de cette sorte de jeu que semble exercer un Dieu ironique (ce qu’a bien compris Howard – Walter Huston – quand il éclate de rire). Il y a comme un coup de pouce du destin qui amène Dobbs à monter son équipe de prospection après plusieurs petits évènements qui semblent finalement se répondre, se compléter, former une suite logique qui nous feraient presque dire « c’était écrit ». Lorsque la cavalerie mexicaine arrive opportunément pour sauver les trois compères d’une attaque de bandits, on a parfois l’impression que le hasard est comme poussé du coude. Plus explicite encore, il y a ce personnage d’Américain (interprété par John Huston lui-même) qui donnera plusieurs fois l’aumône à Dobbs. Les seules pièces qu’il reçoit dans toute cette journée sont celles de ce mystérieux passant, élégamment habillé de blanc, toujours là au bon moment. C’est avec ce petit pécule que Dobbs s’offrira une petite toilette (au passage j’adore cette scène chez le barbier à la gestuelle précise et parfaite), dépensera le reste dans un café. Il s'y fera un peu forcer la main pour acheter un billet de tombola qui se révèlera gagnant à l’exact moment où Dobbs en avait besoin.
On pourrait aussi ajouter la séquence de la guérison de l’enfant par un Howard que la mise en scène s’applique à montrer surnaturel, habillé de blanc (comme l’Américain), presque comme une apparition. On est alors tenté de se demander si ce personnage n’est pas lui aussi un envoyé du destin (un ange?) : il est le sage du groupe, celui qui a tout vécu, qui sait se débrouiller et qui connaît les dangers des fièvres de richesse. Il fait partie des nombreux éléments de l’histoire qui semblent être là pour tester Dobbs, lui donner une chance, lui montrer la bonne voie à suivre en même que lui donner l’occasion de craquer (autre exemple: le chercheur d’or qui veut se joindre à eux). Evidemment Dobbs, pauvre bougre peu réflexif et trop instinctif, ne saisira pas les bonnes branches pour éviter sa chute.

Enfin, j’ai savouré l’ambiance de cette histoire, l’esprit d’aventure qui parcourt le récit. Il y a des personnages très actifs, portés dans de nombreux lieux vers des buts incertains. Leur mouvement fait avancer l’histoire, donne le rythme au film en même temps qu’il apporte une sorte de souffle optimiste, de rêve possible. Et il y a le décor, ce Mexique post-Western, aride et sauvage, peuplé d’une faune mystérieuse et dangereuse (ce que le scénario utilise très bien).

Bref j’ai beaucoup aimé.

Un dernier mot sur la qualité incroyable du master blu-ray. C’est un vrai plaisir que de redécouvrir ce film dans de telles conditions. Peut-être un peu chiche dans certains plans larges, le piqué de l’image est incroyable dans les gros plans. L’image est stable, immaculée. Les contrastes sont bien gérés. Le grain est respecté. Ne vous attardez pas sur quelques très rares plans flous et granuleux à la fois : il s’agit de plans zoomés dans une image (aperçue auparavant) pour varier la valeur du cadre et compenser un oubli pendant le tournage.
Pour moi ce master est parfait, digne de ce grand film.
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Rick Blaine
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Re: Le Trésor de la Sierra Madre (John Huston - 1948)

Message par Rick Blaine »

Tu me donnes une irrépressible envie de revoir ce magnifique film.
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Demi-Lune
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Re: Le Trésor de la Sierra Madre (John Huston - 1948)

Message par Demi-Lune »

Huston et moi c'est un coup sur deux. Cette fois-ci j'ai tiré un bon numéro. A mon avis, le film ne devient véritablement intéressant qu'à partir du moment où nos trois Américains se mettent en route : l'introduction patine un peu longuement même si le réalisateur crée une atmosphère caniculaire. Passé ce bémol, auquel j'ajouterai une musique que j'ai trouvée franchement insupportable, il faut convenir que le film se montre réussi dans son étude de caractères. Moins qu'un film d'aventures, Le Trésor de la Sierra Madre me semble surtout être une fable moraliste dans laquelle Huston, souvent à son meilleur quand il s'y emploie, se fait portraitiste sans complaisance. La thématique du destin ou de l'échec me paraît, personnellement, secondaire face à son goût évident du personnage entier, complexe (à son image ?), qu'il va étudier patiemment, avec un œil scrutateur et une visée éthique : le pourrissement progressif des comportements sera fatal au plus cupide et la terrible fin a des accents de leçon de vie. La lucidité expérimentée du personnage de Walter Huston renferme une sagesse qui est souvent lancinante dans l’œuvre de Huston (le personnage de Deborah Kerr dans La nuit de l'iguane, Spade dans Le faucon maltais, etc) et diversement mise à l'épreuve. Il faut saluer la fluidité du scénario et le soin particulier apporté aux situations, bien exploitées à chaque fois même si la paranoïa de Bogart débarque peut-être un peu rapidement. Je suis même assez surpris, pour tout dire, par la méchanceté de l'histoire. Elle reste très bien fichue et sa mécanique de la dégradation toujours pertinente. Le trio d'acteurs est excellent et Bogart s'illustre bien sûr tout particulièrement dans un rôle un peu à contre-emploi (son meilleur ?). Grand film.
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Re: Le Trésor de la Sierra Madre (John Huston - 1948)

Message par Rick Blaine »

Demi-Lune a écrit :Huston et moi c'est un coup sur deux. Cette fois-ci j'ai tiré un bon numéro.


J'ai eu peur après la première phrase!! :mrgreen:

Demi-Lune a écrit :Le trio d'acteurs est excellent et Bogart s'illustre bien sûr tout particulièrement dans un rôle un peu à contre-emploi (son meilleur ?).
Un des meilleurs qui aient été écrits pour lui, je suis d'accord. Son interprétation est superbe, comme d'habitude.
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Re: Le Trésor de la Sierra Madre (John Huston - 1948)

Message par Colqhoun »

Découvert pas plus tard qu'hier, je ne regrette rien.
J'ai trouvé ça époustouflant. La réalisation de Huston est implacable et le script, malgré son apparente simplicité, dégage une force morale qui me parle beaucoup. En plus de ça, il y a un très beau casting, où Bogart perd pied peu à peu face à un Walter Huston qui bouffe l'écran.
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Thaddeus
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Re: Le Trésor de la Sierra Madre (John Huston - 1948)

Message par Thaddeus »

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Les compagnons de voyage


Poursuite d’un animal légendaire (Moby Dick) ou quête d’une contrée mythique (L’Homme qui voulut être roi), cambriolage (Quand la ville dort) ou opération de torpillage (African Queen) : la filmographie de John Huston abonde en projets insensés. Nul doute cependant que, pour l’auteur, le plus exaltant réside dans le pacte amical. Autour d’une table ronde enfumée où s’entrechoquent les verres de whisky, le riff-raff des cinq continents échafaude des rêves de conquête futile ou de libération. Soldats de fortune, révolutionnaires caraïbes, tueurs à gages, trafiquants, baleiniers et casseurs préparent leur propre Némésis. Entreprendre n’importe quoi de grand, pourvu qu’on le fasse ensemble : telle est la leçon de solidarité délivrée dès Le Faucon Maltais, et plus explicitement encore dans Le Trésor de la Sierra Madre. Il se peut que la guerre mondiale ait raffermi le goût de l’artiste pour les associations turbulentes et libres, les clubs de suicidés stevensoniens, dans leur contexte de démence et de facétie. Personne n’a jamais rencontré l’Allemand Bruno Traven, dont le film adapte le roman éponyme. L’identité de cet écrivain-fantôme, qu’on croyait réfugié quelque part en Amérique du Sud, resta longtemps un mystère. Traven est peut-être une contraction de Traum (rêve), et à coup sûr un anagramme de Marut, révolutionnaire du début du XXème siècle qui, on le découvrira bien plus tard, n’était autre que lui-même. Huston acheta les droits du livre et obtint de Jack Warner que la prise de vues s’effectue entièrement au Mexique. On raconte que le cinéaste, pour faire jouer à son père le rôle d’un vieillard, le força à ôter son râtelier, ou que Walter, pour prouver à son fils qu’il conviendrait, retira lui-même cet accessoire de son amour-propre. Du tournage, long et exténuant, le réalisateur n’allait pas seulement ramener des collections précolombiennes, un orphelin de quinze ans qu’il élèvera comme son propre enfant et quelques courbatures. Le film constitua de l’avis général le couronnement de sa carrière et l’installa, avec trois Oscars, au pinacle de l’Olympe hollywoodien.


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L’histoire s’ouvre à Tampico, où gringos et autochtones composent un ailleurs paradoxal de l’Amérique. Les Blancs y exploitent d’autres Blancs, pauvres, paumés, déjetés en cette terre étrangère ; les indigènes, Indiens ou métis, y sont des paysans graves et mystiques, proches de la joie de vivre ou prompts à une violence élémentaire. Même les bandits demeurent des hommes : à peine ridicules de réclamer un sombrero avant d’être fusillés, ils n’ont pas aliéné leur noblesse première car ils n’ont vu dans les pépites que du sable. On a beaucoup glosé sur le thème hautement moral de la fièvre de l’or, de la richesse corruptrice et source de calamités (voir Stroheim), puis sur celui de l’entreprise inaccomplie et du fiasco conclusif. Autant de pistes légitimes mais insuffisantes. Dans son désir de surmonter les catégories humaines les plus primaires, le cinéaste rassemble une équipe hétéroclite représentant trois âges de la vie, donc trois modes de pensée. Personnage central, Dobbs offre à Humphrey Bogart l’occasion de ciseler l’une des faces les plus ténébreuses de son talent. Bien que montré de plus en plus hargneux, le masque fanatique dévoré par une barbe de coyote, l’œil rapace et le rictus halluciné (lorsqu’il se convulse dans son sommeil près d’un feu de camp, il semble rôtir comme un damné), il est pris à la blague au début du film puis en intense pitié près du dénouement. Chez le coiffeur, poudré, brillantiné, son chapeau glissant sur un crâne trop dégagé, il ressemble à une version burlesque du Fantôme de l’Opéra. Honteux de mendier, il tape plusieurs fois sans le regarder un compatriote écœuré qu’interprète Huston lui-même, vêtu de blanc immaculé. L’approche de la fortune évoque pour lui un rêve réducteur et enfantin : un bain turc, un souper de prince, des femmes, là où Curtin pense sainement à des arbres fruitiers. Sa progressive folie relève d’une fatalité grinçante mais logique, et sa mort est amenée comme une plaisanterie noire à la Posada : faite de faux sourires (Alfonso Bedoya, le chef des brigands, était appelé au Mexique "le visage qui tue"), de mouvements abjects des corps glissants comme des scorpions autour de la victime. L’expression éperdue et traquée de l’acteur lui confère quelque chose de poignant.

Le vieil Howard, autre pôle du film, incarne la fascination de tout professionnel de l’aventure ayant subi son intense attrait. Le débit en fusillade de son discours où les gencives sifflent et chuintent, son regard rusé et jaugeur, sa demi-loufoquerie de solitaire dont témoignent ses gigues inspirées participent de la magie qui enchaînera Dobbs et Curtin. Il parle de l’or comme Gutman du Faucon de Malte, comme plus tard Achab évoquera Moby Dick. Scènes d’hypnotisme où s’exprime à plein le don vocal d’envoûtement propre à Huston, et qui l’apparente aux conteurs orientaux. Cette figure paternelle rivalisant de jeunesse avec ses compagnons en apparence plus robustes a droit passagèrement à un Éden de révérence : recueilli par les péons pour avoir sauvé un enfant, on le voit bercé dans un hamac et peloté par des femmes bien en chair, crachant doucement entre leurs mains des noyaux de pastèque et fixant l’objectif avec plénitude. Deuxième attribut d’Howard : il est le Vieux de la Montagne, rompu à tous ses caprices, ses dangers, ses humeurs. Il insiste pour qu’on respecte cette mère nourricière, et qu’après l’épuisement du filon on referme toutes ses "plaies", comme celles d’une femme. Il connaît jusqu’à l’emplacement des fissures où se cache l’héloderme suspect qui est ce qui se rapproche le plus du psychanalytique vagin denté. La Sierra n’est pas Madre par pur hasard géographique, et le blasphème, la rébellion contre les éléments, les tabous, les puissances naturelles ou arbitraires, pas pour rien des notions-clés chez Huston. Troisième attribut d’Howard : le rire. Pourquoi la défaite provoque-t-elle l’hilarité des deux survivants, fouettés au visage par le sable aurifié du désert ? Parce que la victoire était d’avance définie comme dérisoire. Derrière la bourrasque finale, le monde soudain balayé, remis à neuf, toute poussière d’or dispersée, il y a cet instant de stupeur et ce rire nerveux qui devient franc, énorme. Tant qu’on peut encore s’esclaffer, rien n’est perdu.


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Dans Le Trésor de la Sierra Madre, chaque protagoniste descend sa pente et si elle n’est forcément au terme du voyage, la mort reste possible pour tous. Mais Huston substitue en quelque sorte au fatum antique une force non moins inéluctable, une sorte de logique souterraine selon laquelle il y aurait une seule manière de terminer une histoire. Quand on est Dobbs, Curtin ou Howard et qu’un jour, aussi gratuitement que le clinamen, il arrive de gagner à la loterie, il ne reste qu’une forme d’action possible et une fin unique écrite pour chacun : le néant pour les violents, le repos et les palmiers pour les sages et l’espoir d’un recommencement pour ceux qui ont encore à vivre. L’aventure a ses lois et ses nécessités et le hasard ne constitue que l’expression supérieure de ses caprices : sans lui, elle n’est rien. En dehors d’elle pour les téméraires qui y participent, tout semble gratuit, tout paraît absurde. Dobbs personnifie l’homme à l’état de crise se laissant séduire par les chimères qu’il a lui-même déchaînées, en raison de la confusion qui s’est installée dans son esprit entre l’idée de prospérité et la forme passagère dans laquelle elle s’est cristallisée. Il ne faut pas voir ici la défense d’un enseignement simpliste du genre "l’argent ne fait pas le bonheur" mais plutôt la mise en évidence d’un théorème sur lequel la pérennité de l’insoumission libertaire, si elle peut adopter les véhicules les plus hétéroclites pour manifester sa présence, ne doit en aucun cas mener à les considérer comme définitifs. Surtout s’ils ont été pris au cœur d’un système en parfaite réaction contre le but à atteindre. L’or de la Sierra Madre aurait pu soutenir l’autonomie d’action des trois hommes à sa conquête, mais les maléfices qui y sont rattachés par des siècles de cupidité coercitive finissent par renaître pour mieux annihiler l’appétit d’indépendance qui menait alors ce microcosme de révolte en marche : un quarteron de prospecteurs bien décidés à ne pas s’en laisser conter par les interdits de la société.

Au sein d’un corpus pouvant se lire comme une fuite loin de l’Amérique (sur quarante films, cinq seulement se tournèrent dans le biotope californien), et dont les tentations exotiques furent particulièrement marquées, Le Trésor de la Sierra Madre tient lieu de référence. Stylistiquement, Huston s’y ménage de nombreux changements de régime, des conflits entre la caméra "active", qui saisit chaque instance du récit par la peau du cou, et la caméra "passive", dont l’objet est la transparence : recevoir un simple élément de l’action et l’enregistrer. Les plans sont encorbellés, fondus dans les arcs électriques, montés selon une alternance non conventionnelle de rythmes, d’échelles et de motifs d’échange entre fixité, panoramiques ou travellings. Le contour est puissant mais irrégulier, tel le rythme de la bonne prose et non de la poésie. Cette catégorie efflanquée, souple et envahissante de vitalité nerveuse donne à l’œuvre achevée son unité. Derrière l’effort toujours renouvelé et désespéré des héros se manifeste comme une philosophie de boxeur : une fois sur le ring, pris dans l’attente anxieuse du chaos, ce qui compte est de durer le plus longtemps possible. Mais au milieu de la douleur et de l’angoisse, il doit y avoir une ivresse folle : se sentir encore présent, toujours debout. Tragédie fondamentale où se joue peut-être moins la vie de Dobbs et la sécurité d’Howard que l’engagement de Curtin. Car si pour l’homme mûr et le vieillard les dés sont jetés, il reste au jeune homme à tenir son premier round jusqu’au coup de gong final. Alors seulement, s’il suit la même trajectoire que Dobbs, il subira le trépas comme la plupart des personnages négatifs du cinéaste ; mais s’il devient un autre Howard, il se peut qu’il connaisse le sort enviable du Charlie d’African Queen, à savoir le bonheur et la disponibilité, et qu’il continue de nager en dansant vers l’autre rive. Quand Huston explique "I’m interested in man", il veut dire la chance de l’homme, qui se situe dans la lutte même de quelques-uns pour être enfin heureux. Derrière le baroudeur, le sportif, le peintre, derrière le complice des équipées libératrices qui se soucia toujours d’équilibres vitaux et de justice sociale, derrière l’intellectuel libéral qui milita à son heure pour l’Espagne républicaine et contre le maccarthysme, il y a aussi le fabuliste ironique, le moraliste tranquille pour qui l’absence d’honneur marque la déchéance suprême. Au fin fond de leur échec, les aventuriers de la Sierra Madre gardent le leur intact.


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Alexandre Angel
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Re: Le Trésor de la Sierra Madre (John Huston - 1948)

Message par Alexandre Angel »

Je n'ai vu ce film qu'une fois.
Si je ne dis pas de bêtises, c'était en plein milieu des années 90, à un moment où la 5 diffusait des films américains en noir et blanc, pas toujours en VO il me semble et l'après-midi.
Je me souviens qu'il s'agissait de mes premiers enregistrements perso (hors cocon parental, quoi). Ou alors, je me trompe et c'était sur Arte, mais de toutes façons, c'était à la même période.
Te lire m'a fait ressurgir des images très précises comme celle de Walter Huston, tranquille, peinard, à la fin, chouchouté par des mexicaines.
J'ai revu récemment avec un énorme plaisir Le Faucon maltais, qui me paraît être un coup de maître et un modèle d'adaptation.
Huston avait commencé fort et il avait terminé en beauté.
Comme "le Temps de l'innonce" et "A tombeau ouvert", "Killers of the Flower Moon" , très identifiable martinien, est un film divisiblement indélébile et insoluble, une roulade avant au niveau du sol, une romance dramatique éternuante et hilarante.

m. Envoyé Spécial à Cannes pour l'Echo Républicain
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